• Aucun résultat trouvé

La décision- cadre relative au mandat d’arrêt européen

La double incrimination dans les normes

B. Les instruments européens en matière d ’extradition et de procédures équivalentes

2. La décision- cadre relative au mandat d’arrêt européen

140. Les procédures d’extradition classiques restent des procédures longues et relativement lentes eu égard à leur double dimension, tant politique que judiciaire. Dès lors les résultats de la lutte contre la criminalité transfrontalière ne peuvent être satisfaisants.

La libre circulation des personnes est un acquis fondamental dans la construction de l’Union Européenne, affirmée à l’article 26 du Traité sur le fonctionnement de l’Union-Européenne.

141. La suppression des frontières au sein de l’Union Européenne a conduit à la création d’un espace de liberté, de sécurité, et de justice par le Traité d’Amsterdam, ce qui a marqué un tournant majeur dans la coopération judiciaire entre les États membres de l’Union Européenne. Cette démarche s’est inscrite dans un programme de construction de l’Europe, qui a progressivement inclus de nouveaux domaines de compétences dont le troisième pilier « Justice et Affaires intérieures » institué par le Traité de Maastricht du 7 février 1992. Face au développement rapide des moyens de communication et de transport et à la suppression des frontières, la criminalité a pris une dimension plus large, plus rapide et surtout transfrontalière. Les procédures d’extradition classiques n’étaient alors pas adaptées, ce qui donné lieu à un affaiblissement de la sécurité intérieure et de la stabilité des nations européennes.

La libre circulation des marchandises et des personnes devait être suivie d’une libre circulation des décisions judiciaires, ainsi que des poursuites et des arrestations dans l’espace Schengen. Les États membres de l’Union Européenne ont en effet pris conscience de la nécessité de mettre en œuvre un mécanisme de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires rendues par un État membre (État d’émission) devant être exécutées de manière automatique dans un autre État membre (État d’exécution).

142. Le principe de reconnaissance mutuelle est apparu pour la première fois lors du Conseil européen de Cardiff des 15 et 16 juin 1998214, il a été reconnu un an plus tard comme

214 Au point 39 des conclusions du Conseil européen de Cardiff des 15 et 16 juin 1998, disponible à l’adresse suivante :

https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/affaires_europeennes/Conclusions_CE/cardif f_Juin1998.pdf

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

devant « devenir la pierre angulaire » par le Conseil européen de Tampere de 1999 : « Le Conseil Européen approuve donc le principe de reconnaissance mutuelle, qui, selon lui, devrait devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union »215 (article 33). La reconnaissance mutuelle est un principe couramment usité et repose sur l’idée que, même si un autre État peut traiter différemment une affaire juridique donnée, les résultats sont tels qu’ils peuvent être considérés comme équivalents aux décisions de ce dernier216.

143. Le Conseil européen de Tampere a estimé par ailleurs que « la procédure formelle d’extradition devrait être supprimée entre les États membres pour les personnes qui tentent d’échapper à la justice après avoir fait l’objet d’une condamnation définitive et remplacée par un simple transfèrement de ces personnes ». Il ne préconisait donc pas une suppression générale de l’extradition, mais proposait de supprimer l’extradition pour l’exécution d’une peine, dont il demande la substitution par une procédure de transfèrement217. Le Conseil est allé encore plus loin en demandant aux États de rechercher les moyens d’établir un régime de remise qui serait fondé sur la reconnaissance et l’exécution immédiate du mandat d’arrêt émanant de l’autorité judiciaire requérante. Ce sont les prémices de ce qui fut créé plus tard et connu sous le nom de « mandat d’arrêt européen ».

144. Ce dernier218 est apparu dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001 dans le but de braver les obstacles de l’extradition classique tels la lenteur, le manque d’effectivité et d’efficacité dans la lutte contre la criminalité transfrontalière. Le mandat d’arrêt européen constitue dès lors non seulement un substitut à l’extradition mais aussi la première mise en œuvre concrète du principe de reconnaissance mutuelle219. Ledit mandat d’arrêt a

215 Conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, disponible à l’adresse suivante : http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm

216 Communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen, Reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale, Bruxelles, le 26 juillet 2000, COM (2000) 495 final.

217 Didier REBUT, Droit pénal international, op. cit., n° . 545.

218 Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au Mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, (2002/584/IAI), JOCU L 190/1, le 18 juillet 2002.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 96 —

remplacé les instruments légaux d’extradition entre les États membres tel que prévu à l’article 31 de la décision-cadre. Ces instruments sont : la Convention européenne d’extradition de 1957 avec ses deux Protocoles, l’accord du 26 mai 1989 relatif à la simplification et à la modernisation des modes de transmission des demandes d’extradition, la Convention du 10 mars 1995, la Convention du 27 septembre 1996 et le titre III, chapitre 4 de la CAAS du 19 juin 1990.

145. L’article premier de la décision-cadre régissant le mandat d’arrêt européen a défini ce mandat comme étant une « décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté ».

Le mandat d’arrêt européen est une innovation majeure au travers de la judiciarisation des procédures, la suppression de passage politique et la suppression de la double incrimination. Ce qui nous intéresse ici est l’existence de cette condition dans la mise en œuvre de ce mandat220.

146. Son champ d’application matériel est déterminé à l’article 2 et les limites de son exécution en son paragraphe 1 ; le MAE a ainsi un champ d’application limité aux faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’au moins douze mois lorsqu’il s’agit d’une poursuite, et d’une sanction prononcée d’au moins quatre mois lorsque le mandat d’arrêt européen est émis pour l’exécution d’un jugement. La décision-cadre prévoit au paragraphe 2 de l’article 2 une liste exhaustive d’infractions rendant l’exécution de ce mandat par l’État requis d’exécution obligatoire, sans contrôle de double incrimination, mais ce à deux conditions. Pour remplir la première d’entre elles il convient que l’infraction faisant l’objet soit présent dans la liste d’infractions, pour la seconde, que cette infraction soit punie par l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’au moins trois ans. L’absence de l’une de ces conditions constitue un empêchement à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen et fait de l’extradition la seule solution restante.

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

147. Mais la disposition la plus importante concernant la double incrimination figure au paragraphe 4 de l’article 2 qui prévoit que « pour les infractions autre que celles visées au paragraphe 2, la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis, constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci ». Cet énoncé constitue une base dans l’application du mandat d’arrêt européen lorsqu’il s’agit des infractions non présentes dans la liste d’infractions présentée au paragraphe 2 de l’article 2. La double incrimination était considérée comme une condition sine qua non de la remise, jusqu’à ce que la décision-cadre n’en fasse qu’une condition facultative laissée au bon vouloir de l’État membre d’exécution. En effet, on peut noter que la décision-cadre a utilisé le verbe « pouvoir ». Il ne s’agit pour autant pas d’une exclusion complète de la double incrimination ni d’une application exceptionnelle, mais d’une division du champ d’application matériel du mandat d’arrêt européen entre d’un côté une liste exhaustive d’infractions et d’un autre une application rendue possible hors de cette liste.

148. Une fois la double incrimination reconnue en tant que condition d’application du mandat d’arrêt européen pour des infractions hors de la liste, elle n’a pu qu’être reconnue en tant que motif facultatif de non-exécution du mandat d’arrêt européen tel que prévu comme le prévoit à l’article 4 : « l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen : 1) si, dans l’un des cas visés à l’article 2, paragraphe 4, le fait qui est à la base du mandat d’arrêt européen ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution ; toutefois, en matière de taxes et impôts, de douane et de change, l’exécution du mandat d’arrêt européen ne pourra être refusée pour le motif que la législation de l’État membre d’exécution n’impose pas le même type de taxes ou d’impôts ou ne contient pas le même type de réglementation en matière de taxes, d’impôts, de douane et de change que la législation de l’État membre d’émission ». Le mandat d’arrêt européen ayant pour objet la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires européennes dans un espace de liberté, de sécurité et de justice commun, exclut dès lors les délits fiscaux des motifs de refus facultatifs. Cette exclusion rend d’autant plus marginale l’application de la double incrimination, sans compter la référence aux

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 98 —

délits fiscaux qui démontre la volonté de l’Union Européenne d’harmoniser les législations pénales sur les questions fiscales.

149. Le mandat d’arrêt européen a adopté la même solution que la Convention de 1995 relative à la procédure simplifiée d’extradition en décidant que les questions relatives à la prescription, à son interruption et à sa suspension seraient appréciées selon les dispositions de la loi de l’État membre d’émission, sauf si l’État membre d’exécution est compétent. Pour reprendre l’exemple de la prescription, elle ôte toute nature criminelle aux faits faisant l’objet du mandat d’arrêt européen, lesquels ne remplissent plus la condition de double incrimination. L’article 4-4 de la décision-cadre abordant les motifs facultatifs de non-exécution du mandat d’arrêt européen prévoit que le mandat pourra être refusé « lorsqu’il y a prescription de l’action pénale ou de la peine selon la législation de l’État membre d’exécution et que les faits relèvent de la compétence de cet État membre selon sa propre loi pénale ». Il en va de même lorsque la personne est déjà poursuivie dans cet État pour les mêmes faits que ceux à l’origine de l’émission du mandat d’arrêt européen221. Toutefois il convient de préciser qu’il s’agit seulement de poursuites sans condamnation car celle-ci s’inscrit parmi les motifs obligatoires de refus et dans d’autres cas l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution décide soit de ne pas engager de poursuitespénales,soit d’y mettre fin ; dans d’autres cas encore la personne recherchée a pu déjà faire l’objet d’une décision définitive pour les mêmes faits222. Les causes facultatives de refus dans la décision-cadre du mandat d’arrêt européen montrent que la double incrimination est maintenue mais de manière très fortement réduite. Cela est conforme à la fois au concept de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et à la volonté des États membres de surmonter l’obstacle de la double incrimination.

150. La remise par transit est également envisagé dans la décision-cadre, à l’article 25. Toutefois il n’y est fait aucune mention de la double incrimination en tant que condition de remise. En revanche, l’État d’émission doit envoyer les renseignements nécessaires

221 Art. 4-2 de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen.

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

mentionnés au paragraphe 1, tels que l’identité et la nationalité de la personne en question, l’existence d’un mandat d’arrêt européen, ainsi que la nature et la qualification légale de l’infraction, ce qui donne le contrôle à l’État de transit si l’infraction faisant l’objet du mandat d’arrêt européen entre dans la liste de trente-deux infractions pour lesquelles la double incrimination est exclue.

151. La règle de la spécialité est présente quant à elle à l’article 27 intitulé « Poursuite éventuelle pour d’autres infractions ». L’État d’émission n’a pas le droit de poursuivre ou de faire subir une peine privative de liberté ou une mesure de sûreté pour une infraction commise avant sa remise et autre que celle qui a motivé l’émission du mandat d’arrêt européen à moins d’avoir obtenu le consentement de l’État d’exécution. Le consentement est donné lorsque l’infraction pour laquelle il est demandé entraîne elle-même l’obligation de remise aux termes de la décision-cadre223. La même solution s’applique pour la remise ultérieure d’une personne à un autre État que celui d’exécution, en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis pour une infraction commise avant sa remise224. 152. L’intégration européenne est le fruit d’un long chemin d’assouplissement du mécanisme

d’extradition traditionnel ainsi que de nouveaux instruments européens propres à l’Union européenne. Cette intégration était nécessaire pour atteindre les buts que s’est fixé l’Union européenne, autrement dit la création d’un espace commun de liberté, de sécurité et de justice. En cela cette intégration présente un grand pas vers la suppression des obstacles liés à l’extradition ou aux procédures équivalentes. Mais la double incrimination demeure une condition difficile à écarter. C’est pourquoi ni les instruments bilatéraux d’extradition ni les multilatéraux n’ont osé la supprimer. Il en résulte qu’assez logiquement cette condition de la double incrimination a conservé sa place au sein des dispositions internes en la matière.

223 Art. 27-4.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 100 —

§ 2. Les normes internes consacrées à l’extradition

Documents relatifs