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CHAPITRE 3 : MIXITÉ, GENRE, CONTENUS ET COÉDUCATION

3.3. Écart de réussite des filles et des garçons en EPS

La réussite scolaire des filles est souvent mise en avant et le désintérêt pour les résultats scolaires de la part des garçons semblent mobiliser le monde de l’éducation (Mosconi, 2003). Qu’en est-il en éducation physique et sportive ?

Il s’agit dans un premier temps d’analyser les causes des différences de réussite entre filles et garçons. L’examen des résultats aux évaluations, d’abord dans l’enseignement primaire, puis par l’intermédiaire des résultats aux examens, est un indicateur pertinent. Pour cela il est utile de s’attarder sur la programmation des activités et leur combinaison. Plusieurs APSA servent de support pour expliciter le propos avant de cerner le travail de recherche sur la danse.

Les conclusions des différentes recherches montrent que : les garçons progressent davantage que les filles (Coupey, 1995), et qu’ils se montrent plus réfractaires que les filles au dépassement des stéréotypes (Bouchard et Saint-Amant, 1996).

Toutes les études faites sur l’évaluation en EPS montrent que les filles obtiennent des moyennes inférieures à celles des garçons (Cleuziou, 2000, Vigneron, 2005a).

De plus, la programmation des APSA se réfère davantage aux activités historiquement « masculines » par rapport à une pratique qualifiée de « féminine » (Combaz, 1992 ; Vigneron, 2005 b).

Enfin, bien que plus scolaires, les filles sont moins actives que les garçons au plan de la motricité (Davisse, 2000). Les travaux de Vigneron (2005 b) établissent même une différence très marquée entre filles et garçons, notamment dans les sports collectifs. Le rapport à l’espace (les filles sont à la périphérie), à la règle (les filles les ignorent et n’ont pas les clés de la reconnaissance rapide des indices pertinents d’une lecture rapide du jeu), au corps (les filles étant généralement moins toniques et moins rapides que les garçons, elles se protègent d’eux en évitant les contacts) sont les différences les plus remarquables. Mais l’auteure mentionne que ces dissemblances sont renforcées par les contenus et les méthodes d’enseignement, essentiellement pensés en rapport à la motricité des garçons.

Coupey (1995) étudie les pratiques d’éducation physique et sportive au cours préparatoire et les variations de performance entre filles et garçons en fonction des formes d’EPS. Elle s’intéresse aux facteurs autres que biologiques qui peuvent déterminer les différences de performance. Les résultats indiquent que certaines situations sont défavorables aux filles, être scolarisées dans une classe à majorité de garçons ou dans une classe où le maître attend des exigences différentes en fonction du sexe des élèves. La réussite différentielle des filles et des garçons est modulée en fonction de l’organisation mixte ou non des classes.

Dans les disciplines scientifiques, l’auteure remarque que les différences entre les sexes sont moins marquées quand les uns et les autres sont scolarisé-e-s dans les classes non mixtes. Certains travaux continuent à accréditer cette thèse (Robinson, 2004). Néanmoins, Robinson relativise ses résultats en fonction du contexte culturel dans lequel ont été faites les recherches et l’effectif des classes.

Les constats de Coupey la conduisent à proposer que les modalités d’évaluation (exigences moindres pour les filles sans prise en compte de la taille et du poids) et que les modes d’entrée soient interrogés. Dès lors une question peut être posée : dans quelles mesures les mécanismes scolaires repérables conduisent-ils les filles et les garçons à ne pas développer la même motricité, à entretenir chez les filles un développement physique moindre ou à limiter celles-ci dans l’exploitation de leurs possibilités physiques ?

Pour rendre compte des pratiques d’EPS, Coupey prend les indicateurs suivants : la composition de la classe, les installations, le temps de pratique, les activités proposées, les opinions des enseignant-e-s sur les filles et les garçons, les objectifs poursuivis. A partir de ces indicateurs, deux tendances sont dégagées : une activité professionnelle qui tend à répondre aux objectifs de détente et de socialisation, une autre qui est centrée sur la performance. Les résultats de la recherche indiquent qu’il existe deux catégories d’enseignant-e-s : ceux qui expriment une opinion stéréotypée des rôles (les filles sont plutôt passives, les garçons actifs, et un retrait des filles dans certaines activités, des garçons dans d’autres) et ceux pour qui la variable sexe n’est pas suffisante pour expliquer les différences de résultats. Certains estiment nécessaire de moduler les exigences des élèves en fonction du sexe alors que d’autres estiment préférable d’avoir les même exigences pour tous. Les résultats des élèves aux évaluations montrent que les filles obtiennent de moins bons résultats que les garçons en début d’année et en fin d’année. En début d’année, l’écart est plus faible entre filles et garçons qu’entre sportifs et non sportifs, il est pratiquement le même en fin d’année. Si au départ les filles sportives ont une meilleure moyenne que les garçons non

sportifs, la tendance en fin d’année est inversée. Enfin, ce sont les garçons sportifs qui progressent le plus. Lorsque l’on introduit des caractéristiques pédagogiques comme « l’effet classe », en relation avec les objectifs poursuivis par les enseignant-e-s, les élèves de caractéristiques semblables n’affichent pas les mêmes progrès. Les élèves progressent davantage lorsque l’enseignant-e ne fait pas de différence d’exigences entre les élèves en fonction de l’APSA. Par contre, les garçons progressent davantage que les filles quand les enseignant-e-s sont plus exigeant-e-s envers eux.

Ces résultats rejoignent ceux de Cloes et al (1998) qui rapprochent les résultats des élèves et les démarches des enseignant-e-s. Par ailleurs, ils sont à joindre aux hypothèses déjà soulevées pour réduire l’écart : la nature de la programmation (Combaz, 1990 ; Lacince, 2000 ; Davisse et Louveau, 1998), les exigences attendues par les enseignant-e-s (Duru- Bellat, 1995, 1998 ; Mosconi, 1992) et la construction de référentiels d’évaluation (Bergé, Croiset et Pézelier, 2001) dans le cadre d’un programme d’innovation.

Par ailleurs, Lacince (2000) lors de l’analyse des dossiers des candidat-e-s au CAPEPS, constate que seulement 0,9 % des programmations des établissements scolaires concerne la danse dans les cycles d’enseignement. L’éducation corporelle de l’élève passe encore par la pratique physique essentiellement sportive. L’auteure conclut qu’aujourd’hui, l’EPS et l’école en général sont le reflet d’une institution qui cherche à savoir tout contrôler, et finalement maîtriser jusqu’au corps des individus. Or la nécessité de performance et de résultat ne correspond pas à l’essence de la danse contemporaine qui se veut objet de

« transgression » par la liberté prise avec les règles du monde sportif.

D’autres recherches investiguent la combinaison des APSA pour expliquer les écarts de réussite entre filles et garçons. L’étude de Vigneron (2005 a), montre que les résultats des filles sont supérieurs à ceux des garçons en danse, en escalade et, dans une moindre mesure, en natation. L’auteure relativise les résultats inférieurs des filles puisque, en fonction des séries du baccalauréat et de toutes les variables prises en compte, il y a plus d’écarts entre filles ou entre garçons qu’entre les sexes. Mais l’étude de Ferez (2001) montre également des résultats supérieurs des filles en danse. Il nuance pourtant ses résultats : si les filles obtiennent en danse, de meilleures notes que les garçons, c’est avant tout par leur moindre dispersion par rapport à une tendance centrale. Une certaine conformité à un type de réponse semble les caractériser.

Mais plus encore que la dynamique différentielle des interactions didactiques discutées par Verscheure et Amade-Escot (2004), ce sont celles mettant en jeu des contenus réservés

aux filles, d’une nature différente de ceux proposés aux garçons, qui finalement sont déterminants dans l’écart des notes constaté.

D’autres pistes confortent celle déjà émise par Coupey (1995), Combaz (1992) et Lacince (2000) au sujet de la nature de la programmation qui privilégie les APSA historiquement masculines. Il ne s’agit évidemment pas de programmer des APSA exclusivement féminines (Davisse, 2000) mais plutôt de trouver un équilibre entre APSA

Une autre voie consiste à analyser les habitus traditionnels de répartition des tâches et des compétences entre filles et garçons véhiculés par les enseignant-e-s, (d’une manière inconsciente souvent), et l’incidence sur la notation.

Des études ont pourtant montré que la mixité est un gage d’engagement des élèves dans les activités physiques : le football, le rugby, le judo, le saut à la perche sont accessibles aux filles (Bui-Xân, 1989 ; David, 1995 ; Davisse et louveau, 1998). Mais d’autres résultats plus nuancés (David et Château-Seyer, 1999), mettent en évidence des réticences lorsque la proximité corporelle est envisagée. Les élèves émettent une réserve quant à la possibilité d’exprimer pleinement leurs potentialités.

David (2000) ouvre plusieurs perspectives qui consistent à mettre à jour les pratiques pédagogiques, les représentations des enseignant-e-s et leurs attentes, mais aussi les conséquences de leur propre rapport au savoir sportif. D’ailleurs, les travaux de Davisse et Louveau (1998) comparent la programmation des activités, le choix des entrées, les registres privilégiés, les savoirs et les prestations évaluées par les enseignant-e-s d’une part, et la participation des élèves d’autre part. Ils mettent en évidence les attentes différentes des enseignant-e-s dans les pratiques mixtes.

Artus (1999) propose que pour qu’il y ait une véritable intégration des filles dans les sports collectifs, un aménagement didactique relatif à une réduction de l’espace et des effectifs ainsi qu’un amènagement pédagogique relatif à une dimension ludique, sont nécessaires. Pour que la mixité soit « active », il propose de faire verbaliser les élèves afin d’organiser le rugby autour de règles inédites permettant au plus grand nombre de parler de l’APSA et ainsi de rompre avec la distance sociale des filles et des garçons. Mais la réduction de l’espace comme remède à la participation des filles est remis en cause par Vigneron (2005 b) qui affirme que réduire l’espace provoque une gêne chez celles-ci.

D’autres propositions encore sont formulées par Barbot (1996) qui aborde les sports de combat en situation de mixité en essayant de résoudre le problème du duel dans les situations d’affrontement corporel : augmenter le risque subjectif et diminuer le risque objectif pour permettre le contact avec l’autre.

La question des axes forts du curriculum se pose de nouveau. Elle inclut une nécessaire réflexion allant de la conception des contenus à leur évaluation pour que ceux-ci soient l’occasion d’échanges productifs entre filles et garçons, véritable ciment de la coéducation. Mais finalement, d’une volonté historique égalitaire que filles et garçons reçoivent le même enseignement, les conditions permettant le développement des possibilités de chacun-e dans un souci d’équité sont-elles assurées ?

C’est pour tenter de répondre à ces questions qu’il est indispensable de mettre à jour les pratiques enseignantes et questionner les contenus réellement enseignés en danse contemporaine. La question des indices repérés par les élèves mérite d’être posée. Elle permet d’entrevoir une relation avec leurs comportements vis à vis des regroupements, des types de motricité engagés et l’adhésion ou le refus d’entrer dans des motricités à priori « non conformes à leur sexe ». Mosconi (1992) a interrogé les interactions entre enseignant-e-s et élèves en fonction de l’identité de genre de l’enseignant-e d’une part, mais aussi de ce qui est attendu par eux des élèves filles et garçons.

En effet, la perception des enseignant-e-s au sujet aussi des résultats des filles et des garçons dans cette APSA est-elle la même? Finalement, le problème de l’évaluation des élèves se pose. En effet, selon les nuances genrées des enseignant-e-s, peut-on s’assurer que les élèves soient évalué-e-s de la même manière en fonction des activités dites « masculines » et « féminines » ?

La réflexion sur la mixité en EPS n’est pas nouvelle mais à l’état de balbutiements en France, dans le domaine de la didactique. Nous voulons interroger le phénomène par l’intermédiaire de la danse contemporaine dans une perspective de coéducation. L’étude des recherches sur les pratiques sportives et artistiques dites « masculines » ou « féminines » aident à situer nos propres recherches.