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En pratique, le maintien de la double incrimination a parfois abouti à des situations assez scandaleuses d ’impunité pour des faits graves aux yeux de la Communauté internationale

En ce sens, citons l’affairePinochet dans laquelle, par une décision rendue le 24 mars 1999, la Chambre des Lords a rejeté la demande d’extradition de l’ancien dictateur pour les faits commis avant le 8 décembre 1988 (date d’entrée en vigueur au Royaume-Uni de la Convention internationale contre la torture) dès lors que la double incrimination n’était pas remplie pour les actes commis avant cette date95. Ainsi, malgré la reconnaissance de la gravité des faits reprochés à Pinochet, la condition de la double incrimination a constitué un obstacle à sa remise, prouvant par la même à quel point cette condition peut handicaper les procédures d’extradition et donc l’efficacité de la coopération pénale internationale. Il apparaît même scandaleux de se voir empêché de poursuivre un auteur ayant commis de tels actes pour un tel motif. Et il peut en être de même pour d’autres faits comme ceux relevant de la pédophilie qui demeure aujourd’hui impunie dans certains pays, asiatiques par exemple.

Toujours en pratique, le grand développement des moyens de communication et de transport a permis une très grande expansion de la criminalité transfrontalière. Les criminels peuvent, au même titre que tout individu, se déplacer plus facilement et étendre le champ et les conséquences de leurs actions. À cela, il faut ajouter l’importance des réseaux numériques qui renforce encore ce processus. L’on a pu ainsi constater que « l’une des caractéristiques principales de la criminalité au XXe siècle réside dans son internationalisation »96.

94 Bernadette AUBERT, Laurent DESESSARD et Michel MASSÉ, « L’organisation des dispositifs spécialisés de lutte contre la criminalité économique et financière en Europe : Droit international » in

L’organisation des dispositifs spécialisés de lutte contre la criminalité économique et financière en Europe, Collection de la faculté de Droit et des sciences de Poitiers, nouvelle série, n°4, LGDJ, 2004, p. 64.

95 Jean-Yves DE CARA, « L’affaire Pinochet devant la chambre des Lords », AFDI, 1999, p. 72 et s.

96 Secrétariat général, « 1946 … 1986- Interpol : quarante ans après la conférence de Bruxelles » Rev. Int.

Police crim. 1986, p. 149.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

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Dans un tel contexte, l’exigence de la double incrimination va à l’encontre du développement de la coopération pénale internationale. Et l’efficacité de la lutte contre la criminalité transfrontalière et de la coopération pénale internationale semble rendre nécessaire de supprimer cette condition97.

45. Sur le plan international, l’Europe semble la plus à même d’accepter une remise en cause de la double incrimination, pour deux grandes raisons. La première est en lien avec la libre circulation des personnes et la suppression des frontières intérieures par la Convention d’application des Accords de Schengen du 19 juin 1990. Cette libre circulation favorise sans aucun doute la circulation des criminels entre les États de l’Union européenne amenant l’Union européenne à intégrer des dispositions dédiées à la sécurité et à la coopération pénale entre États membres dans tous les traités majeurs de l’Union, comme le Traite de Maastricht de 1992, le Traité d’Amsterdam et le Traité de Lisbonne. Par cette suppression des frontières, l’Europe a pris le risque d’être un environnement criminel fertile. Pour contrer un tel risque, l’Union européenne doit mettre en œuvre une coopération pénale efficace et lever dès que possible tous les obstacles classiques de la coopération pénale inter-étatique comme la condition de double incrimination, et ce afin de donner aux citoyens un sentiment commun de justice dans toute l’Union européenne98.

La seconde raison favorisant la remise en cause de la double incrimination au sein de l’Union européenne réside dans l’existence d’un minimum d’identité pénale entre les États membres de l’Union européenne. L’identité pénale européenne est une expression faisant référence à l’existence de points communs entre les États, favorisant des rapprochements tant en droit pénal de fond qu’en droit pénal de forme99. Cette identité repose sur le socle fondamental des droits de l’homme et sur les principes de l’État de droit. La Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des Droits

97 Anne WEYEMBERGH, « L’avenir des mécanismes de coopération judiciaire pénale entre les États membres de l’Union européenne », in vers un espace judiciaire pénal européen, édition de l’Université de Bruxelles, 2000, IEE, p. 158 et s.

98 Communication de la commission, Vers un espace de liberté, de sécurité et de justice, Bruxelles, le 14 juillet 1998, COM(1998) 459 fin al.

Introduction

de l’Homme, la Cour de justice et même plus récemment la Charte des Droits fondamentaux du 7 décembre 2000 participent incontestablement à l’essor de cette identité.

Néanmoins, le maintien d’États souverains « concurrents » sur le continent européen rend difficile voire utopique de parler d’identité pénale européenne stricte et complète. Des facteurs historiques, idéologiques ou même culturels rendent inconcevable une telle identité. Toutefois, cela n’empêche pas d’affirmer l’existence d’une culture juridique relativement commune depuis la création du Conseil de l’Europe et qui a été renforcée ensuite par l’intervention de l’Union européenne en matière pénale, tant par la mise en œuvre de mécanismes propres aux États européens que par l’adoption de normes pour lutter contre certains crimes.

46. L’application de la double incrimination peut ainsi constituer un obstacle à la lutte contre la délinquance internationale et justifier sa remise en cause, voire son abandon. Mais avant de déterminer s’il est possible, aujourd’hui, d’envisager un tel abandon, il convient, au préalable, de délimiter avec précision le champ d’application de la double incrimination. C’est pourquoi nous étudierons, dans une première partie, le domaine de la double incrimination, puis, dans une seconde partie, l’application de cette condition.

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