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CHAPITRE 2 : ACTIVITÉ D’ENSEIGNEMENT ET ENVIRONNEMENT

2.3. Activité et actions

Champy-Remoussenard (2005) rend compte des principaux champs de recherche qui s’intéressent au concept d’activité et en propose une lecture dans une note de synthèse. L’auteure mentionne que ces différents courants mettent en évidence des « arrière-plans

paradigmatiques, des concepts et des finalités épistémologiques par ailleurs assez différents »

(p. 34).

Dans une perspective didactique de l’activité, les bases théoriques des études de Vygotski (1997, p. 496) ont servi d’arrière-plan pour construire notre réflexion. C’est-à-dire que ce qui importe est non seulement l’aspect visible de l’activité mais aussi « son aspect

interne, celui qui se dérobe à l’observation immédiate » Vygotski (1997, p. 496).

Les approches actuelles des théories de l’action renouvellent le questionnement, ce que ne reconnaît pas Schwartz (2001). Pour lui, le « renouveau » des théories de l’action conduit inévitablement à un sens restrictif dans la construction philosophique du concept de l’action. Cette mise en « séquences » du concept conduirait à l’élaboration de « multiples

comme c’est la visée de toute théorie, la substance locale concrète de l’action influe sur les logiques décrites » (Schwartz, 2001, p. 68). Mais pour lui, il n’y a pas lieu d’opposer action et

activité à condition d’y inclure la dimension « praxique » de l’espèce humaine.

Cependant il n’est pas aisé de circonscrire ces différentes notions, il est question d’action, d’activité, d’acte. Pour certains auteurs, il est fait une différence entre chacun de ses termes, pour d’autres au contraire les mots ont le même sens, Pharo (2001). Par ailleurs, en fonction de la discipline de référence dans laquelle les mots sont employés, ceux-ci n’ont pas le même sens. Pour cette raison nous allons tenter de reprendre les filiations philosophiques évoquées par Baudouin et Friedrich (2001) pour situer les théories actuelles de l’action. Selon ces auteurs, c’est l’analyse des rapports entre philosophie et sciences humaines et sociales qui permet de repérer ces filiations parcourant les théories de l’action contemporaine et qui en constituent l’arrière-plan théorique.

Les théories de l’action font référence à quatre filiations : - la sémantique de l’action ;

- la pragmatique et la théorie des actes de langage ; - l’intentionnalité ;

- l’agir communicationnel.

Pour la sémantique de l’action, «é voquer des actions, c’est évoquer nécessairement des

intentions, des buts, des raisons d’agir, des motifs, des agents, des responsabilités »

(Baudouin et Friedrich, 2001, p. 9). C’est l’analyse des propriétés sémantiques du langage de l’action qui permet d’en dégager le sens.

En lien avec la sémantique de l’action, la théorie des actes de langage contribue à la construction d’un paradigme communicationnel. Il repose sur « une conception de la

communication comme accomplissement de certains types d’actes, qui feront l’objet d’une description systématique » (Baudouin et Friedrich, 2001, p. 10).

L’intentionnalité fait référence à la phénoménologie, c’est certainement dans les travaux de Pharo (2001) qu’est représentée le mieux cette filiation. Dans « Le sens logique des actes

civils », cet auteur montre bien comment les agents se comprennent même dans des langues

différentes parce qu’ils ont en commun des outils qui leur permettent d’interpréter le sens de l’action.

En contrepoint, l’agir communicationnel inscrit le paradigme des actions dans celui

« des actions orientées sur l’intercompréhension et la coordination des actions. Le concept d’agir communicationnel […] est alors pensé comme principe de discernement de trois

sphères d’évaluation de l’action : l’agir téléologique, centré sur un but, propre au monde objectif et fondé sur des critères de vérité et d’efficacité ; l’agir régulé par des normes, propre au monde social, fondé sur des critères de justesse et de légitimité ; l’agir dramaturgique, propre au monde subjectif, fondé sur des critères d’authenticité et de véracité » (Baudouin et Friedrich, 2001, p. 11).

Ainsi, selon les auteurs, deux dimensions essentielles se dégagent pour repérer les axes des théories actuelles de l’action : le langagier (ou le discursif, le communicationnel) et l’intentionnel.

Schurmans (2001) reprenant la terminologie de la sociologie de l’action s’essaie à une synthèse entre le concept d’action et d’activité. Il mentionne deux orientations dominantes : celle de l’activité considérée comme collective où l’agent est agi par des contraintes socio- historiques, et celle de l’action individuelle où est repris de nouveau l’idée d’intentionnalité.

Dans le cadre de la didactique, d’autres chercheurs proposent un modèle de l’action de l’enseignant (Sensevy, 2001, 2002 ; Rickenmann, 2001) alors que d’autres, Chatel (2001) par exemple, situent l’acte d’enseigner comme une action.

De Jonckheere (2001) définit l’action comme un événement, celui-ci serait « un

ensemble de mouvements actionnant d’autres mouvements, affectant humains et non humains » (De Jonckeere, 2001, p. 124). Il s’intéresse ici plus à l’action réelle d’un sujet en

tant qu’événement et non à ce qui était prévu, au regard de normes préconçues. En cela, « une

action est un fait social ou un fait collectif, même si notre langage habituel nous la fait décrire comme un fait individuel » (De Jonckeere, 2001, p. 129).

Pour Schwartz (2001), l’action désigne un champ pratique et l’activité un concept où l’imagination joue un rôle majeur. Selon lui, le renouveau du concept d’activité est beaucoup plus explicite par le mouvement ergonomique et l’analyse du travail. Cet auteur n’oppose pas l’action à l’activité, il souhaite seulement intégrer la dimension « praxique » de l’espèce humaine dans toute activité.

Au contraire, pour Joas (2001), l’action est un concept clé. Il tente d’appréhender la relation du sujet agissant avec son propre corps qui pour lui est une des questions centrales des théories de l’action. Pour lui, le corps n’est donné au sujet agissant que par l’intermédiaire du schéma corporel, lui-même étant le résultat d’un processus social.

Quant à Pharo (2001), l’action est en fait une activité collective d’un ensemble mais

« d’un point de vue logique, tout ce qui est susceptible d’intervenir dans le parcours de valeur d’une variable d’action peut être considéré comme une action » (Pharo, 2001, p. 48).

Barbier et Galatanu (2000) différencient action et activité. Pour eux, l’activité est

« processus supposant l’intervention d’un être vivant, et l’activité humaine les processus supposant l’intervention d’un ou de plusieurs sujets humains » (Barbier et Galatanu, 2000,

p. 16).

Ils caractérisent ainsi l’action selon trois caractéristiques :

- l’action en tant qu’organisation singulière pour l’acteur concerné ; - l’action constitue une intervention sur des processus déjà en cours ;

- l’action nécessite pour l’acteur un travail de mise en représentation concernant l’organisation d’activités prévues ou réalisées, pour lui même et le rapport de ces activités à l’environnement.

La critique des théories anciennes de l’action rationnelle, selon Schwartz, conduit à une ouverture des théories de l’action sur l’activité qui s’appuient à la fois sur les travaux de psychologie, de Vytgoski en particulier, et des recherches menées par l’ergonomie française en analyse du travail.

Clot et Faïta (2000) déterminent assez précisément les contours du concept d’activité. Le genre de l’activité repose sur un principe d’économie de l’action, le genre professionnel est le soubassement de l’activité. Ils réfutent l’identification habituelle de l’écart entre tâche prescrite et activité réelle, ils préfèrent évoquer la réorganisation de la tâche par les collectifs de professionnels. Entre le prescrit et le réel, ils indiquent une troisième dimension, le « genre

social du métier » en termes d’obligations partagées par l’ensemble du collectif de travail.

Pour reprendre les mots des auteurs, cela fonctionne avec « un mot de passe » connu par les membres d’une communauté professionnelle. C’est ce qu’ils nomment « le genre

professionnel » qui s’organise de manière tacite, une sorte de « mémoire pour pré-dire[…] qui installerait les conditions initiales de l’activité en cours, préalables de l’action » (Clot et

Faïta, 2000, p. 13), Pour eux, l’action individuelle ne peut exister que s’il y a appartenance à un genre professionnel en tant qu’activité.

Le chapitre précédent s’est attardé sur la différence entre genre et style. Les styles ne sont pas considérés comme de simples attributs psychologiques, d’ailleurs ils se fondent sur

« une sélection, pas une création » (Clot, 2002, p. 201). Mais de quelle nature est la

sélection ? Lorsque la situation de travail l’y contraint, celui ou celle qui travaille peut être amené-e à des « créations stylistiques ». Celles-ci intègrent nécessairement l’histoire du sujet, et à leur tour, ces créations transforment les genres professionnels. Le concept d’activité et ce qui s’y joue, « l’activité du sujet qui s’engage en présupposant l’activité d’autrui, lequel

s’engage alors en usant du genre adapté à la situation » (Clot et Faïta, 2000, p. 15), sont

complexes. Cette phrase est utile pour confronter notre propre question : en quoi le réel de l’activité peut-il influencer la coéducation des élèves ? Quels sont les processus guidant l’activité ? En d’autres termes, quel est le style de l’action des enseignant-e-s en danse dans le genre contemporain qui renseigne sur ces processus ?

Ces contributions et leur champ d’intervention permettent de nous situer parmi cette palette des possibles. Elles aident à circonscrire un champ de recherche autour de l’analyse de l’activité d’enseignement, l’intention étant de mettre à jour les processus qui construisent et animent cette activité. L’activité correspond alors à ce qu’il y a à réaliser dans un genre professionnel donné, ici le genre contemporain, dont il est aisé d’imaginer qu’il peut être transformé, et le style de l’action comme une action effective, sélectionnée dans l’éventail des possibles du genre contemporain. Mais ce qui donne le style de l’action, c’est aussi l’appartenance de l’individu à un genre collectif, qui ne se réduit pas à l’équipe d’EPS de l’établissement, mais bien à l’appartenance à un champ de la danse contemporaine, elle-même en perpétuelle recherche et dont il est difficile de déterminer les contours. En même temps le sujet agit dans le genre professionnel enseignant et transforme cette activité par ses propres instruments perceptifs inscrits dans sa mémoire, sorte de « genre intérieur ».

La synthèse de tous ces travaux conduit à imaginer difficilement la séparation entre l’activité et le sujet impliqué dans cette activité. Autour du « réel » de l’activité tel que l’envisage Clot (2001, b, p. 18 et 38), il est question de l’activité réalisée prévue et l’activité réalisée imprévue qui sont des activités réalisables parmi d’autres. Celles-ci sont contextualisées, situées. Plus encore, les actions ne se limitent pas à ce qui est observable. D’ailleurs, ce qui ne se réalise pas est à examiner car plusieurs causes sont possibles. En effet, soit les acteurs cherchent à faire sans y parvenir, soit ils occultent ce qui devrait être fait, soit ils réalisent des actions pour éviter ce qui devrait être fait pour parvenir aux résultats escomptés. Ces actions sont plus ou moins inconscientes et permettent de détourner ou retarder le problème. Parfois ces actions détournées provoquent l’inverse de ce qui était attendu. C’est toute cette complexité que le « réel de l’activité » essaie de prendre en compte. Ce réel est fait aussi des activités « suspendues ». Elles sont tout aussi présentes dans la vie des acteurs.

Dans une perspective clinique de l’activité, le travail revêt une dimension psychologique centrale sans toutefois s’y limiter puisqu’elle explore les conditions du développement du « pouvoir d’agir » des acteurs dans le travail. L’influence de l’école Russe que l’auteur revendique est très présente. En effet, dans la préface de la dernière version de

l’ouvrage majeur de Vygotski (1997), Clot déclare « il m’est apparu que la trame

conceptuelle tissée par Vygotski, Léontiev et Bakhtine, pouvait soutenir une approche du travail entre activité et subjectivité, tourné à la fois vers son objet et vers l’activité des autres portant sur cet objet » (Vygotski, 1997, p. 11).

Sans entrer dans une posture clinique, c’est cette filiation de Bakhtine à Clot, qui nous intéresse et à partir de quoi est bâti en partie le cadre conceptuel. Il se construit autour du postulat selon lequel est « éthiquement orientée » toute forme artistique. Cela renvoie aux valeurs sous-tendues par toute forme artistique qui « en tant que valeur, nous mène hors des

bornes de l’œuvre comprise comme matériau organisé, comme objet » (Bakhtine, 1978,

p. 39). Pour lui, ce sont « ces valeurs qui concernent directement notre activité artistique » (p. 62).

Cependant l’activité d’enseignement, même dans le cas de la danse, ne peut se réduire aux valeurs morales. Si toute activité artistique ne se résumait qu’à des valeurs inhérentes aux individus, quel serait alors le poids de l’expérience, des connaissances dans cette APSA ? En quoi et comment l’analyse didactique peut-elle être au plus près de l’activité d’enseignement de la danse contemporaine ?

Postuler l’existence de « tension intérieures » inhérentes à toute activité créatrice parce qu’elles révèlent des émotions, des sensations nous place en mesure de nous approcher du travail entrepris par Bakhtine sur le langage. Il établit que « L’immense travail accompli par

l’artiste sur le mot a pour but ultime de le dépasser, car l’objet esthétique croît aux frontières des mots, aux frontières du langage… » (p. 62). Loin de nier la force du langage, du matériau,

il s’agit de le perfectionner, de le contraindre à se dépasser. En danse, cela renvoie à la notion de modèles. En effet, Bakhtine souligne que les « images » engendrées par la lecture d’une œuvre poétique font appel à « l’arbitraire subjectif de chacun », qui n’est pas directement lié aux sens extérieurs. Selon lui, tout se passe comme si le sujet devait s’éprouver comme créateur de la forme première mais aussi dans la contemplation de la création pour se connaître, pour ressentir son activité. Toute activité de création, et par conséquent l’activité d’enseignement de la danse contemporaine, passe nécessairement par l’engagement de l’enseignant-e « en créateur dans ce que l’on voit, entend, exprime » (p. 71). C’est une APSA qui ne peut se passer de cet engagement de l’enseignant-e « corps, cœur et esprit ». C’est à tout moment que l’enseignant-e effectue un travail sur son activité parce que toute APSA qui fait appel aux sens est emprunte de soi. D’ailleurs, dans l’activité d’enseignement de la danse contemporaine, il existe, comme fait remarquer Bakhtine sur le mot, bien plus que son côté sonore, sa signification, son aspect de liaison verbale et intonatoire. Il y ajoute « le sentiment

de l’activité verbale, de l’engendrement actif d’un son signifiant ; (il faut y inclure tous les éléments moteurs, l’articulation, le geste, la mimique et autres, et tout l’élan interne de ma personne, occupant activement par le moyen du mot, de l’énoncé, une certaine position axiologique et sémantique) » (p. 74).

Mais si cette activité renvoie au « corps intérieur », elle dépasse les limites de l’organisme, elle renvoie aux valeurs, et plus que cela, à la tension qui devient expression de l’activité. Finalement, les actions des enseignant-e-s dans cette APSA ne peuvent se passer d’un questionnement vis à vis des croyances, lesquelles se sont forgées en partie avec l’histoire de chaque individu. Ainsi la forme et le contenu donnés à voir aux élèves sont en

« interrelation essentielle et nécessaire ». L’activité « organisée de l’intérieur » se différencie

de la personnalité « organisée de l’extérieur » mais imaginons un glissement de l’une à l’autre, en dégageant les indices très fins qui se reflètent dans les contenus.

Clot et Faïta (2000) ont défini l’activité et l’action avec les nuances qui s’imposaient. Après avoir délimité les contours du concept d’activité et les actions qui s’y rapportent, il s’agit de continuer à examiner l’environnement curriculaire et son impact sur la coéducation des élèves. Il convient de questionner la construction du style des actions des enseignant-e-s en danse dans le genre contemporain. En particulier le rôle des croyances dans la construction des processus guidant l’activité d’enseignement de cette APSA.