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La double incrimination au sein des dispositions générales sur la coopération internationale

de lutte contre la cybercriminalité

A. La double incrimination au sein des dispositions générales sur la coopération internationale

395. L’article 23 de la Convention pose les principes généraux de la coopération internationale et son champ d’application. Il incite les États à coopérer dans la mesure la plus large possible conformément aux dispositions du Chapitre III et en appliquant les instruments internationaux pertinents, ou les arrangements reposant sur des législations nationales uniformes ou réciproques. La coopération internationale selon l’article 23 vise les investigations ou les procédures concernant les infractions pénales liées à des systèmes et données informatiques, ou le recueil, sous forme électronique, de preuves d’une infraction pénale. Concernant le champ d’application de la coopération internationale, il ne s’agit pas uniquement d’infractions purement informatiques ou liées à des systèmes informatiques mais également d’infractions de droit commun dès lors que les preuves pourront ou devront être collectées ou recueillies par des moyens électroniques, comme par exemple un meurtre392. Ainsi, le traitement de la double incrimination s’appliquera à ce champ d’application.

396. L’article 24 intitulé « Extradition » fait de la double incrimination une condition principale en matière d’extradition : « le présent article s’applique à l’extradition entre

392 Peter CSONKA, « The council of Europe’s Convention on cyber-crime and other European initiatives », R.I.D.P, vol. 77, n° 3 et 4, 2006, p. 495.

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les parties pour les infractions pénales définies conformément aux article 2 à 11 de la présente convention, à condition qu’elles soient punissables dans la législation de deux parties concernées par une peine privative de liberté pour une période maximale d’au moins un an, ou par une peine plus sévère » (§ 1 a). L’obligation d’extradition n’est donc envisagée que pour les infractions déterminées aux articles 2 à 11 de la convention393 si la condition de double incrimination est remplie selon le modèle de « la peine minimale », l’article 24 exigeant un seuil minimal de peine encourue dans les législations des deux parties concernées. Les auteurs de la Convention ont décidé de prévoir une peine minimale, car en vertu de la Convention, les États parties peuvent punir certaines infractions mentionnées d’une peine maximale plus douce et plus courte. Ils ne voulaient donc pas aboutir au fait que chacune des infractions soit considérée ipso facto comme pouvant donner lieu à l’extradition394.

397. En cas de divergence sur la peine minimale dans un traité bilatéral ou multilatéral ou au sein de la Convention européenne d’extradition, ou encore dans un arrangement reposant sur des législations uniformes ou réciproques, la peine figurant dans ces instruments doit s’appliquer (paragraphe 1-b de l’article 24). Cela confirme ce que prévoit l’article 23, à savoir la subsidiarité des dispositions de cette Convention sur les dispositions des instruments dédiés à la coopération internationale.

398. Le paragraphe 2 de l’article 24 surmonte l’obstacle de la double incrimination figurant au paragraphe 1-a lorsque l’un des États concernés punit les infractions concernés d’une peine maximale de moins d’un an. En effet, il prévoit que « les infractions pénales décrites au paragraphe 1 du présent article sont considérées comme incluses en tant qu’infractions pouvant donner lieu à l’extradition dans tout traité d’extradition existant

393 Ces infractions sont divisées en trois catégories, la première comprenant des infractions relatives à la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données et systèmes informatiques, les infractions informatiques qui sont la version informatique des infractions commises dans le monde physique. La deuxième comprend les infractions de contenu, relative à l’envoi et la diffusion de contenus illégaux sur Internet telle la pédopornographie, racisme, xénophobie ou les actes relatifs de la justification du génocide ou des crimes contre l’humanité. Enfin la troisième comprend les infractions portant atteinte à la propriété intellectuelle. V. Paul DE HERT, Irènee WIECZOREK et Gertjan BOULET, op. cit. p. 274.

394 Rapport explicatif de la Convention sur la cybercriminalité, Budapest le 23 novembre 2001, S.T.E. n° 185, p. 49.

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entre ou parmi les parties. Les parties s’engagent à inclure de telles infractions comme infractions pouvant donner lieu à l’extradition dans tout traité d’extradition pouvant être conclue entre ou parmi elles ». Cela ne veut pas dire pour autant que l’extradition doit être accordée chaque fois qu’une demande est présentée en vertu de ce paragraphe, mais plutôt qu’il est possible de faire droit à une demande d’extradition visant des personnes ayant commis ce type d’infraction395. En tout cas, pour ce qui est des États européens ayant ratifié et adopté le mandat d’arrêt européen, la cybercriminalité figure dans la liste des trente-deux infractions pour lesquelles la double incrimination ne s’applique pas396. 399. La double incrimination est également sous-tendue par le paragraphe 5 de l’article 24 qui

subordonne l’extradition aux conditions prévues par le droit interne de la partie requise ou par les traités d’extradition en vigueur, y compris les motifs pour lesquels la partie requise peut refuser l’extradition. On peut alors se demander pourquoi la Convention a subordonné les conditions de l’extradition aux lois internes de la partie requise alors que la question de la double incrimination a déjà été abordée au paragraphe 1 et 2 de l’article 24 ? Le premier élément de réponse est que le paragraphe 5 est assez général et ne concerne pas seulement la double incrimination mais l’ensemble des conditions relatives à l’extradition telles que, par exemple, le principe non bis in idem et le principe de spécialité. Le deuxième élément de réponse est que le paragraphe 4 concerne les cas d’absence de convention ou de traité d’extradition entre les États parties, et qu’en pareil cas la Convention sur la cybercriminalité pourrait être considérée comme le seul fondement juridique valable pour l’État requis afin d’accorder l’extradition à un État requérant qui ne serait pas lié avec l’État requis par un traité d’extradition. La Convention sur la cybercriminalité est alors le fondement juridique de l’extradition, et l’article 24 paragraphe 5 permet de réserver une place à la double incrimination pour la mise en œuvre de l’extradition.

400. Le paragraphe 5 affirme aussi le caractère subsidiaire des dispositions dédiées à la coopération internationale dans la Convention sur la cybercriminalité, en donnant la

395 Rapport explicatif, op. cit. p 50

396 V. paragraphe 2 de l’article 2 de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (2002/584/JAL), JOCU L 190/1, le 18 juillet 2002.

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priorité aux lois internes ou aux instruments internationaux en vigueur sur l’extradition. Il en est ainsi de la Convention européenne sur l’extradition de 1957 dans laquelle la double incrimination apparait comme une condition essentielle pour accorder l’extradition entre les États parties397.

401. La double incrimination en matière d’entraide judiciaire pénale entre les États parties est traité de manière plus souple dans cette convention. L’article 25 relatif aux principes généraux d’entraide, incite non seulement les États à accorder l’entraide la plus large possible, mais les oblige à adopter les mesures législatives ou autres qui se révèleraient nécessaires pour s’acquitter des obligations énoncées aux articles 27 à 35398. L’adoption de mesures législatives conformes aux articles 27 à 35 est de nature à surmonter l’obstacle de l’utilisation spéciale de la double incrimination dans les cas où la mesure sollicitée par l’État requérant n’existe pas dans l’État requis, ou porte atteinte à son ordre public. 402. Le paragraphe 4 de l’article 25 prévoit que : « sauf disposition contraire expressément

prévue dans les articles du présent chapitre, l’entraide est soumise aux conditions fixées par le droit interne de la partie requise ou par les traités d’entraide applicables, y compris les motifs sur la base desquels la partie requise peut refuser la coopération. La partie requise ne doit pas exercer son droit de refuser l’entraide concernant les infractions visées aux articles 2 à 11 au seul motif que la demande porte sur une infraction qu’elle considère comme de nature fiscale ». Est par la même posé un principe général selon lequel l’entraide est soumise aux conditions fixées par les lois internes ou les traités d’entraide applicables, sous réserve des dispositions du Chapitre III. Ainsi, selon les dérogations mentionnées dans ce chapitre, la double incrimination subira le traitement figurant dans la Convention et non celui des législations nationales ou des instruments internationaux en vigueur399.

403. Le paragraphe 5 de l’article 25 est plus explicite, puisqu’il indique que: « lorsque, conformément aux dispositions du présent chapitre, la partie requise est autorisée à

397 V. article 2 de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1975, S.T.E. n° 24.

398 Les articles 27 à 35 concernant les mesures d’entraide judiciaire en l’absence d’accords internationaux applicables et les mesures d’entraide judiciaire au sein des dispositions spéciales.

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subordonner l’entraide à l’existence d’une double incrimination, cette condition sera considérée comme satisfaite si le comportement constituant l’infraction, pour laquelle l’entraide est requise, est qualifié d’infraction pénale par son droit interne, que le droit interne classe ou non l’infraction dans la même catégorie d’infraction ou qu’il la désigne ou non par la même terminologie que le droit de la partie requérante ». La Convention autorise ainsi l’État requis à subordonner la demande d’entraide présentée par l’État requérant à la validation de la condition de double incrimination. Cette permission donnée à la partie requise de subordonner l’entraide à la double incrimination est générale, sans exception ni dérogation, et pourrait donc être appliquée même aux dérogations de l’article 25 § 4 de la Convention sur la cybercriminalité ; à condition toutefois que l’État requis ait formulé une réserve conformément à l’article 40 concernant la suppression de la double incrimination à l’article 29 concernant la conservation rapide de données informatiques stockées, comme nous le verrons au sein des dispositions spéciales sur la coopération internationale.

Le reste du paragraphe revêt un caractère interprétatif et prévoit une interprétation in abstracto de la double incrimination. Cette disposition a été jugée nécessaire afin de garantir que les parties requises ne recourent pas à un critère trop rigide lorsqu’elles appliquent la double incrimination400, d’autant plus ici compte tenu des différences entre les ordres juridiques, et des terminologies variées usitées par les États membres concernant les actes infractionnels figurant dans la Convention.

404. La Convention sur la cybercriminalité comprend des dispositions spéciales sur l’entraide judiciaire en matière pénale applicables en l’absence d’accords internationaux en vigueur. Cette particularité représente une nouveauté dans l’univers des conventions européennes visant à lutter contre de telles infractions. En effet, il ne s’agit pas d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale mais plutôt d’une convention pénale concernant l’incrimination de certains actes, dans laquelle figurent des dispositions concernant l’entraide judiciaire en l’absence d’accord international applicable. L’article 27 intitulé « procédures relatives aux demandes d’entraide en l’absence

400 Ibid.

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d’accords internationaux applicables » n’instaure cependant pas de régime général en matière d’entraide judiciaire pénale, qui se substituerait à celui des autres instruments et arrangements applicables. Dès lors, les spécialistes et praticiens ne peuvent confondre entre le régime spécial de cette convention et celui des instruments ou arrangements internationaux tels que la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959 (S.T.E. n° 30) et ses protocoles additionnels (S.T.E. n° 99)401.

405. Ce même article 27 comble cette absence de traité ou d’arrangement en appliquant les dispositions des paragraphes 2 à 9 à la demande d’entraide, substituant alors aux droits internes les questions posées par l’entraide telles que la création d’une autorité centrale, l’imposition de conditions, les motifs et procédures en cas d’ajournement ou de refus, la confidentialité des requêtes et les communications directes. Toutefois ce texte peut porter à confusion sur la question de la double incrimination si l’on admet que la question de la double incrimination trouve sa réponse à l’article 27 en l’absence d’instrument international d’entraide judiciaire, surtout au regard de l’article 25 § 4 qui subordonne les conditions de l’entraide judiciaire aux conditions fixées par le droit interne de l’État requis.

406. Cette confusion pourrait néanmoins être dissipée par l’article 27 § 4 qui indique que : « outre les conditions ou les motifs de refus prévus à l’article 25 paragraphe 4, l’entraide peut être refusée par la partie requise ». Ce paragraphe affirme que les conditions d’application ou les motifs de refus sont ceux fixés par le droit interne de la partie requise, ce qui englobe aussi la question de la double incrimination. Ainsi, en cas de dispositions sur la double incrimination dans le droit interne de la partie requise, et en l’absence d’accord ou d’arrangement international en matière d’entraide judiciaire pénale, elle sera appliquée.

407. Il importe que les mesures d’entraide sollicitées par l’État requérant soient exécutées selon les modalités présentées par cet État, tout en respectant la notion de l’utilisation spéciale de la double incrimination. Ces mesures doivent être connues dans le système juridique de l’État requis ou au moins ne pas être incompatibles avec celui-ci. Ainsi le

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paragraphe 3 prévoit que « les demandes d’entraide sous le présent article sont exécutées conformément à la procédure spécifiée par la partie requérante, sauf lorsqu’elle est incompatible avec la législation de la partie requise ». L’État requis veille ainsi à assurer le respect des dispositions de son droit interne surtout concernant l’admissibilité des preuves, ce qui lui permet d’utiliser lesdites preuves en justice. Pour qu’il puisse donner suite à ces règles de preuve, le paragraphe 3 affirme que la demande d’entraide sollicitée par l’État requérant ne doit pas être incompatible avec sa législation interne ou susceptible de porter atteinte à son ordre public. Par exemple, l’État requérant ne pourra pas solliciter de demande de perquisition ou de saisie à l’État requis si ladite mesure n’est pas conforme aux règles juridiques fondamentales appliquées par la partie requise à ce type d’opération402. Le respect à la lettre du paragraphe 3 et des principes généraux d’entraide judiciaire implique que le motif de refus de la demande se limite aux mesures incompatibles avec les législations de la partie requise et ne s’étendent pas aux mesures étrangères.

408. Le paragraphe 4-b de l’article 27 reprend l’atteinte à la souveraineté nationale, à la sécurité de l’État requis ou à son ordre public comme étant un motif de refus de la demande d’entraide présentée par l’État requérant, l’atteinte à l’Ordre public pouvant englober la question de la double incrimination si elle n’est pas remplie403.

409. Ainsi, au sein des dispositions générales du Chapitre III de la Convention sur la cybercriminalité, la double incrimination est bien présente tant selon du modèle de la peine minimale que celui de liste d’infractions. Pour l’entraide judiciaire en matière pénale, il s’avère qu’elle n’est pas été mentionnée comme étant une condition essentielle favorisant l’entraide judiciaire la plus large possible. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle en est totalement absente. En effet, les auteurs de la Convention ont octroyé aux États une marge d’application concernant la double incrimination. Au niveau politique, la présence de la double incrimination assure une marge de sécurité pour les États du fait du manque de confiance mutuelle. Ils incitent donc les États à adhérer à cette Convention

402 Ibid, p. 55.

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