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CHAPITRE 3 : MIXITÉ, GENRE, CONTENUS ET COÉDUCATION

3.2. La Coéducation : moyen d’éducation à la mixité

3.2.2. Coéducation et didactique de la danse contemporaine

Nous postulons que l’idée peut être élargie dans le cadre de l’éducation physique et en particulier en danse contemporaine. Il s’agit alors d’autoriser chacun-e à vivre des motricités dans des registres différents, mais aussi d’apprendre à regarder et à accepter des productions différentes et/ou dérangeantes par rapport à son cadre de lecture préférentiel. Ainsi, il est possible de s’enrichir des résultats des échanges amenés par la confrontation des idées et les choix consécutifs à ces échanges. La visée étant l’éducation à une véritable liberté de choix (de partenaires, de motricité, de registre de sensibilité) obtenue par interaction des membres d’un groupe, en rapport à des aspirations profondes qui n’osent pas toujours s’exprimer, par « éducation ». Il ne s’agit pas d’enfermer l’enseignement de la danse dans des modèles esthétiques imposés aux élèves, mais plutôt de faire vivre à chacun-e, des registres (moteurs, types de groupements) différents. Ainsi, les élèves peuvent ensuite, par l’éducation et l’instruction, développer la maîtrise du libre choix (de motricité, de registre du sensible, de groupements), indépendamment des stéréotypes liés à leur sexe d’appartenance.

En tout cas, la coéducation ne peut s’établir sans conditions, en particulier la reconnaissance par les enseignant-e-s des différences d’aspirations en terme de motricité chez leurs élèves. Celles-ci n’établissent pas d’emblée une correspondance unique entre sexe et type de motricité. Cela pose le problème de la formation des enseignant-e-s aux problématiques du genre. En effet, alors que les études sur le genre font partie du curriculum de formation des enseignant-e-s dans les pays anglo-saxons, qu’en est-il en France ?

Le texte de cadrage de 1997 rappelle les « missions » (Martinand, 2000) de l’enseignant autour de principes : éduquer, former, instruire. Le principe d’égalité entre filles et garçons prôné par le bulletin officiel (2000) va bien dans le sens d’une lutte contre les stéréotypes sexués. Ceux-ci ne permettent pas à chaque élève d’explorer des motricités qui lui conviennent. A l’instar de Marro et Vouillot (2004), considérons la coéducation comme un processus à construire avec les élèves pour les mener à l’équité. Le concept d’équité, plutôt que d’égalité, permet de tenir compte des différences, sans les nier, mais en les utilisant pour un enrichissement mutuel. La mission de l’enseignant revient alors à instruire différentes motricités mais aussi d’éduquer à l’acceptation des différences.

Ainsi, la danse contemporaine, par sa nature, recherche perpétuellement l’originalité. Elle est par conséquent propice à l’utilisation des différences. Chaque élève doit pouvoir s’enrichir des différences des autres au sein d’un groupe mixte.

Pour Meirieu (2000 p 25) trois caractéristiques définissent la pédagogie de groupe dans le milieu scolaire : les échanges, un contact avec le réel, évacuant tout ou partie de

l’autorité du maître. Ainsi elle se décline par « une relation plurielle d’échanges, articulées

sur un contact avec ce qui est donné comme le réel, évacuant tout ou partie de l’autorité du maître ». En relation avec la définition de Meirieu, le fonctionnement du groupe en danse

contemporaine peut être imaginé sur un désir de projet en commun, plutôt que sur une complicité affinitaire (souvent sexuée). Toutefois, il n’est pas question de nier l’importance, pour les élèves, du « ciment relationnel » que cette affinité peut créer.

Toute la dimension évaluative prend ici de l’importance. En effet, les résultats obtenus par les élèves n’ont pas la même teneur, le même sens ni les mêmes modalités d’implication si chaque membre du groupe est évalué autour d’un projet commun ou si c’est la production collective qui est évaluée. L’intérêt du groupe n’est pas une finalité, mais un moyen de réussir individuellement et ressentir le plaisir d’élaborer un projet en commun tenant compte des particularités de chacun-e.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre le terme de coéducation. Les élèves sont instruit-e-s et éduqué-e-s non seulement à travailler ensemble, mais aussi en commun, à la réalisation d’un projet collectif au sein de groupes. La notion de groupe dépasse alors le regroupement des élèves. Il est question que chacun ose s’exprimer dans un registre moteur qui lui convient réellement, et non en réponse aux attentes perçues des enseignant-e-s eu égard au sexe de leurs élèves. C’est à cette condition, que les élèves sont accepté-e-s dans leurs différences par les autres membres du groupe. Alors seulement, est réelle la coéducation

Pour cela les groupes ont certainement à gagner à être suffisamment hétérogènes d’un point de vue de la motricité et des registres de sensibilité, pour que l’originalité de la production soit remarquée. En même temps, les groupes ont intérêt à garder suffisamment d’homogénéité pour que la communication entre les membres du groupe soit possible. C’est en ce sens que la production collective est attendue non pas dans les stéréotypes en accord à des modes uniques, mais selon des points de vue différents.

En danse contemporaine, cinq critères d’observation peuvent être des indices de coéducation : la disposition spatiale des filles et des garçons en classe entière, la disposition spatiale des membres d’un groupe réduit, l’espace entre les duos, la motricité « inversée » par rapport à ce qui est attendu, les communications des élèves dans différents registres (verbal, visuel, auditif, les contacts). Une écoute entre les danseurs est ainsi atteinte. Comment les enseignant-e-s peuvent-ils-elles repérer ces indicateurs ?

L’utilisation de l’espace ne se traduisent plus par la séparation des filles et des garçons. En effet, dès les premières observations, nous remarquons la répartition sexuée des élèves de part et d’autre d’un point central de l’espace d’évolution. Certains sont au centre de

cet espace alors que d’autres restent en périphérie. Par la coéducation est visée la répartition des filles et des garçons dans tout l’espace.

Dans les groupes mixtes, les filles et les garçons travaillent vraiment ensemble. Les investigations menées montrent que lors des situations de recherche, les groupes sexués se reconstituent. Par la coéducation, les groupes de recherche sont constitués aussi de duos mixtes. Chacun des partenaires y apprend le regard de l’autre, choisit le meilleur pour le groupe afin de surprendre les spectateurs.

Les rencontres entre les sexes, lors des contenus relatifs aux déplacements dans tout l’espace, ne sont plus évitées.

Les élèves communiquent plus facilement leurs impressions parce qu’ils réussissent à détecter des signaux de rencontre, dans des registres différents, pas forcément dans une lecture sexuée de la gestuelle. Les rôles ne sont alors pas figés.

La coéducation est inévitablement une notion incontournable du curriculum. En ce sens si la coéducation est un processus à mener pour atteindre l’équité entre les élèves, quel est l’état réel de ce processus dans le curriculum ? En effet, quelle analyse peut-on faire des résultats des filles et des garçons aux évaluations nationales ? Celles-ci sont un bon indicateur de l’équité entre filles et garçons. En se reportant aux hypothèses émises par Baudelot et Establet (1992) au sujet des résultats en mathématiques et en français des évaluations nationales de CE2, celles-ci stipulent que, si les résultats des filles sont supérieurs, c’est certainement en raison des stéréotypes sociaux qui les préparent mieux aux attentes du système scolaire.

Dans le domaine des pratiques physiques, depuis plusieurs décennies, le sens commun affirme que l’accession à toutes les pratiques physiques par les garçons et les filles à l’école, en situation de mixité est un moyen de parvenir à l’égalité des sexes. Davisse et Louveau (1991,1998) ne partagent pas ce point de vue puisque ces auteures ont mis en évidence que la discipline EPS est un conservatoire des disciplines sexuées. Du point de vue de l’évaluation en EPS, qu’en est-il réellement ?

Des travaux peuvent éclairer les différences à l’aide des concepts de genre et de masculinité-féminité (Clairefond-Topczynski, 1990 ; Durand-Delvigne, 1992), ou encore en étudiant « l’ordre de genre » établi à travers les activité sportives (Messner et Sabo, 1990 ; Mc Kay, Messner et Sabo, 2000). Nous y reviendrons aux points 3.4 et 3.5 de ce chapitre. Ces travaux montrent l’existence de différents types de masculinité comme il existe des féminités. Mennesson (2004) s’interroge d’ailleurs au sujet des « dispositions sexuées inversées ». Si ces

études sont utiles pour comprendre les écarts de réussite entre filles et garçons en EPS en terme de nuances « genrées », le champ de recherche concernant ces inégalités de réussite s’affirme également dans une perspective didactique abordant le phénomène par l'évaluation- notation, partie intégrante du curriculum.