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CHAPITRE 3 : MIXITÉ, GENRE, CONTENUS ET COÉDUCATION

3.6. La conduite des pratiques enseignantes en milieu mixte

3.6.1. Les interactions didactiques

Les travaux anglo-saxons les plus récents ont mis en évidence un retour d’informations plus conséquent envers les garçons (Duffy, Warren et Walsh, 2001). De même, la nature de ces feed-back est différente en fonction du sexe de l’élève auquel ils s’adressent et questionnent les mises en œuvre de la mixité.

En France, le champ de recherche concernant les interactions didactiques est plus récent. Avant d’appréhender les interactions didactiques du point de vue de la mixité, rappelons que d’une manière générale, on entend par interaction didactique une action réciproque par laquelle le comportement de l’un des partenaires a une influence sur le comportement de l’autre (Postic, 2001) et mettant en jeu des contenus enseignés.

Mais des recherches portant sur la didactique du français questionnent cette notion de réciprocité des acteurs. En effet, Thevenaz-Christen (2002, p. 54) situent de manière singulière l’activité d’enseignement, les rôles d’enseigner et le fait d’apprendre engendrant des interactions spécifiques qui se caractérisent par une « dissymétrie de la distribution des

connaissances et des expériences ».

Cherchant à analyser les interactions didactiques, des travaux en didactique des sciences (Saint-George, 2001) consistent à étudier les échanges oraux entre élèves et professeur-e-s stagiaires de physique-chimie. Ces recherches portent essentiellement sur la mise à jour du mode d’interaction didactique à la fois lors de la prise de décision à l’issue des solutions proposées par les élèves en réponse à un problème posé, et à l’occasion du guidage des élèves dans le réinvestissement de leurs connaissances en électricité.

Une autre étude (Morge, 2001), menée auprès de deux enseignantes stagiaires de physique-chimie, consiste à élaborer et mener une séquence d’enseignement dans une perspective socio-constructiviste, à partir des représentations des élèves, et à prévoir la façon

de gérer les interactions. Ce procédé s’accompagne d’une mise en relation systématique des pratiques et des options didactiques et épistémologiques sous-tendues. Les difficultés rencontrées, même par des enseignant-e-s expert-e-s, plaident pour la formation des enseignant-e-s à gérer de telles séquences.

Les trois recherches précédentes ont permis d’approcher les travaux de didactique comparée concernant les interactions didactiques et soulignent la complexité du phénomène, sans qu’il soit question de mixité.

Les recherches rapportées ci-après mettent l’accent sur les comportements d’ enseignant-e-s d’EPS en contexte mixte : la première recherche (Verscheure et Amade-Escot, 2004) est faite en lycée, la seconde (Couchot-Schiex et Trottin, 2005) en collège et la troisième (Cloes, Demblon, Pirotin, Ledent et Piéron, 1998) fait l’objet d’une étude comparative primaire/secondaire dans un pays francophone. Le but est de montrer les convergences et divergences ou les nuances dans des contextes différents. Plusieurs de ces recherches mettent en relation le genre des enseignant-e-s et les interactions différenciées.

Verscheure et Amade-Escot (2004), ont observé les interactions didactiques d'un professeur et de trois filles et cinq garçons de niveau homogène en seconde dans l'activité volley-ball. Il s'agissait d'étudier la façon dont se construisent les différenciations selon les genres en situation réelle d’interactions en étudiant les processus de transmission- appropriation des contenus selon la « position de genre » des élèves. Pour ces auteures, la notion de « position de genre » est préférée à celle « d’identité de genre » parce qu’elle rend compte d’un processus évolutif pour un même élève en fonction des activités physiques sportives et artistiques. Ainsi le genre ne peut être appréhendé par les seuls stéréotypes sexués. En fait les chercheures s’interrogeaient sur l’existence ou non de contrats didactiques différentiels entre filles et garçons confronté-e-s à un même objet d’enseignement. A partir des entretiens menés avec l’enseignant, des enregistrements audio et vidéo, puis des entretiens avec les huit élèves observé-e-s, les résultats indiquent que, dans un type d'enseignement organisé sous forme de tâches ouvertes, certaines filles tirent profit de la mixité. La construction des inégalités par les stéréotypes dominants, fréquemment invoquée en contexte mixte, est ici remise en cause. Les différences observées sont d’abord dues aux dynamiques différentielles des interactions didactiques au cours desquelles se mettent en place des situations de co-construction des savoirs entre professeur-e-s et élèves. D’autres variables agissent également telles que, les effets du contexte, les effets « d’arrière-plans » comme les

représentations de l’attaque efficace, l'attitude scolaire et l'expérience ou non dans une activité physique. Les explications habituellement développées au sujet des inégalités de sexe en EPS concernant les effets de discrimination des enseignant-e-s ne suffisent pas à expliquer ces différences.

Pour approfondir les effets des interactions didactiques sur les résultats des élèves, Couchot-Schiex et Trottin (2005) mettent en évidence des variations en fonction du sexe et du genre. La variable genre est au préalable identifiée par le test de Bem (1974) repris par Hurtig et Pichevin (1986). Le but du BSRI (Bem sex role inventory) est d’identifier des types d’individus : féminin, masculin, non différencié et androgyne. La recherche s’est intéressée au contenu des interactions didactiques prenant en compte : l’origine (enseignant-e ou élève fille ou garçon) de l’interaction, le média, la forme, le type et le registre des interactions. Les résultats mentionnent un nombre d’interactions plus élevé en faveur des garçons. Ce sont d’ailleurs les interactions initiées par les enseignantes qui déterminent l'avantage en faveur des garçons. Les conclusions ne sont pas possibles quant à la durée des interactions puisque les tests statistiques ne notent pas de différence significative. Les interactions initiées par les garçons le sont par des incidents disciplinaires et de véritables stratégies sont mises en place pour capter l’attention des enseignant-e-s. Par contre les observations indiquent clairement que les garçons reçoivent davantage de feed-back visant à organiser leur travail. Les chercheures s’interrogent alors sur le poids des stéréotypes qui détermine l’intervention des enseignant-e-s et qui agit sur les filles, ou si celles-ci sont réellement plus organisées.

De cette étude, il ressort que certains des résultats mentionnés dans la synthèse de Duru-Bellat (1995) ne sont pas confirmés en EPS puisque, par exemple, les filles reçoivent autant de compliments et autant de critiques que les garçons. Des différences existent bien entre hommes et femmes dans la manière d’agir avec les élèves de sexes différents mais la variable genre apporte des résultats complémentaires. En effet, plus les femmes sont classées haut sur l’échelle de la masculinité plus elles tendent à interagir de manière identique en nombre avec les élèves des deux sexes. Les formes d’interaction sont davantage kinesthésique et auditive. A l’inverse, plus elles sont classées haut sur l’échelle de la féminité, plus elles interagissent avec les garçons. Même si les auteures précisent que les variations constatées sont à contextualiser par rapport notamment à la nature des APSA (acrosport, cirque et gymnastique), les contenus indiquent bien des différences dans les interactions. La variable genre n’est pas à négliger lorsque l’on aborde les questions de mixité réelle. Les deux études convergent dans le sens ou les interactions didactiques sont à articuler avec le concept de genre.

Mais des nuances existent, puisque ce concept est évolutif pour Verscheure et Amade- Escot (2004), qui lui préfèrent la notion de « position de genre ». Pour ces auteures, il s’agit de ne pas réduire l’analyse aux stéréotypes sexués de la part des enseignant-e-s et seule une analyse micro-didactique des situations peut rendre compte de ce qui se joue dans les interactions didactiques. Par contre dans la seconde recherche (Couchot-Schiex et Trottin, 2005), la variable genre est davantage appréhendée pour mettre en relation le degré de masculinité et de féminité des enseignant-e-s et l’impact sur les interactions didactiques.

La question du genre des enseignant-e-s est récurrente lorqu’il est question de réfléchir aux conduites des pratiques en milieu mixte mais certains résultats sont plus nuancés. Par exemple Terret, Cogérino et Rogowski (2006) concluent que « l’impact du genre sur

l’orientation en faveur ou en défaveur des pratiques sportives se reflète sans doute dans le choix d’enseigner telle ou telle APSA, mais ne se retrouve pas vraiment dans les choix pédagogiques relatifs aux modalités de regroupement des élèves » (p. 126).