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CHAPITRE 2 : ACTIVITÉ D’ENSEIGNEMENT ET ENVIRONNEMENT

2.5. Expérience et expertise

L’expérience est le second filtre d’analyse de l’activité de l’enseignant-e. Pour Mayen et Mayeux (2003), l’expérience est l’objet de l’activité des personnes. Mais même à partir du détail de l’activité analysée par la trace du travail filmé, l’ensemble des dimensions de l’expérience ne peut émerger.

Notre recherche tente de faire émerger les processus à l’œuvre dans la construction de l’activité d’enseignement à partir de quatre cas ayant des expériences plus ou moins longues dans l’enseignement de la danse, l’un des cas est d’ailleurs expert de l’APSA. Les auteur-e-s précédemment cités relèvent de la didactique professionnelle, leurs travaux amorcent néanmoins une réflexion sur cette notion en didactique scolaire. En effet, pour eux,

« l’expérience quotidienne est ainsi une expérience qui se réalise avec les autres, mais elle se réalise aussi dans le cadre d’interactions avec les autres, interactions langagières, dans lesquelles les choses sont nommées, les actions décrites et interprétées, les conseils ou les reproches justifiés. Les échanges quotidiens, dans la vie ou au travail, sont aussi porteurs d’une fonction d’enseignement » (Mayen et Mayeux, 2003, p. 24). Cette citation pointe la

qu’il s’agit de s’intéresser au processus enseignement/apprentissage. Par conséquent, il est bon de se demander si l’expérience résulte alors d’une manière de concrétiser la formation initiale, un produit de l’expérience de travail ou autour du travail, un processus, ou tout à la fois. C’est un premier point qui permet de situer la notion d’expérience comme une notion ouverte, polysémique. En effet, les travaux de Coquidé (2003) ont bien montré le sens que peut avoir cette notion dans les disciplines expérimentales : s’agit-il « d’avoir de

l’expérience » dans le sens de cumuler les expériences ou de « faire une expérience ?

C’est d’une toute autre position que Nouroudine (2004) explore la notion d’expérience. Pour lui, le processus qui conduit à l’expérience peut s’inscrire autour de quatre propositions : l’expérience est inscrite dans une histoire, l’anticipation totale des conditions initiales de l’expérience est impossible, ainsi que la connaissance intégrale des potentialités de l’expérience, les singularités peuvent aussi bien être rejetées qu’acceptées. La notion est difficile à définir.

Partant de la réflexion sur les croyances, et considérant l’histoire commune de celles- ci et de l’expérience, l’option envisagée est l’expérience d’un individu fortement appréhendée et construite par des choix de valeurs qui conditionnent sa manière d’être au monde. La construction et le produit de l’expérience seraient alors conditionnés ou alimentés par un univers de pensée préexistant. Mais il est utopique de connaître le poids réel de cet univers dans la construction de l’activité.

Cela pose néanmoins deux questions : l’expérience peut-elle être alors réellement source de connaissances véritables, transposables, racontables, transférables à une autre classe de situations ou à un tiers ? Avec quel point de vue transmettre le métier à un novice ? Certes ces questions dépassent le cadre de la recherche mais elles avancent l’idée que la notion

« d’expérience » ne se limite pas au critère de l’ancienneté. Celle-ci n’est pas suffisante pour

engendrer un style d’action permettant l’incorporation de contenus coéducatifs par les élèves. Ce qui paraît stabilisé par expérience, c’est plutôt la rapidité des prises de décisions dans l’action et un ensemble de routines diminuant le temps d’installation des dispositifs.

Ainsi, si l’expérience n’est transposable qu’à partir d’un point de vue, il est envisageable qu’elle est en partie la conséquence de l’accumulation de croyances construites au fur et à mesure de l’activité professionnelle, directement en lien avec celles construites dans d’autres contextes. Si ces croyances font elles-mêmes partie intégrante du contexte social, familial, éducatif, elles sont donc, pour partie, construites en dehors de l’école et conditionnent l’acte d’enseignement et en l’occurrence les croyances au sujet de la mixité.

La réflexion à mener sur les contenus coéducatifs s’en trouve fortement déterminée. Il existe une très forte probabilité pour que l’expérience des enseignant-e-s soit solidement liée aux croyances construites et entretenues par un système de valeurs auquel ils sont attachés. Ceci influencerait plus ou moins la conduite des pratiques mixtes et le choix des contenus mais ferait aussi office de filtre interprétatif de ce que font les élèves, souvent à l’insu des enseignant-e-s.

Au fait de ces préoccupations, lors du choix de nos quatre cas, il s’agit de questionner également l’enseignement expert pour connaître le poids de l’expertise emprunte ou non de ces croyances. Il est alors question de délimiter la notion d’expertise pour finalement se demander si les experts dans l’enseignement de la danse facilitent la coéducation. Puis il est envisagé de connaître les rapports, les croisements éventuels entre l’expérience et l’expertise.

La recherche en éducation définit la notion d’expert en opposition à celle de novice. Bien qu’il ne s’agisse pas ici de développer la revue de littérature de Lenoir (2004), retenons en certains des modèles élaborés pour rendre compte de cette opposition. Il s’agit des modèles rappelés par Bereiter et Scardamalia (1992), Darling-Hammond et Snyder (1992) qui participent à la réflexion sur le curriculum, et par Gustafsson et Undheim (1996).

Les travaux francophones (Chartier, 1998 ; Tochon, 1993) prennent appui sur les discours concernant la professionnalisation du métier. Ces travaux caractérisent l’expert à travers les savoirs d’action ou savoirs d’expérience (Tardif et Lessard, 1999) ou les savoirs pratiques (Raisky, 1993). En tout cas, la notion d’expert semble très fortement liée à celle d’expérience.

Schön (1991), Tardif et Lessard (1999) et Soëtard (1999) donnent des cadres de compréhension concernant la notion d’expérience. Selon Soëtard, (1999, p 253), l’expérience est enrichie par des éléments extérieurs et permet donc un « enrichissement permanent ». Blau (1995) définit l’expert par ses compétences au sens de savoir-faire que sa « réputation » auprès de ses pairs a instauré.

Mais la définition de l’enseignant-e expert-e est problématique puisque la situation réelle n’est jamais entièrement accessible. D’ailleurs Altet (2002) rappelle que la situation d’enseignement est constituée de nombreuses situations en interaction, avant, pendant et après l’action. Par conséquent une situation dans un contexte comporte aussi des variables interindividuelles et individuelles relatives à la personne de l’enseignant-e mais aussi en

réponse aux caractéristiques des élèves. Comment alors espérer un véritable transfert de l’expertise à l’enseignant-e novice ? C’est un problème qui se pose en formation initiale.

Peut-être, comme le déclare Lenoir (2004) il serait bon de caractériser les types d’expérience susceptibles de développer l’expertise.

Qu’il s’agisse d’expérience ou d’expertise, la question du transfert est récurrente, en tout cas des perspectives de recherche semblent ouvertes pour savoir ce qui peut être véritablement transmis au novice.

Quant au poids des croyances sur la construction de l’activité de l’enseignant-e expert- e, les recherches citées amènent à examiner le lien entre expertise et expérience. Si tel est le cas, être expert-e d’une APSA ne garantit en rien la non-influence des croyances sur l’activité d’enseignement donc sur la coéducation. C’est ce que nous allons vérifier dans notre étude.

Au terme de cette brève réflexion autour des notions d’expérience et d’expertise, il s’agit de nous situer dans ce débat. L’enseignant-e expert-e est alors celui ou celle qui connaît et sait utiliser les différentes facettes de l’activité danse en tant que pratiquant-e, chorégraphe, enseignant-e en contexte extra-scolaire et scolaire, formateur-trice en formation continue et reconnu-e par d’autres expert-e-s de la danse. Son histoire ne peut être étrangère à la construction de l’expertise. L’enseignant-e expérimenté-e est inscrit-e aussi dans une histoire (Nouroudine, 2004) qu’il ne peut séparer de connaissances élaborées sur la base de croyances construites dans et en dehors de l’école, au fur et à mesure de l’expérience. Mais l’expérience et/ou l’expertise sont-ils suffisants pour entraîner chez les élèves un apprentissage coéducatif ? Quelles sont les perceptions et la nature de l’incorporation des élèves relatives à l’activité d’enseignement ?