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CHAPITRE 2 : ACTIVITÉ D’ENSEIGNEMENT ET ENVIRONNEMENT

2.1. Les curricula

Avant d’entrer au cœur des pratiques, il semble pertinent d’étudier l’environnement sur lequel s’appuie vraisemblablement toute activité d’enseignement de l’EPS : les programmes et le contenu de la revue EPS. Celle-ci reflète assez bien l’univers professionnel des enseignant-e-s d’EPS, mais dans le cadre de la danse, la majeure partie des articles sélectionnés s’adresse à un public averti. C’est pour cette raison qu’il s’agit de considérer la revue comme curriculum « possible » dans la mesure où il est difficile pour les enseignant-e-s novices d’accéder à la pertinence des supports, surtout en ce qui concerne la danse contemporaine. Désirant savoir si la revue peut être une aide réelle quant à la construction de contenus coéducatifs et éventuellement fournir des réponses aux prescriptions du curriculum, l’intention est ensuite de situer l’activité des enseignant-e-s, dans cet environnement curriculaire, et la confronter à leurs déclarations.

Le curriculum n’est donc pas pris au sens étroit de programme, il est « un parcours de

formation » (Perrenoud, 1993, p. 62). Il s’agit « d’une approche globale des phénomènes éducatifs » (Forquin, 1989, p. 22), c’est-à-dire de la conception des contenus et des croyances

s’y rapportant, à la mise en oeuvre de ces contenus, jusqu’à leur évaluation. Lebeaume (1999) pose la question didactique de la norme, des composantes et de la fonction du curriculum. Comment en effet concevoir une norme qui intègre à la fois l’hétérogénéité des contextes et des élèves et qui implique des enseignant-e-s avec leur part d’interprétation personnelle ?

Il précise que seul le concept de curriculum permet de saisir la cohérence des activités scolaires. Pour lui, en effet, la normalisation suppose : « une diversité de solutions possibles

dans la mise en oeuvre de l’enseignement au gré de la personnalité des individus et des contextes » (Lebeaume, 1999, p. 102). Cet espace d’ouverture offre la particularité de

permettre des « créations didactiques ».

2.1.1. Curriculum et didactique

Les travaux en sociologie du curriculum montrent l’existence de « curriculum formel,

réel et caché » (Perrenoud, 1993). L’intérêt pour les travaux concernant le curriculum vient de

l’idée selon laquelle, ceux-ci sont utiles à la réflexion sur les écarts entre les activités et les prescriptions institutionnelles.

Les chercheurs en didactique se sont interrogés sur le « curriculum formel, prescrit,

réel, potentiel, déclaré » (Martinand, 2001, 2005).

Cette part de « non-dits », de « bricolage » dont parle Perrenoud, de « circulation des

savoirs » et de « reproblématisation » de ces savoirs entre praticiens et chercheurs dont parle

Martinand font état de l’analyse des pratiques de classe. Sans confondre les deux univers, il semble néanmoins que la reproblématisation des chercheurs n’est possible qu’en lien avec l’observation des « bricolages » des praticiens. Perrenoud observe que « les fluctuations et

variations des contenus réels de l’enseignement sont liés à la part d’autonomie et de subjectivité des enseignants dans l’interprétation des textes et à la diversité des conditions de travail » (Perrenoud, 1993, p. 65). D’ailleurs, certains travaux synthétisent bien le fait que les

enseignant-e-s semblent « pouvoir être de véritables acteurs voire des auteurs dans ce

dispositif par création de contenus originaux et par interprétation des textes institutionnels, le curriculum réel s’écartant alors du curriculum formel » (Calmettes, 1996, p. 8).

De nombreuses recherches ont été faites à propos du « curriculum formel/prescrit » et du « curriculum réel ». En Éducation physique, les recherches qui investiguent le curriculum s’attachent en particulier à :

- questionner le processus de structuration de la discipline pour comprendre les choix effectués par les concepteurs des programmes (Lorca, 2002) ;

- connaître les diverses influences que connaissent les enseignant-e-s pour construire leurs contenus, à partir d’une APSA particulière : l’acrosport par exemple (Musard, 2003).

Néanmoins ces travaux ne questionnent pas les pratiques de classe. Ils n’ont donc pas accès au curriculum réel dont Perrenoud déclare que « tout curriculum réel est caché »

(p. 70). Pour lui, le curriculum « formel/prescrit » est d’origine institutionnelle, il régit des programmes élaborés par des décideurs qui se réfèrent à un élève « abstrait » épistémique alors que le « curriculum réalisé » s’intéresse aux « expériences formatrices » des individus. L’auteur remarque que les écarts peuvent être importants entre ce qui est prescrit et ce qui est réalisé. Ceux-ci sont certainement dus aux interprétations du curriculum prescrit par les enseignant-e-s, aux variabilités des conditions de mise en œuvre, aux connaissances antérieures des élèves et à toutes les interférences que les enseignant-e-s ne peuvent maîtriser. Explorer le réel, c’est donc pouvoir envisager un curriculum « possible » (Martinand, 2005).

2.1.2. Activité et curriculum caché

Les expériences d’un individu sont-elles directement observables ?

De plus, comment rendre compte de « tout ce que la formation déclenche à l’insu du

formateur, au-delà du temps, de l’espace, du contraint qu’il maîtrise » (Perrenoud, 1993,

p. 70) ? Il convient d’investiguer la nature du curriculum caché. Nous ne retenons que les axes qui vont alimenter notre cadre d’analyse.

Il est caché parce qu’il pose des questions embarrassantes, le « flou fonctionnel » est en effet une compétence rarement valorisée dans un système d’éducation où prime le rationnel. Devant les classes, les professeur-e-s sont contraint-e-s de s’adapter aux particularités de chacune ; ce qui implique des rythmes d’apprentissage différents et des libertés avec les programmes. C’est cette part de « flou » qui permet le fonctionnement des classes : « il est donc de la nature même du travail pédagogique que le détail des contenus de

l’enseignement varie d’une classe à l’autre. Il ne s’agit pas là de libertés coupables prises avec le programme, mais du fonctionnement régulier de l’action pédagogique » (Perrenoud,

1993, p. 73). Ce qu’il nomme « la création de curriculum ». Mais sur quoi s’établit la création de ce curriculum ?

Il est caché parce qu’il est de l’ordre de « l’implicite » non écrit, soit parce qu’il fait l’objet d’un consensus ou au contraire pour « masquer l’absence de consensus ». Ce sont les grilles de lecture des enseignant-e-s, empruntes de leurs conceptions idéologiques et philosophiques qui filtrent le degré de compréhension et d’interprétation des programmes.

En tout cas, les effets des actions et des institutions humaines produisent des apprentissages qui ne sont pas forcément programmés. C’est pour cette raison que des valeurs sont transmises en même temps que les contenus mais qui échappent cependant sans une analyse fine des pratiques de classe. Mais quel que soit le mode de fonctionnement, les élèves suivent-ils réellement le même enseignement ? Sont-ils réceptifs aux même choses, au même

degré de compréhension ? Vivent-ils au fond la même « expérience formatrice » ? Ces questionnements ne sont pas ceux sur lesquels nous décidons de mener la recherche, bien que nous n’ignorons pas les différences, de conditions sociales, de personnalité et de culture familiale, dans le processus d’apprentissage. Notre choix est de nous attarder sur les effets de genre des enseignant-e-s qui agissent sur les contenus. C’est en cela que nous employons le terme de curriculum caché.

Ces quelques remarques préliminaires au sujet du curriculum ont pour objectif d’asseoir notre compréhension des phénomènes. Elles nous permettent d’aborder les pratiques.

2.1.3. Les pratiques réelles, révélatrices de l’activité des enseignant-e-s.

L’étude de la réalité des pratiques sert d’appui à l’identification de l’activité professionnelle et des styles d’action. La difficulté d’analyse des pratiques tient en partie au fait que les enseignants « ne savent pas ce qu’ils savent ou plus exactement, ils ne peuvent le

dire qu’en référence à des situations singulières » (Perrenoud, 1996, p. 182). Ce qui entretient

l’idée que ce qui se passe dans la classe n’est pas toujours l’application de ce qui est prescrit mais est de l’ordre de l’intuitif, surtout dans le cas d’enseignant-e-s expérimenté-e-s et/ou expert-e-s. Celles-ci ou ceux-ci n’éprouvent pas le besoin de passer par les prescriptions et encore moins par les théories pour mettre les élèves en situation d’incorporer les contenus. Perrenoud (1999) emploie le mot « feeling » pour décrire les décisions dans l’action du praticien expert.

Par ailleurs, les travaux de Bénaïoun-Ramirez (2002) au sujet de la perception et de la gestion des imprévus dans la classe mettent en évidence les représentations de 145 professeur- e-s de collège et les processus qu’ils développent pour « faire avec ». Les résultats montrent que le contexte professionnel, l’ancienneté (professionnelle et dans le collège), et l’implication psychosociale et professionnelle différencient les représentations elles-mêmes en accord avec des modèles normatifs de professionnalité. Les décisions dans l’action face aux imprévus sont soumises à un environnement difficilement compréhensible si l’activité n’est considérée que sous l’angle observable. C’est peut-être ce qui explique la difficulté des enseignant-e-s à sortir du contexte d’une situation particulière pour rendre compte de leurs actions. C’est certainement une des causes du décalage entre les déclarations des enseignant- e-s au sujet des contenus transmis et ce qui est incorporé par les élèves. Autrement dit, l’activité professionnelle, les styles d’action, les choix de contenus et la manière de les transmettre influencent-ils la coéducation ?

Les conditions d’une coéducation en danse contemporaine en EPS sont à questionner. Les décalages constatés entre les déclarations des enseignant-e-s et ce qui est réellement incorporé par les élèves relèvent-ils de ce qui est de l’ordre de l’imperceptible, d’indescriptible qui agit à l’insu des enseignants ?

L’examen des styles d’action paraît pertinent pour accéder à la réalité des pratiques.