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Des innovations dans le traitement de la double incrimination

de lutte contre la criminalité organisée

B. Des innovations dans le traitement de la double incrimination

320. La Convention internationale contre la corruption aborde le sujet de la double incrimination dans son Chapitre IV intitulé « Coopération internationale ». Ce chapitre, et plus précisément son article 43, pose les bases du concept de double incrimination en prévoyant qu’« en matière de coopération internationale, chaque fois que la double incrimination est considérée comme une condition, celle-ci est réputée remplie, que la législation de l’État partie requis qualifie ou désigne ou non l’infraction de la même manière que l’État partie requérant, si l’acte constituant l’infraction pour laquelle

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l’assistance est demandée est une infraction pénale en vertu de la législation des deux États ».

321. Cet article est conforme au paragraphe 2-c de l’article 23 concernant le blanchiment du produit du crime et qui prévoit que « aux fins de l’alinéa b ci-dessus, les infractions principales incluent les infractions commises à l’intérieur et à l’extérieur du territoire relevant de la compétence de l’État partie en question. Toutefois, une infraction commise à l’extérieur du territoire relevant de la compétence de l’État partie ne constitue une infraction principale que lorsque l’acte correspondant est une infraction pénale dans le droit interne de l’État où il a été commis et constituerait une infraction pénale dans le droit interne de l’État partie appliquant le présent article s’il avait été commis sur son territoire ».

322. C’est l’article 43-2 qui nous indique la méthode d’interprétation de la double incrimination à laquelle il convient de se plier pour la mise en œuvre de cette convention. En fait, il s’agit d’éviter que les États procèdent à une construction in abstracto334 de la double incrimination dans l’examen judiciaire ou administratif de la satisfaction de cette condition. Comparé aux autres conventions, ce paragraphe constitue une réelle nouveauté en abordant de manière précise la double incrimination et en se référant aux actes constituant l’infraction, tout en évitant une construction formelle ou linguistique de l’acte commis. Dès lors cela permet d’atteindre l’objectif fixé par la Convention en son article premier : « La présente convention a pour objet : b) de promouvoir, faciliter et appuyer la coopération internationale et l’assistance technique aux fins de la prévention de la corruption et de la lutte contre celle-ci, y compris le recouvrement d’avoir ».

323. Dans la partie consacrée à l’extradition, l’article 44-1, qui subordonne l’extradition à la double incrimination, innove également en atténuant la rigueur de cette condition : « Nonobstant les dispositions du paragraphe 1 du présent article, un État partie dont la législation le permet peut accorder l’extradition d’une personne pour l’une quelconque

334 L’appréciation in abstracto met l’accent sur le type d’infraction, et exige que l’infraction existe dans les deux législations des pays requis et requérant. V. Christopher L. BLAKESLEY, Terrorisme, drugs

international Law and the protection of human liberty. Transnational Publishers, 1992, p. 224 et s. V. aussi

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des infractions visées par la présente convention qui ne sont pas punissable en vertu de son droit interne ». Là encore cette conception s’avère nouvelle en la matière, en particulier par comparaison à celle de la Convention contre la criminalité organisée qui n’est pas allée très loin en termes de dérogation.

Cette dérogation, présente au paragraphe 2 de l’article 44, n’est toutefois qu’un choix facultatif pour les États selon que leur droit interne impose ou non la double incrimination. Plusieurs auteurs rejoignent cette idée selon laquelle la double incrimination n’est pas une condition relevant du droit international coutumier mais est une pure création des traités et accords335.

324. D’autres nouveautés en matière de double incrimination sont par ailleurs présentes dans cette convention, notamment au paragraphe 9-a de l’article 46 qui prévoit que: « lorsqu’en application du présent article il répond à une demande d’aide en l’absence de double incrimination, un État partie requis tient compte de l’objet de la présente convention tel qu’énoncé à l’article premier ». Selon le point (a) de ce paragraphe la double incrimination n’occupe plus la même place ; cette fois la Convention internationale contre la corruption ne lui a pas octroyé de rôle obligatoire.

325. Ce qui est également nouveau et non moins important, c’est que les États parties sont tenus de fournir une aide pour toutes mesures non coercitives tant que cela reste compatible avec les lois nationales de l’État requis336. Ainsi l’illustre le paragraphe 9-b de l’article 46 disposant que : « les États parties peuvent invoquer la double incrimination pour refuser de fournir une aide en application de présent article. Toutefois, un État partie requis, lorsque cela est compatible avec les concepts fondamentaux de son système juridique, accorde l’aide demandée si elle n’implique pas des mesures coercitives … ». Le même paragraphe est présent dans la Convention contre la criminalité organisée, plus exactement au paragraphe 9 de l’article 18. Ce dernier ne mentionne cependant pas dans quelle mesure l’État partie requis pourrait déroger à la double incrimination.

335 Sharon A. WILLAMS, « the double criminality rule and extradition: A comparative analysis », Nova Law

review 15.2 (1991), p. 581- 624.

336 Guide législatif pour l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption, 2e édition révisée en 2012, p. 157.

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326. L’article 46 (§ 9 –c-) confirme la tendance de cette Convention à accorder l’entraide judiciaire en déjouant l’obstacle de la double incrimination en prévoyant que :« Chaque État partie peut envisager de prendre les mesures nécessaires pour lui permettre de fournir une aide plus large en application du présent article, en l’absence de double incrimination ». Les rédacteurs de la convention ont en effet considéré que la renonciation à la double incrimination par les États parties n’était pas très fréquente, ce qui les a amené à, en quelque sorte, les encourager à prendre les mesures nécessaires garantissant l’accomplissement de la justice en cas de demande d’entraide, surtout lorsqu’il est demandé de mettre en place des mesures coercitives. Une telle proposition ne ressort pas des autres conventions où il pourrait être question de double incrimination.

327. Dans le domaine de la lutte contre la corruption, on ne peut ignorer par ailleurs la Convention relative à la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée par l’Organisation de la Coopération et du Développement Économique en 1997337 (communément appelée O.C.D.E.)338. L’entraide judiciaire y est régie par l’article 9 dont le paragraphe 2 est le suivant : « Lorsqu’une Partie subordonne l’entraide judiciaire à une double incrimination, celle-ci est réputée exister si l’infraction pour laquelle l’entraide est demandée relève de la présente convention ». La Convention vise ici le même but que celui de la Convention internationale contre la corruption c’est-à-dire éviter dès que possible les divergences dans l’interprétation de cette condition, en se référant aux infractions et à leurs éléments constitutifs précisés dans la Convention elle-même339.

328. En conclusion, concernant la double incrimination dans la Convention des Nations-Unies contre la corruption, plusieurs points sont remarquables :

337 Une organisation internationale, dont les pays membres — des pays développés pour la plupart — ont en commun un système gouvernemental démocratique et une économie de marché. Elle joue un rôle essentiellement d’assemblée consultative. La France est partie à cette Convention et est un membre fondateur de l’OCDE.

338 Même si cette convention est consacrée aux pays développés.

339 Ce paragraphe se retrouve aussi dans les dispositions consacrées à l’extradition à l’article 10 de la même Convention.

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La double incrimination en tant qu’expression est bien dans le corps de la Convention et non en des termes faisant référence à cette notion sans la citer.

Cette Convention représente une grande avancée et fait preuve d’audace concernant le traitement de la double incrimination, en y apportant certaines nouveautés, par rapport aux autres conventions.

Elle a également montré implicitement que la double incrimination allait à l’encontre de l’objet de la Convention figurant à l’article premier et qui est de promouvoir, appuyer et faciliter la coopération internationale ; elle a déclaré explicitement la possibilité pour les États parties de déroger à cette condition340.

329. De la sorte, dans les conventions spéciales des Nations Unies :

La double incrimination demeure une condition cardinale et essentielle de la coopération internationale entre les États. L’Organisation des Nations-Unies n’a pas osé, à l’occasion de ses conventions de lutte contre certaines criminalités, exonérer les États de cette condition, et n’a réalisé que quelques tentatives timides d’atténuation. En sens contraire cela montre que les diversités juridiques entre les États ne rendent pas possible d’ignorer complètement cette condition lors de la mise en œuvre de la coopération internationale pénale.

330. La diversité de traitement de la double incrimination que l’on peut constater entre les Conventions internationales est liée à la diversité des méthodes juridiques, du style, du contenu et de la précision de textes confiés à des diplomates dont le champ d’expertise ne se situe pas en droit pénal international et comparé341.

331. Le critère chronologique permet de comprendre la diversité de traitement de la double incrimination figurant dans les Conventions des Nations-Unies déjà abordées. En effet, il apparaît des écarts remarquables entre les conventions en lien avec leur date d’adoption, comme par exemple dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, avec la Convention

340 Travaux préparatoires des négociations en vue de l’élaboration de la Convention des Nations Unies contre la corruption. Guide législatif pour l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption. Chapitre IV, p. 353 et s.

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de La Haye de 1970 et la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999. De même entre la Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 et la Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée en 2000, ou encore la Convention des Nations-Unies contre la corruption de 2003. Nous ne pouvons pas nier les effets du temps sur le développement du droit international en général et sur celui du Droit pénal international en particulier.

332. Cette diversité est également liée à l’absence de cadre normatif, en matière de coopération internationale, ayant un caractère strict et solide et liant les États les uns aux autres, comme par exemple celui des conventions internationales d’extradition et d’entraide judiciaire internationale en matière pénale ou d’autres instruments de coopération interétatique traitant des questions relatives à la coopération internationale comme la transmission des procédures pénales ou la reconnaissance des jugements étrangers. Ce manque de cadre normatif au sein des Nations-Unies a poussé l’O.N.U. à intégrer dans leurs conventions pénales des dispositions consacrées à la coopération internationale en matière pénale sans penser à une quelconque homogénéité avec les autres conventions en la matière.

333. Enfin, l’absence de politique criminelle unifiée adoptée par les Nations-Unies concernant le concept de coopération internationale et en particulier la question de la double incrimination a participé à ces variétés juridiques.

Section II.

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