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CHAPITRE 3 : MIXITÉ, GENRE, CONTENUS ET COÉDUCATION

3.5. La construction identitaire :

Le Manner-Idrissi (1997) interroge les processus qui interviennent dans la construction identitaire. En particulier sur les facteurs impliqués comme le déterminisme biologique, les pressions sociales ou la construction individuelle dans laquelle seul le sujet est impliqué.

Ses conclusions font état de trois types d’identité : l’identité sexuelle, l’identité de genre, l’identité biologique ou sexuée :

- l’identité sexuelle est la conviction d’être fille ou garçon et l’adoption de comportements qui, dans chaque culture, sont propres aux garçons et aux filles, aux hommes et aux femmes ;

- l’identité de genre fait référence au sexe social et psychologique ;

- l’identité biologique fait référence au sexe d’assignation qui va déclencher dans l’entourage social des réactions différenciées en fonction de la catégorie-sexe d’appartenance.

Or, le nombre de recherches qui interroge la mixité du point de vue de la construction de l’identité féminine est impressionnant. L’identité masculine ne fait pas l’objet de réflexion.

C'est pourtant un objet de recherche développé dans la littérature anglo-saxonne depuis une vingtaine d'années. La relation entre le sport et la masculinité est d'ailleurs synthétisé par un premier ouvrage, Messner et Sabo (1990) puis un second, Mc Kay, Messner et Sabo (2000).

En France, Terret (1999) constate d’ailleurs que le genre semble se limiter au féminin. Sa revue de questions (2004) nous conforte dans l’idée d'une vision plus complexe du concept de masculinité qui ne se réduit pas à une mais à des masculinités.

A ce propos, Clairefond-Topczinski (1990), dans la mouvance des gender-studies puis des men-studies, a ouvert des pistes concernant le concept de masculinité. Elle a cherché à redéfinir les concepts de masculinité et de féminité face à l’évolution des systèmes de valeurs culturelles. La montée des valeurs féminines, le partage des gestualités posent problème à la définition du masculin et du féminin. L’intérêt de sa recherche réside dans la préoccupation de

« faire éclater le carcan de la féminité » qui enferme l’imaginaire des élèves. Elle propose

alors l’activité danse aux garçons. En observant les garçons qui dansent, elle conclut que le genre est une dimension sociale, qui distingue une masculinité d’une féminité dont les attributs sont bien socio-culturels. De même, Durand-Delvigne (1992) aide à mieux rendre compte des différentes dimensions du développement des concepts de masculinité-féminité. Elle distingue l’identité sexuelle de l’identité de genre : la première est associée au sentiment d’être homme ou femme en adéquation ou non avec le sexe biologique ; la seconde entretient l’idée d’une masculinité ou d’une féminité en concordance ou non avec les normes sociales de rôle de sexe.

Finalement, certaines APSA ou certains traitements didactiques de ces APSA qui n’intègrent pas le genre des élèves, peuvent-ils influencer non seulement le choix des pratiques par les élèves mais aussi leurs modalités de pratique ? Le fait d’être débutant ou initié dans l’APSA est-il un facteur supplémentaire d’adhésion ou non aux pratiques mixtes ?

Les travaux de Aron-Michel (1994) sur l’influence de l’identité de genre des élèves dans les représentations sociales de la danse supposent l’approche des rapports entre les sexes, posés en terme de différence entre le masculin et le féminin. Ses conclusions mettent en évidence que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe est moins déterminant que d’être néophyte ou initié dans l’APSA pour y adhérer. Plus récemment, ces conclusions sont réaffirmées par une recherche que nous avons menée (Thorel, 2003). Celle-ci s’appliquait à cerner les représentations de la danse, d’une population de 228 élèves de 6e, 5e, 3e, terminale et

d’étudiant-e-s en 2e année de STAPS (tous néophytes), lors d’une première séance de danse contemporaine vécue en situation de mixité. Les conclusions mettent en évidence des différences de représentations filles-garçons. L'outil du processus d’impression sémantique développé par Osgood (Menahem, 1968) et repris par David (1993) a servi de base à la construction de ce questionnaire. Les profils sémantiques obtenus indiquent que :

- le nombre d’items significativement différents entre filles et garçons est d’autant plus important que les élèves sont jeunes et néophytes ;

- c’est en STAPS (L2) que les écarts entre filles et garçons sont les plus grands, sur un nombre réduit d’items significativement différents ;

- c’est en terminale et en 5e que les stéréotypes sont fortement sexués chez les garçons ;

- ce qui est prioritairement choisi comme valeur « féminine » pour les filles et valeur « masculine » pour les garçons en début de scolarité s’inverse avec l’âge.

Même si l’inventaire des représentations ne permet d’avoir qu’une photographie de celles-ci à un moment donné, dans un contexte particulier, ces résultats incitent à penser que la mixité est un moyen fort pour que les individualités et les différences se rencontrent ; si le traitement didactique inclut une réflexion sur le genre des élèves, excluant les stéréotypes sexués.

Par exemple, les recherches de Kugelmann (1996) en Allemagne, conduisent à repérer les stéréotypes chez les enseignants d’éducation physique justifiant d’une séparation des sexes quelle que soit l’APSA. Ceux-ci justifient ainsi leurs arguments de séparation par cinq thèmes : la force, l’espace, le temps de l’effort, les objets (leur signification ), les représentations du corps. L’auteure essaie de contrer ces arguments en trouvant à chacun d’entre eux une faille.

Concernant les APSA demandant de la force, habituellement pensées comme étant l’apanage des garçons, elle déclare que la force peut aussi signifier un but à atteindre comme par exemple la capacité à pratiquer le vélo contre un vent fort ou la force de dire non à une situation de mise en danger. Dans ce cas, la force n’a pas de sexe.

L’espace de mouvement serait différent, les filles seraient mises en danger par les garçons ayant un plus grand besoin de mouvement. Or, si l’éducation revient à connaître ces différences, elle avance l’idée que les adolescent-e-s ont tous et toutes besoin d’un espace libre de mouvement qu’ils utilisent à leur guise. L’éducation revient alors à ne pas gêner l’autre.

Le temps de jeu ou d’effort ou le rythme dans les enchaînements d’actions tels que la natation ou les rythmes à suivre dans les activités de danse seraient difficilement compatibles dans un enseignement mixte. L’éducation consiste alors à leur indiquer que seul l’entraînement régulier augmente les possibilités de réussite. Les différences se situent plutôt dans le management particulier que l’enseignant-e accorde à chacun-e en fonction de sa sensibilité et de son propre rythme.

Il est de coutume d’entendre que la relation aux objets a une spécificité de genre. Mais le ballon pour les garçons comme moyen de combattre l’autre peut aussi être utilisé comme moyen de développer des habiletés motrices. L’éducation consiste alors à faire prendre conscience à tous que les objets peuvent avoir des significations différentes en fonction des habiletés que l’on veut développer.

Enfin, les représentations du corps ne passent pas nécessairement par des différences d’attitude ou des différences d’apparence filles-garçons, c’est à chacun de construire son identité, sa propre image sans passer par les modèles véhiculés par les médias.

Pour Kugelmann, le débat sur la coéducation dure depuis trente ans. Sa réflexion aboutit à cette question : finalement l’enseignement sportif coéducatif est-il une chance pour l’affirmation de l’identité de genre ?

Malgré les spécificités des différences de genre, l’auteure déclare que la coéducation est une chance pour l’équité. En effet, les filles peuvent avoir le goût du combat dans un jeu de hockey sur patins et les garçons reconnaître l’esthétique des traversées de skate-board. C’est l’accès de chacun-e à toutes les motricités et l’arrêt des frontières entre les sexes qu’elle préconise pour éduquer un individu complet. Mais dans certains länder, l’éducation physique en mixité est organisée uniquement dans les quatre premières années d’école. La raison officielle est que les contacts physiques entre filles et garçons et enseignant-e-s sont à éviter, pour être en conformité avec les attentes d’une éducation traditionnelle. Il est impossible d’ignorer ces questionnements de pays proches, qui existent aussi en France. L’ouvrage polémique de Fize (2003) a suscité d’ailleurs bien des débats.

En France, le législateur a eu besoin de rappeler les conditions d’une meilleure prise en charge de la mixité (B.O., 2000 a). Finalement est-elle garante d’une véritable équité entre les sexes, va-t-elle de soi ou même est-elle vraiment appréhendée ?

Après avoir abordé les travaux relatifs à l’organisation mixte des classes et la nécessaire avancée de la réflexion du passage de la mixité à la coéducation, l’idée de la

coéducation comme partie intégrante du curriculum a été abordée. Cela a nécessité un passage par l’évaluation et l’accent mis sur les écarts de réussite entre filles et garçons en EPS. Inévitablement, il a fallu délimiter les notions de féminin et de masculin en rapport aux APSA et les concepts de masculinité et de féminité. Ce premier travail facilite la compréhension de la structuration des croyances sur le genre et leur influence sur le traitement des APSA en contexte mixte. Ces croyances ont certainement une influence sur les mises en œuvre et l’apprentissage de la coéducation. Le point suivant envisage de discuter des recherches entreprises sur les pratiques professionnelles en contexte mixte.