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Les instruments européens en matière d’extradition

La double incrimination dans les normes

B. Les instruments européens en matière d ’extradition et de procédures équivalentes

1. Les instruments européens en matière d’extradition

121. Le cadre européen de l’extradition est composé de plusieurs conventions. Certaines émanent du Conseil de l’Europe : la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957198 et ses Protocoles additionnels des 15 octobre 1975199, 17 mars 1978200, 10 novembre 2010201 et 20 septembre 2012202 (a). D’autre sont propre à l’Union Européenne. Au niveau de l’Union Européenne, plusieurs conventions ont été adoptées afin de simplifier l’extradition entre les États membres. Nous pouvons citer à ce propos, la Convention relative à la procédure simplifiée d’extradition entre les États membres de l’Union Européenne du 10 mars 1995203, et la Convention relative à l’extradition entre les États membres de l’Union Européenne du 27 septembre 1996204. Cette dernière (ci-après Convention de 1996) nous intéresse tout particulièrement, sans oublier la

198 Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, STCE. n° 024, entrée en vigueur le 18 avril 1960 et ratifié par tous les États membres du Conseil de l’Europe.

199 Premier Protocole additionnel du 15 octobre 1975 à la Convention d’extradition du 1957, STCE. n° 086 entré en vigueur le 20 août 1979.

200 Deuxième Protocole additionnel du 17 mars 1978 à la Convention d’extradition du 1957, STCE. n° 098, entré en vigueur le 5 juin 1985

201 Troisième protocole additionnel du 10 novembre 2010 à la Convention européenne d’extradition, STCE. n° 209, entré en vigueur le premier 5 2012.

202 Quatrième protocole additionnel du 20 septembre 2012 à la Convention européenne d’extradition, STCE. n° 212, entré en vigueur le premier juin 2014.

203 Convention du 10 mars 1995 relative à la procédure simplifiée d’extradition entre les Etats membres de l’Union Européenne, JOCE., C 78 du 30 mars 1995, pp. 2-10.

204 Convention du 27 septembre 1996 relative à l’extradition entre les Etats membres de l’Union Européenne, JOCE., C 313, du 23 octobre 1996, pp. 12-23.

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Convention d’application d’Accord Schengen (ci-après CAAS) qui contient un chapitre dédié à l’extradition (b).

a. La Convention européenne d’extradition

122. La Convention européenne d’extradition a uniformisé le régime d’extradition en Europe en substituant cette Convention aux accords et conventions bilatéraux entre pays européens. Elle prévoit en effet dans son article 28-1 que« la présente convention abroge, en ce qui concerne les territoires auxquels elle s’applique, celles des dispositions des traités, conventions ou accords bilatéraux qui, entre deux parties contractantes, régissent la matière d’extradition ».

123. Concernant la question de la double incrimination, il convient de rappeler que la Convention européenne d’extradition a été adoptée en 1957, quand la double incrimination demeurait encore une condition essentielle, dans une Europe où la fin de la Seconde Guerre mondiale n’était pas loin et venait de creuser un fossé certain entre les pays européens, parmi lesquels régnait la méfiance.

L’article 2 de cette convention prévoit ainsi que: « 1 : Donneront lieu à extradition les faits punis par les lois de la partie requérante et de la partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins un an ou d’une peine plus sévère. Lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée sur le territoire de la partie requérante, la sanction prononcée devra être d’une durée d’au moins quatre mois ». Cet article donne ici des précisions quant à la double incrimination qui est clairement annoncée comme une condition essentielle sans laquelle l’extradition ne peut être accordée. À l’opposé des conventions bilatérales, la Convention européenne d’extradition apparait plus large en ce qui concerne la définition du « fait puni » en englobant tant la peine privative de liberté que les mesures de sûreté, en lien avec le fait que certains pays à cette époque-là ne connaissent pas les mesures de sûreté ou ne les considèrent pas comme des sanctions pénales à part entière. C’est donc une véritable avancée dans le développement d’une coopération pénale européenne la plus large possible.

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Les mesures de sûreté ont été définies à l’article 25 de la Convention ; comme étant des « mesures privatives de liberté qui ont été ordonnées en complément ou en substitution d’une peine, par sentence d’une juridiction pénale ».

124. La convention précitée n’a pas oublié d’aborder le sujet de l’extradition accessoire qui est lié à la double incrimination. Et à l’instar de la plupart des conventions bilatérales, la Convention européenne d’extradition a autorisé l’État requis à accorder l’extradition à l’État requérant lorsque la demande d’extradition vise plusieurs faits punis par les deux États même si certaines d’entre eux ne remplissent pas la condition du taux de la peine. L’article 2-2 prévoit en effet que « si la demande d’extradition vise plusieurs faits distincts punis chacun par la loi de la partie requérante et de la partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté, mais dont certains ne remplissent pas la condition relative au taux de la peine, la partie requise aura la faculté d’accorder également l’extradition pour ces derniers ». On peut constater que l’extradition accessoire n’a pas abrogé la double incrimination pour certains faits. Il est précisé que l’extradition peut être accordée lorsque le taux de la peine n’est pas rempli eu égard au premier paragraphe de l’article 2 (au moins un an pour la poursuite et quatre mois pour la condamnation). D’où les questionnements possibles sur le fait que l’extradition accessoire puisse être accordée selon cette convention sans exiger la double incrimination. À notre sens ce paragraphe ne nous dit pas que cela reste possible puisqu’il se limite au taux de la peine et n’englobe pas l’incrimination elle-même.

125. Malgré l’adoption du système « taux de la peine » pour accorder l’extradition et de la double incrimination en tant que condition préliminaire, l’article 2-4 de ladite convention autorise l’État contractant à se référer au système de « liste d’infractions » dans l’hypothèse où sa législation n’autorise pas l’extradition pour certaines infractions. En effet dans ce cas, l’État contractant peut se référer soit à une liste négative d’infractions qui exclut certaines infractions de l’extradition, soit à une liste positive d’infractions pour lesquelles l’extradition peut être accordée.

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126. Concernant les infractions fiscales, la Convention européenne d’extradition ne les exclut aucunement de son champ d’application et les soumet aux mêmes conditions que toute autre infraction, y compris à la double incrimination205.

127. L’utilisation spéciale de la double incrimination est par ailleurs affirmée par l’article 7-2 : « lorsque l’infraction motivant la demande d’extradition aura été commise hors du territoire de la partie requérante, l’extradition ne pourra être refusée que si la législation de la partie requise n’autorise pas la poursuite d’une infraction de même genre commise hors de son territoire ou n’autorise pas l’extradition pour l’infraction faisant l’objet de la demande ». L’utilisation spéciale de la double incrimination donne le droit à l’État requis de refuser l’extradition si, par exemple, il ne reconnaît pas le chef de compétence sur lequel l’État requérant a fondé sa demande d’extradition.

128. L’acquisition de la prescription également interdit les poursuites et fait l’obstacle à l’extradition dans la convention de 1957, « L’extradition ne sera pas accordée si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après la législation soit de la partie requérante, soit de la partie requise » (article 10). La Convention européenne d’extradition est ainsi plus stricte que les conventions bilatérales pour ce qui est de la prescription en faisant un motif obligatoire de refus d’extradition.

129. Le lien entre la double incrimination et la règle de spécialité figure aussi au sein de la Convention européenne d’extradition. L’article 14 intitulé « Règle de la spécialité » interdit toute poursuite par l’État requérant à l’encontre d’un individu, après sa remise, pour d’autres faits antérieurs à celle-ci, excepté si l’État requis y consent. L’article 14-1-a 14-1-a même précisé que « ce consentement ser14-1-a donné lorsque l’infraction pour laquelle il est demandé entraîne elle-même l’obligation d’extrader aux termes de la présente convention ».

Il en est de même en cas de modification ou de requalification des faits l’article 14-3 prévoit que « Lorsque la qualification donnée au fait incriminé sera modifiée au cours de la procédure, l’individu extradé ne sera poursuivi ou jugé que dans la mesure où les éléments constitutifs de l’infraction nouvellement qualifiée permettraient l’extradition ».

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130. Concernant la voie du transit, la Convention européenne n’a pas exigé la double incrimination concernant l’État que l’individu aura survolé ou même sur le territoire duquel il aura atterri. Mais la Convention européenne d’extradition a donné à l’État de transit la faculté de déclarer qu’il ne permettra à un individu de transiter qu’aux mêmes conditions que celles de l’extradition206. Cette faculté mise à disposition de l’État de transit lui donne de ce fait le droit de contrôler la double incrimination entre sa législation et celle des États en question.

131. Il est indéniable que la Convention européenne d’extradition est considérée comme un grand saut de l’Europe vers une harmonisation européenne du droit d’extradition classique. Toutefois cette convention n’est pas sans lacune et laisse au demeurant quelques obstacles, liés à la double incrimination. En effet, celle-ci reste silencieuse sur la procédure à suivre lors de l’examen d’une demande d’extradition207, ce qui fait perdurer un certain flou sur plusieurs points essentiels tels le contrôle entre le fait commis et le fait prescrit dans la demande d’extradition, mais aussi la question de l’amnistie.

b. Les conventions applicables au sein de l’Union Européenne

132. À la convention européenne d’extradition, s’ajoute plusieurs conventions propres à l’Union Européenne. Parmi ces conventions, il y a la CAAS qui fait partie intégrante du droit de l’Union européenne depuis le Traité d’Amsterdam.

Dans le cadre de la Convention d’application de l’Accord Schengen208, l’Europe a voulu aller plus loin dans l’harmonisation et la simplification de l’extradition et, surtout, surmonter les obstacles découlant de la Convention de 1957. Dans la Convention d’application d’Accord Schengen, l’extradition est prévue aux articles 59 à 66.

133. Dans cette convention on notera surtout l’article 62 est rédigé comme suit : «1 : En ce qui concerne l’interruption de la prescription, seules sont applicables les dispositions de la

206 Art. 21-5 de la Convention européenne d’extradition.

207 Sophie BOT, Le mandat d’arrêt européen, op. cit., p. 134.

208 Convention d’application de l’Accord Schengen du 19 juin 1990 entre les gouvernements des États économiques du Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, JOCE, L 239 du 22 septembre 2000, pp. 19-62.

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partie contractante requérante. 2 : une amnistie prononcée par la partie contractante requise ne fait pas obstacle à l’extradition, sauf si l’infraction relève de la juridiction de cette partie contractante. ». Ainsi a été éliminé l’obstacle du double examen de la prescription entre l’État requis et l’État requérant ; obstacle qui découlait d’un chevauchement des procédures d’extradition entre les États parties. Mais au niveau de l’UE c’est plus particulièrement la convention de 1996 qui nous intéresse.

134. La Convention de 1996 a apporté quelques précisions quant à ses effets sur certaines conventions européennes préexistantes telles que la Convention européenne d’extradition, la Convention européenne pour la répression du terrorisme, la CAAS, et le Traité de Benelux.

135. La Convention de 1996 a conservé par principe la double incrimination comme condition préliminaire à l’extradition entre les États contractants. Mais elle a modifié le taux de la peine exigé par l’État requérant et l’État requis. En effet, selon l’article 2, « donnent lieu à extradition les faits punis par la loi de l’État membre requérant d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins douze mois et par la loi de l’État membre requis d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins six mois ». Cela solutionne par là-même le problème des « mesures de sûreté » qui, au moment de l’adoption de la Convention 1957, n’étaient pas reconnus par tous les États européens. L’absence de reconnaissance de certains types de pénalité a nécessairement des conséquences sur la question de la double incrimination car il s’agit aussi d’une possibilité d’être puni deux fois. D’où l’insertion d’un paragraphe 2 à l’article 2 qui prévoit que « L’extradition ne peut être refusée au motif que la législation de l’État membre requis ne prévoit pas le même type de mesure de sûreté privative de liberté que la législation de l’État membre requérant ».

136. La Convention de 1996 a cependant abandonné la double incrimination pour certains types d’infractions (cf. les infractions liées au terrorisme dans le cadre de la lutte contre

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la criminalité organisée)209, tout en laissant une marge de manœuvre aux États contractants en leur octroyant le droit d’émettre une réserve sur l’article 3-1 abandonnant la double incrimination. Cependant elle a obligé les États ayant émis cette réserve concernant l’abandon de double incrimination, à reconnaître ces infractions comme des infractions donnant lieu à extradition, ce qui revient à satisfaire la double incrimination210.

137. La Convention de 1996 n’exclut pas par ailleurs les infractions fiscales de son champ d’application tant que l’État requis reconnaît des infractions de même nature211. La double incrimination en la matière se concrétise alors par l’existence d’une infraction de même nature sans référence aux taux d’impôts.

138. La prescription requise dans la législation de l’État requis ne constitue pas en elle-même un obstacle ni un motif de refus à extradition car c’est la législation de l’État requérant qui règle en ce cas la question de la prescription pour le fait faisant l’objet de la demande d’extradition, sauf si l’État requis est également compétent pour poursuivre le fait incriminé212. Il en va de même pour l’amnistie, traitée de la même manière et ne faisant obstacle à l’extradition que lorsque l’État requis est compétent pour poursuivre l’auteur de l’infraction faisant l’objet de la demande d’extradition213.

139. En somme, au sein de l’Union européenne le cadre classique de l’extradition respecte largement le principe de la double incrimination en tant que condition essentielle de l’extradition ; elle est la première condition sur laquelle l’extradition est fondée. Et si on peut noter, des tentatives de remise en cause (Convention 1996), une marge de manœuvre est toujours laissée aux États, signe tangible du manque de confiance mutuelle entre eux. À contrario ce n’est pas le cas des nouveaux instruments de coopération pénale internationale qui incitent à une confiance plus élargie parmi les États européens.

209 La question de la remise en cause de la double incrimination sera traitéedans la deuxième partie de la présente thèse.

210 Art. 3-4 de la Convention de 1996.

211 Art. 6 de la Convention de 1996.

212 Art. 8 de la Convention de 1996.

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