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La double incrimination et les motifs de refus de la coopération judiciaire internationale

dans les instruments européens spéciaux

A. Les conventions du Conseil d ’Europe

3. La double incrimination et les motifs de refus de la coopération judiciaire internationale

351. La Convention de 1990 et celle de 2005 contiennent une Section 5 consacrée aux motifs de refus intitulé « Refus et ajournement de la coopération ». La Convention de 2005 a adopté les mêmes dispositions que celles figurant dans la Convention 1990 à quelques modifications près, mais non des moindres car certaines ont trait à la double incrimination.

352. Commençons par la Convention de 1990 avant de citer les modifications apportées par la Convention de 2005. On peut y trouver deux allusions à la double incrimination, la première d’entre elles figure, à l’article 18 § 1 a et b, qui énonce que la coopération peut être refusée si la mesure sollicitée est contraire aux principes fondamentaux de l’ordre juridique de la partie requise et/ou si la demande risque de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la Partie

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requise. Une formule que l’on trouve également dans les conventions internationales précitées telles que celles des Nations-Unies ou les Conventions européennes et que certains auteurs ont estimé comme laissant cours à une interprétation vaste permettant de considérer la double incrimination comme une condition dont l’absence pourrait porter atteinte à l’ordre public national354.

353. La seconde référence faite à la double incrimination est davantage explicite, comme le montre le § 1-f de ce même article prévoyantque la coopération peut être refusée dans le cas où « l’infraction à laquelle se rapporte la demande ne serait pas une infraction au regard du droit de la partie requise si elle était commise sur le territoire relevant de sa juridiction. Toutefois, ce motif de refus ne s’applique à la coopération prévue par la Section 2 que dans la mesure où l’entraide sollicitée implique des mesures coercitives ». Cet article fait référence ici à la condition de double incrimination, tout en spécifiant qu’elle n’est pas une condition valable pour toutes les catégories d’assistance. S’agissant de l’assistance prévue par la Section 2 de la Convention de 1990 ainsi que celle de 2005, cette condition n’est valable que lorsque des mesures coercitives sont impliquées355. 354. Le paragraphe 2 de l’article 18 de la Convention de 1990 et l’article 28 de la Convention

2005 présentent quant à elles la même rédaction en lien avec de l’utilisation spéciale de la double incrimination, concernant les mesures demandées par l’État requérant à l’État requis lorsqu’elles sont de nature coercitive. « La coopération prévue par la Section 2, dans la mesure où l’entraide sollicitée implique des mesures coercitives, et celle prévue par la Section 3 du présent chapitre peuvent également être refusées dans les cas où les mesures sollicitées ne pourraient pas être prises en vertu du droit interne de la partie requise à des fins d’investigations ou de procédures, s’il s’agissait d’une affaire interne analogue ». Ce paragraphe 2 s’applique seulement à des mesures provisoires ou à une entraide aux fins d’investigations ayant un caractère coercitif. Il n’est pas sans lien avec les articles 9 et 12-1 qui précisent que les demandes d’entraide doivent être exécutées

354 Didier REBUT, op. cit., p. 305, n° 506.

355 Rapport explicatif de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, S.T.E. n° 141, p. 21.

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conformément aux lois internes de l’État requis. Ladite disposition a donné pour solution une « fiction », en donnant la possibilité à l’État requis de refuser la demande d’une mesure ayant une nature coercitive au cas où la même mesure n’aurait pas pu être prise selon son propre droit356. Cette exigence de reconnaissance mutuelle de la mesure demandée par l’État requérant trouve des similitudes avec la conception de l’utilisation spéciale de la double incrimination qui exige la reconnaissance par l’État requis du chef de compétence sur lequel l’État requérant se repose pour accepter ou refuser la demande d’extradition. Ainsi, l’exigence de reconnaissance mutuelle des mesures demandées se trouve sur le même plan que la notion de l’utilisation spéciale de la double incrimination. 355. La question posée dans ce contexte concerne la notion de « mesure coercitive ». En effet, quelle Partie est la plus apte à déterminer la nature coercitive de la mesure faisant l’objet de la demande d’entraide ? Selon nous, ce droit appartient à l’État partie requis car il est dans son intérêt que la condition de double incrimination soit maintenue357.

356. Comme nous le mentionnions plus haut, la Convention de 2005 a apporté des modifications substantielles aux motifs de refus figurant à la Section 5 article 28. Nous ne nous intéresserons toutefois qu’aux modifications ayant trait à la double incrimination. Le paragraphe g de l’article 28 adopte la même rédaction que l’article 18-f de la Convention de 1990 : « lorsque la double incrimination est exigée pour la coopération en vertu du présent chapitre, cette obligation est considérée remplie, que les deux parties classent ou non l’infraction dans la même catégorie d’infraction ou qu’elles utilisent ou non la même terminologie pour la designer, dès lors que les deux parties incriminent l’acte qui est à la base de l’infraction ». Intégrer ce type de phrase semble devenir nécessaire au vu des différentes applications possibles de la condition de double incrimination qui résultent de divergences d’interprétation (in abstracto ou in concreto). La Convention de 2005 a voulu surmonter cet obstacle en imposant l’interprétation in abstracto à l’instar de plusieurs conventions européennes en matière de coopération

356 Ibid. p. 22

357 Ibid. p. 22

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internationale. La méthode « in abstracto » envisage le fait commis en lui-même : la condition de double incrimination doit être considérée remplie dès lors que le fait faisant l’objet de la demande d’entraide constitue une infraction pénale selon la loi de l’État requis358 sans égard à la terminologie adoptée par l’État requérant. La dénomination législative officielle donnée par l’État requérant ou même la sanction que fait encourir celle-ci, ne doit ainsi pas être prise en compte. Il suffit que, dans leur contenu, les actes incriminés soient similaires et tendent à protéger les mêmes intérêts juridiques.

357. Cette interprétation diverge quelque peu lorsqu’il s’agit d’une mesure et non d’une infraction ; un État pouvant refuser la demande d’entraide malgré l’existence de la double incrimination du fait que la mesure lui soit inconnue ou qu’elle viole des principes fondamentaux en droit interne. Selon le Rapport explicatif de la Convention de 2005, dans le cas où la double incrimination est exigée en vertu des articles 16 et 22 (traitant de l’obligation d’entraide aux fins d’investigations et d’exécution des mesures provisoires), il suffit d’appliquer la double incrimination in abstracto359.

358. La condition de la double incrimination s’applique dans l’hypothèse où l’infraction punissable dans l’État requérant l’est aussi dans l’État requis, et dans lequel l’auteur de cette infraction aurait alors été passible d’une sanction en vertu de la législation de ce même État. Cependant il convient d’appliquer la condition de la double incrimination avec souplesse afin de garantir que la coopération prévue par la Convention de 1990 et celle de 2005 privilégie le fond par rapport à la forme360.

359. L’article 28 § 3 de la Convention 2005 reprend l’article 18 de la Convention de 1990 en donnant la possibilité à l’État requis de refuser la demande d’entraide judiciaire lorsque la mesure sollicitée dans la demande ne serait pas autorisée par la législation de la partie requérante, ou, en ce qui concerne les autorités compétentes de la partie requérantes, si la demande n’est autorisée ni par un juge ni par une autorité judiciaire, y compris le

358 V. Rapport présenté par George LEVASSEUR au Xe Congrès de l’Association internationale de droit pénal, RIDP, 1968, p563.

359 Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, STCE. n° 198, p. 37.

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Ministère public, ces autorités agissant en matière d’infractions pénales. Il est alors donné droit à l’État requis d’apprécier si les mesures sollicitées dans la demande d’entraide présentée par l’État requérant sont autorisées par les législations de cet État. La question posée est alors de savoir comment l’État requis a la capacité de savoir si la législation de l’État requérant autorise tel ou tel type de mesure ou non. L’article 37 de la Convention de 2005 ainsi que l’article 27 de la Convention de 1990 ajoutent que :

« 1 : toute demande de coopération prévue par le présent chapitre doit préciser : D : dans la mesure où la coopération implique des mesures coercitives : i : le texte des dispositions légales ou, lorsque cela n’est pas possible, la teneur de la loi pertinente applicable ; ii : une indication selon laquelle la mesure sollicitée ou toute autre mesure ayant des effets analogues pourrait être prise sur le territoire de la partie requérante en vertu de sa propre législation ». En vertu de l’article 37, l’État requis a la faculté d’assurer la bonne application de l’utilisation spéciale de la double incrimination en matière de mesures demandées par l’État requérant.

360. L’article 28 § 4 de la Convention de 2005 ainsi que l’article 18 de la Convention de 1990 abordent les motifs de refus pour la coopération telle qu’elle est prévue à la Section 4 pour ce qui est de la confiscation. Ces dispositions donnent elles aussi le droit à l’État requis de refuser la confiscation – soit la demande de confiscation soit la décision rendue par l’État requérant à propos de la confiscation- dans les cas où la législation de la partie requise ne prévoit pas la confiscation pour le type d’infraction sur lequel porte la demande. Ce motif de refus consiste aussi en une non-reconnaissance de cette mesure pour l’infraction faisant l’objet de la demande de coopération et relève donc également du concept de l’utilisation spéciale de la double incrimination.

361. Il est également donné au paragraphe 4 de ce même article la possibilité à l’État requis de refuser la coopération en matière de confiscation si, en vertu de sa législation, la décision de confiscation ne peut plus être prononcée ou exécutée pour cause de prescription. L’État requis peut considérer qu’il est contraire à son ordre public de contribuer à une répression qu’il estime prescrite, outre le fait qu’il estime que le fait prescrit au regard de son droit interne ne relève pas de la criminalité commune dont la lutte est le fondement de l’extradition. L’obstacle que représente la prescription peut s’apparenter à une condition

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de double répression, et qui s’ajouterait à celle de la double incrimination. En effet, il ne suffit pas que le fait soit incriminé par les deux États, il doit être aussi susceptible d’être réprimé par les deux États361.

362. L’article 32 de la Convention de 2005 intitulé « Reconnaissance des décisions étrangères » oblige l’État requis, en ses Sections 3 et 4, pour tout ce qui relève des décisions judiciaires étrangères en matière de coopération, de les reconnaître et de leur donner valeur exécutoire aux fins de leur mise en œuvre. Le même article donne aussi le droit à l’État requis de refuser la reconnaissance de la décision judiciaire étrangère si elle s’avère incompatible avec l’ordre public de la Partie requise.

363. Par conséquent nous pouvons constater que la double incrimination demeure une condition importante même si dans ces conventions européennes elle n’apparaît pas toujours clairement, voire n’est pas abordée. Toutefois elle a été abordée tant explicitement qu’implicitement dans les Conventions de 1990 et 2005, que ce soit au niveau des faits ou au niveau des mesures sollicitées, et ce sous trois angles : elle constitue un principe général dans la coopération internationale entre les États membres européens, elle constitue une condition de mise en œuvre des mesures d’entraide judiciaire, et elle constitue, enfin, un motif de refus en matière de coopération judiciaire internationale.

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