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CHAPITRE 1 : LES PRATIQUES DE DANSE ET LES CONTEXTES CULTURELS

1.1. Pratiques sociales et pratiques scolaires

1.1.2. Les pratiques scolaires

Il suffit de s’appuyer sur les travaux d’envergure de Terret, Cogérino et Rogowski (2006), réalisés auprès de 2500 enseignant-e-s d’EPS, pour se rendre compte de la faible programmation de la danse, de 1 à 5 % selon les niveaux de classe. Elle est pourtant considérée comme APSA « intermédiaire » et non « marginale » dans les programmations. Mais, dès la 5e, sa programmation en mixité est plus rare. De 95,40 % en 6e elle passe à 60,19 % des programmations en terminale. Le cas des baccalauréats professionnels est encore plus criant puisque la danse y est enseignée en mixité à 52,63 %. Les auteur-e-s en concluent que plus une APSA est sexuellement connotée, plus la tendance est de l’enseigner de manière démixée. Par ailleurs, plus les élèves sont âgés, moins la mixité dans cette APSA est envisagée. De plus, alors que les modalités de groupements des élèves diffèrent pour une même APSA, ce n’est pas le cas de la danse. Elle reste enseignée en « mixité relative ».

La recherche tente également de cerner les représentations des enseignant-e-s. Les résultats indiquent que les activités « féminines » ne favorisent pas un sexe en particulier contrairement aux activités « masculines » perçues comme plus favorables aux garçons. Pourtant, 58 % des sondé-e-s pensent que la danse favorise les filles. C’est donc une APSA qui semble exister au-delà des activités « féminines », dans l’imaginaire des enseignant-e-s. Plus surprenant, les enseignant-e-s les plus jeunes sont plus perméables aux stéréotypes de la domination masculine en sport, quel que soit leur sexe . Ce qui n’est pas le cas pour les sports

dits féminins. En effet, quels que soient leur âge et leur ancienneté, les hommes sont plus nombreux à estimer que la danse en situation mixte favorise les filles. Par contre les femmes ne mentionnent pas d’effets discriminants pour l’un des sexes.

Confrontons ces résultats à un travail entrepris dans le cadre de notre DEA, où la question était de faire émerger les représentations des élèves au sujet de la danse. Nous avons été confrontée à la difficulté d’entreprendre les investigations en lycée, tant étaient rares les programmations de la danse et plus encore en mixité. En effet, dans l’Académie de Lille, lieu de l’étude, le nombre de filles s’inscrivant à l’option ponctuelle en danse augmente chaque année. Ce phénomène est révélateur du nombre restreint d’établissements qui proposent la danse au baccalauréat. C’est en s’inscrivant à l’option ponctuelle que celles qui ont des compétences réelles en danse peuvent espérer en tirer profit. Pourtant, essayant d’enrayer le phénomène par la clarification des contenus d’enseignement, Philippe Guisgand et Thierry Tribalat (2001) ont proposé une « boîte à outils » et des repères pertinents pour l’enseignement de la danse au lycée. Par ailleurs, cherchant à éclairer les contenus d’enseignement par les fondamentaux de la danse, Tizou Perez et Annie Thomas (2000) précisent ce que les élèves ont à apprendre.

Face à ces constats, avant d’arrêter le choix des établissements lors de cette première étude, des entretiens exploratoires ont été menés auprès des enseignant-e-s de collège et de lycée pour avoir une première idée de l’enseignement de la danse en mixité. Il est ressorti de cette étude, qu’en lycée, par le choix des menus, les garçons évitent le menu qui contient la danse. Au collège, la danse est souvent programmée en 6e, en classe entière, mais elle fait appel à des supports différents (expression corporelle, jazz…contemporaine) qui prennent même des formes différentes. En 5e, la danse est moins programmée, elle est souvent remplacée par des activités esthétiques ou gymniques d’expression. Certaines, en fonction du traitement didactique, sont considérées comme artistiques (la GRS, l’acrosport, le step, le cirque, l’aérobic…). Il semble que dès la 5e, les croyances des enseignant-e-s laissent planer un doute sur l’intérêt de cette APSA, encore plus en mixité. Ils emploient alors les termes « acrogym dansée », « acrogym sur des thèmes », « step en musique », « expression corporelle », « apex » pour qualifier leur enseignement, comme si le mot « danse » devait être évité. Il existe une gêne des enseignant-e-s vis à vis de cette APSA en mixité. D’ailleurs, souvent dans les programmations, toutes les activités sont prévues en mixité sauf la danse. En 4e et en 3e, elle est souvent programmée mais rarement en mixité, soit parce que les enseignant-e-s démixent les classes, soit par le choix laissé aux élèves au sujet des « menus » d’APSA. De fait les groupes sont démixés. Parfois, ce sont les enseignant-e-s qui changent de

groupe, au moment du cycle danse. C’est souvent une femme qui la prend en charge, pas toujours « spécialiste », parce qu’on lui attribue d’emblée plus d’affinité avec cette APSA.

C’est contradictoire avec la situation des hommes danseurs professionnels qui enseignent plus que leurs collègues féminines. Les pratiques sociales, amateurs et professionnelles semblent totalement écartées ou dénuées de sens pour les professionnels de l’enseignement scolaire. Il apparaît une coupure avec les pratiques sociales.

Ces constats locaux ajoutés aux résultats de la recherche menée par Terret, Cogérino et Rogowski (2006) amènent à considérer la programmation de la danse comme une difficulté. Quand elle parvient à être effectivement programmée aux classes entières, c’est parce que souvent, elle fait l’objet d’une volonté forte, soit d’un coordonnateur (trice), soit d’un ou d’une expert-e de la danse, qui réussit à enlever l’adhésion plus ou moins forte d’une équipe d’enseignant-e-s.

Pourtant les recherches menées sur les articles écrits sur la danse dans la revue EPS montrent l’importance considérable que les auteur-e-s entendent donner à cette APSA. En effet, le nombre d’articles sur la danse est conséquent. D’ailleurs, de véritables pistes pour encourager l’enseignement de la danse sont proposées, notamment dans l’un des articles de Nicole Guerber-Walsh (1995) intitulé « Apprentissage fondamental à l’école ».

Après avoir resitué les influences sur lesquelles se sont appuyés les principes de la danse contemporaine, l’auteure expose les matériaux fondamentaux pour concevoir une démarche d’enseignement. Ceux-ci permettent de guider les enseignant-e-s non pas vers le choix d’une méthode unique mais leur donner les clés de la démarche artistique. Celles-ci sont condensées dans « Aucun but fini, achevé, prédéterminé d’une manière linéaire n’est

poursuivi. La danse se construit, se compose ; l’accent se porte sur les expériences créatives nécessitant un traitement artistique » (EPS 254, p. 56). C’est pourquoi « L’accent se porte sur le sens profond du geste et non sur la forme » (p. 257).

Est exposée par ailleurs une définition de la technique, celle qui pose le plus de difficultés aux enseignant-e-s non expérimenté-e-s, lorsqu’ils enseignent la danse. La technique, indispensable à la création, est située à deux niveaux : « d’une part à l’approche de

plus en plus sensible de la matière, de ses composantes ; d’autre part à l’appréhension de plus en plus claire des processus menant à la structure de l’oeuvre ou de la composition » (p.

58). Pour illustrer ses propos, des exemples d’applications sont donnés. En outre, pour donner du sens à la démarche d’enseignement et de création, sont exposées les relations entre monde des sens et celui des sciences qui sont indispensables à « l’acte dansé ».

Mais, s’il est indéniable que la vocation de cet article est à destination de tous les enseignant-e-s, il suppose que ceux-ci feront les recherches nécessaires pour comprendre le sens des références culturelles. A travers cet article, il est bon de se demander si la revue EPS, dans le cadre de la danse, est un relais pertinent entre les pratiques sociales telles qu’elles sont imaginées par les élèves et les enseignant-e-s, imaginations d’ailleurs diversifiées, et la réalité des pratiques scolaires.

Néanmoins, ce qui retient notre attention est « l’expérience visuelle » du pédagogue qui intervient sur l’action dansée. Effectivement, il est nécessaire de questionner la manière dont les enseignant-e-s regardent les élèves, surtout dans cette APSA, et sur la relation entre ce regard et les savoirs transmis. Le choix de ces savoirs rejoignent-ils leurs manières de regarder le monde ? Mais plus que cela, en ces temps troublés où la mixité peine à vivre, surtout dans les collèges où justement la manière de se regarder est à l’origine de nombreuses violences, il est crucial de se demander comment est perçu, par les élèves, le regard des professeur-e-s sur leur corps. Cela renvoie à la construction du sens de la danse scolaire et des contenus enseignés au collège. En effet, comment l’enseignant-e peut-il prendre en compte les disparités d’aspirations entre les danseurs et danseuses de hip hop, de danses africaines, de danse classique, et de toutes les autres formes, non citées ici, tant est vaste le champ possible des pratiques d’interventions ? A cette période sensible de l’adolescence, les aspirations sont nombreuses et différentes en matière de style de danse. D’ailleurs, les regards qu’ils s’adressent entre eux en disent long sur leurs aspirations ou leur rejet d’un style par rapport à un autre. De plus le regard professionnel porté sur le corps des élèves, d’autant plus précisément que l’enseignant-e est expert-e, ne peut laisser sans questionnement l’enseignant- e d’EPS. L’idée de coéducation devient une nécessité.

Pourtant si les articles concernant la danse sont nombreux, en revanche la mixité en danse n’est pas appréhendée par les auteur-e-s de la revue EPS. En effet, comme si elle allait de soi ou comme s’il allait de soi que la mixité en danse n’existait pas, la mixité en danse ne fait l’objet d’aucun article dans la revue EPS. Seuls six articles concernant la mixité sont relevés, mais ils ne concernent pas directement la danse. Il s’agit des articles de Davisse2, Davisse et Volondat3, Combaz4, Verger5, Le Goff6, Chevalier7. Le terme de coéducation

2 Davisse, A. (1986). Hétérogénéité des publics et des contenus en eps. 199, 42. 3

Davisse A., Volondat, M. (1987). Mixité : pédagogie des différences et didactiques. 206, 53-56.

4 Combaz, G. (1991). La mixité en eps, opinions et souhaits des élèves. 231, 62-65.

5 Verger, M. (2002). Quels choix pour servir quels apprentissages ? Exemple en natation. 293, 53-55. 6 Le Goff, C. (2002). Un tremplin pour réussir en eps. 295, 40-44.

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apparaît pour la première fois en 2003 dans un article de Chevalier. Pourtant, historiquement le terme de coéducation est antérieur à celui de mixité.

Par ailleurs, le contexte socio-historique, scientifique et économique de la période étudiée (1986-2005) est propice à l’ouverture de l’institution scolaire à des formes de pratiques artistiques nouvelles, incluant la mixité. Il existe un triple décalage de l’école avec la danse en amateur, les danseurs professionnels et le contexte favorable à « l’esprit de

mixité ». Les pratiques scolaires sont-elles finalement en phase avec les tendances des

pratiques sociales ?