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CHAPITRE 2 : CROYANCES ET ACTIVITÉ D’ENSEIGNEMENT

2.2. Les entretiens semi-directifs

2.3.3. Les registres de structuration de l’activité

2.3.3.1. L’enseignant A

L’enseignant A organise son activité didactique en rapport à un schéma de danse extrascolaire. Ce qu’il considère primordial est de faire entrer les élèves dans un « état » de danse.

La mixité est source de richesse mais elle est négociée avec les élèves parce que c’est d’abord la création d’un produit fini qui est visé. La constitution des « menus » d’APSA est pensée pour que les motivations diverses des élèves soient respectées. L’idée de parité semble très importante pour gérer la mixité.

Cet enseignant a conscience de l’apport des différences filles-garçons, mais les pratiques révèlent que l’attrait pour la fluidité du mouvement est privilégiée. Or, celle-ci correspond davantage à un attribut d’une danse considérée comme « féminine ». En opposition, le discours mentionne souvent l’expression « danse de mec ». Nous devinons un conflit chez cet enseignant parce que la vidéo renseigne clairement sur la préférence au mouvement fluide alors qu’il insiste pour démarquer les « danses de mecs » qui ne sont pas fluides.

Par ailleurs, il a conscience de faire des différences entre garçons et filles, uniquement dans la manière de présenter l’APSA. Mais la suite du discours indique que même dans l’évaluation, finalement il fait des différences entre filles et garçons. L’explication donnée

renvoie à une conviction : les garçons manquent de coordination, de dissociation, de mémoire immédiate, et « qu’ils n’ont pas les mêmes compétences au départ ». En outre, il reconnaît être plus indulgent avec les garçons, certainement parce que la danse qui lui vient en référence est une danse considérée comme féminine. Elle est donc en décalage avec ses convictions dans lesquelles il enferme les garçons. La mixité en danse est possible à condition « de faire attention aux garçons ». Finalement, les surnote-t-il ?

Il admet en effet faire aussi des différences d’un point de vue technique. Il la définit comme une gestuelle élaborée que réaliseraient plus facilement les filles. D’ailleurs, il précise que la « technique » danse est une aide qu’il peut apporter aux filles. Ou alors défavorise t-il les garçons ? Leur technique ne correspond pas à ce qu’il attend.

Au niveau des contenus il est conscient de pouvoir proposer des contenus coéducatifs, des exemples sont d’ailleurs donnés, mais l’activité menée est celle d’un chorégraphe qui attend de contempler un produit abouti.

L’évaluation met bien l’accent sur les relations entre danseurs, le critère de « l’écoute » est évalué. L’idée de collaboration est présente d’un point de vue théorique mais la vidéo montre que les stéréotypes des élèves sont renforcés par l’orientation de son activité et le manque de consignes au sujet de la coéducation.

L’hypothèse de départ, concernant les rôles attribués par les élèves en partie déterminés par les indices qu’ils détectent chez les enseignant-e-s, se confirme. Pourtant, le discours laisse entendre une clarté et une ouverture au niveau de ces rôles « chaque individu peut ressentir différemment ». Les croyances sont subrepticement perçues dans l’entretien, par confrontation entre les déclarations et la vidéo. Elles sont activées en contexte par des attitudes verbales et non verbales. C’est la comparaison incessante entre les deux sources qui amène la réalité. Cela plaide en faveur de techniques d’investigation plurielles.

De plus, en observant la grille d’évaluation et les résultats des élèves, dont nous récupérons les notes après le cycle, nous les situons autour de trois niveaux de réponses. La grille est très détaillée :

la performance est collective pour un module créé et un module obligatoire, il s’agit

de reproduire deux fois un module créé et des modules obligatoires : /3 pts ;

la maîtrise est collective : /6 pts. Elle concerne la lisibilité/2 pts, la crédibilité/2pts,

l’écoute/1 pt, le monde sonore/1pt ;

la maîtrise individuelle dans la chorégraphie de groupe est notée sur : /2 pts ;

le module individuel dans la chorégraphie de groupe est noté : /6 pts. Il concerne à la fois la

les progrès rentrent dans une note à hauteur de : /3 pts.

Les résultats interprétés émanent de quatre groupes mixtes et trois groupes démixés. Dans les groupes mixtes, les garçons ont toujours des notes inférieures à celles des filles. Pour les groupes démixés, il n’y a pas de différence entre un groupe de filles et un groupe de garçons, cependant un autre groupe de garçons obtient une moyenne supérieure. Si l’on compare les notes des groupes de garçons avec celles des garçons issus des groupes mixtes, on s’aperçoit que les premiers ont des résultats supérieurs aux filles des groupes mixtes. Si on ne regarde que les résultats chiffrés, les deux meilleures notes sont obtenues par des filles, 17.25 et 16.75, la meilleure note obtenue par un garçon est 14.75. Les deux notes les plus basses sont obtenues par une fille avec 8.4 et un garçon avec 9. Si on affine l’observation en ôtant le poids de la variable progrès qui est sur trois 3 pts, on s’aperçoit que ce sont les filles qui en profitent davantage, ce qui expliquerait les notes supérieures des filles dans les groupes mixtes. Mais si cette fois, on ne retient que la partie individuelle de l’évaluation, les filles ont encore des résultats supérieurs mais l’écart est moins important. Dans les groupes démixés, trois garçons obtiennent de meilleurs résultats, l’un d’eux a les mêmes résultats que trois filles, un autre garçon et une fille obtiennent la même note, deux garçons ont des notes inférieures.

Les conclusions concernant les résultats supérieurs des filles en danse (Vigneron, 2005 a) ne peuvent être vérifiées totalement puisque certaines composantes, comme la prise en compte du progrès, influent sur les résultats.

D’ailleurs, le regard de l’enseignant, nettement focalisé sur ce qu’il valorise, est un facteur influençant les réels résultats des élèves. Dans les groupes mixtes, les filles qui obtiennent de meilleurs résultats sont celles qui sont reconnues comme des références pour l’enseignant (décryptées à la vidéo). Si elles font référence, c’est parce que leur qualité de mouvement correspond à la sensibilité de l’enseignant qui « a envie de voir » un type de danse.

Rien n’indique donc une meilleure appropriation de l’APSA par les filles. Si la mixité renforce les stéréotypes des élèves, c’est parce que ceux-ci sont alimentés par les items valorisés par l’enseignant et dont les élèves vont prendre conscience. Dans cette étude de cas, les filles sont encouragées à continuer leurs mouvements fluides, alors que les garçons, sont encouragés indirectement soit à rester sur « leur danse de mec » soit à imiter les filles. La mixité ne favorise pas les garçons, la référence en matière de danse ici s’appuie fortement sur des qualités de mouvements considérés comme féminins.

Déclarer que la mixité renforce les stéréotypes et produit des inégalités n’est pas suffisant. Ce n’est pas le simple fait d’établir des groupes mixtes qui produit ces différences mais le regard de l’enseignant, emprunt de ses références privilégiées, qui exclut indirectement un groupe de sexe.

Résumé 1

Une mixité négociée, des contenus organisés par rapport à « l’état de danse » et la création, des repères et des influences qui sont extra-scolaires. Sa « position de genre » oriente l’activité d’enseignement sur des repères considérés comme féminins dans les stéréotypes sexués, nous retrouvons l’idée de « charisme » et « d’écoute » dans le discours. Le genre des élèves est appréhendé par rapport à leur « vécu » du mouvement, donc dans leurs habitudes stéréotypées. Les contenus ne sont pas organisés pour faciliter la coéducation, alors que la notion d’écoute est pensée pour faire prendre conscience aux élèves de l’importance de cette notion en danse. Dans l’action, l’enseignant oublie ce qui était censé l’organiser. Les références premières réapparaissent (la fluidité du mouvement) et l’écoute entre les partenaires de sexe différent devient secondaire. Il existe bien un curriculum caché et un écart entre l’activité déclarée et l’activité réalisée. Alors que la mixité n’est pas facilitante pour les garçons, pour compenser, il déclare les « surnoter ».