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Pr´ ecisions s´ emantiques

Dans le document en fr (Page 30-34)

Si le terme de « contraception » ´emerge en fran¸cais au XIXesi`ecle, il reste assez

peu employ´e jusqu’aux ann´ees 1960 et 1970 o`u il s’impose dans les revendications des mouvements en faveur de la r´egulation des naissances comme dans les publications (Sanseigne, 2019, p. 22-23). Le chercheur Francis Sanseigne lie cette imposition

17. Le rapport de la Haute Autorit´e de Sant´e de 2004 sur la contraception, et plus tard, la campagne de l’Institut national de pr´evention et d’´education pour la sant´e (Inpes) intitul´ee « La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit » sont ainsi largement inspir´ees des conclusions de ces diff´erents travaux.

tardive du terme par rapport `a ceux de « contrˆole », de « limitation » ou de « r´egulation des naissances » `a l’´emergence, en France, de ce qu’il appelle la « cause contraceptive » au cours des ann´ees 1950, et il utilise plutˆot pour les p´eriodes ant´erieures le terme de « libre contrˆole de la f´econdit´e ». J’irais plus loin dans cette hypoth`ese, en proposant l’id´ee que le terme de « contraception » a ´et´e mobilis´e en France de mani`ere strat´egique par un groupe de m´edecins souhaitant affirmer leur expertise m´edicale et scientifique, afin de se d´emarquer du caract`ere militant des termes de « limitation » ou « contrˆole » des naissances18.

En anglais, le terme se popularise d`es le d´ebut du XXe si`ecle (Olszynko-Gryn,

2018), et c’est sous l’impulsion de Margaret Sanger que la notion de « birth control » s’y substitue, dans les ann´ees 1930, tandis que les notions de « contrˆole » ou de « limitation » des naissances vont progressivement ˆetre associ´ees aux mouvements n´eo-malthusiens, et comportent l’id´ee d’un effort raisonn´e pour enrayer la croissance de la population mondiale. En France, les termes de « r´egulation des naissances » qu’utilisent les partisan·e·s du planning familial visent justement `a se distancier de cette connotation n´eo-malthusienne et `a affirmer que la maˆıtrise de leur f´econdit´e par les femmes n’implique pas n´ecessairement une baisse de la natalit´e, mais au contraire vise `a l’am´elioration des conditions de la maternit´e, en leur permettant de d´ecider de la temporalit´e de leurs grossesses. Ainsi, le MFPF ne prˆone pas la limitation ni le contrˆole des naissances, mais leur r´egulation raisonn´ee (Garcia, 2011; Pavard, 2012a). Ces termes font ´echo `a ceux de « planification des naissances » ou de « planning familial », ´egalement utilis´es par les militant·e·s du MFPF. Ces notions visent `a remplacer les termes de « m´ethodes anticonceptionnelles » qui, depuis la loi de 1920, poss`edent une connotation n´egative, et qui perdurent jusqu’aux d´ebats des ann´ees 1960 sur la lib´eralisation des techniques contraceptives.

Le terme de « contraception », qui devient le plus utilis´e `a partir des ann´ees 1960, d´esigne ainsi, dans son acception large, l’ensemble des m´ethodes visant `a ´

eviter une grossesse ou `a s’opposer (« contra ») `a la conception. Le chercheur en biologie ´Etienne-´Emile Baulieu le distingue du terme « contragestion », qui signifie le fait de s’opposer `a la gestation, et donc au d´eroulement de la grossesse, et d´esigne toute les m´ethodes qui interviennent apr`es la f´econdation d’un ovule et d’un spermatozo¨ıde pour empˆecher l’œuf f´econd´e de s’implanter dans l’ut´erus. Certaines m´ethodes semblent toutefois difficiles `a cat´egoriser strictement selon l’un

18. J. Dalsace et R. Palmer, deux gyn´ecologues chirurgiens hospitaliers reconnus dans le domaine des traitements de la st´erilit´e, ´ecrivent ainsi, au d´ebut de leur manuel sur La contraception publi´e en 1966, que « seul le mot de contraception m´erite d’ˆetre retenu dans un livre qui veut avoir une rigueur scientifique » (p. 3), marquant par l`a leur strat´egie de distinction par rapport `a d’autres publications, plus militantes. J. Dalsace, R. Palmer, 1966, La contraception, Paris, Presses Universitaires de France.

ou l’autre de ces termes, car elles ont `a la fois un effet contraceptif et contragestif (cela semble ˆetre le cas du dispositif intra-ut´erin en cuivre, et c’est ´egalement celui de la pilule œstro-progestative prescrite `a hautes doses apr`es la conception, ou plus g´en´eralement de la pilule dite « du lendemain »). Enfin, l’« avortement » d´esigne l’ensemble des techniques visant `a interrompre une grossesse. L`a encore, la fronti`ere entre dispositif « contragestif » et dispositif « abortif » peut parfois ˆ

etre t´enue. En tout ´etat de cause, cette th`ese se centre principalement sur la pilule comme m´ethode contraceptive, visant `a empˆecher la f´econdation.

Plusieurs terminologies existent pour classifier les diff´erentes m´ethodes contra- ceptives. Comme le note la sociologue Mona Claro, la distinction classique entre « m´ethodes modernes » et « m´ethodes traditionnelles » comporte implicitement une hi´erarchie de valeur, qui donne plus de cr´edit aux premi`eres et vise `a discr´e- diter les secondes (Claro, 2016a). La distinction entre « m´ethodes artificielles » et « m´ethodes naturelles » s’inscrit ´egalement dans une perspective moraliste, telle qu’elle est port´ee par l’´Eglise catholique `a la fin des ann´ees 1960, donnant le primat cette fois-ci aux secondes sur les premi`eres. Mona Claro propose ainsi la distinction entre « m´ethodes technologiques » et « non technologiques ». Comme la sociologue C´ecile Thom´e (Thom´e, 2019), je pr´ef`ere le terme de « m´ethodes d’auto-observation » pour d´esigner l’ensemble des m´ethodes bas´ees sur l’observation des cycles menstruels (m´ethode Ogino-Knaus de surveillance des dates, m´ethode Billings d’observation de la glaire cervicale, m´ethode des temp´eratures). Je n’utilise le terme de « m´ethodes naturelles » qu’entre guillemets, lorsqu’il est indiqu´e comme tel dans les mat´eriaux que j’analyse ou dans les r´ef´erences que je mobilise. Ce terme d´esigne aussi bien les m´ethodes d’abstinence p´eriodique (ou d’auto-observation) que la m´ethode dite du « co¨ıt interrompu », aussi appel´e « retrait »19. Une autre

terminologie, utilis´ee par les chercheuses C´ecile Ventola et C.Thom´e, consiste `a distinguer les m´ethodes « portant principalement sur le corps des femmes » desethodes « portant principalement sur le corps des hommes » ou « impliquant le corps des deux partenaires ». Cette terminologie permet d’insister sur les rapports de genre impliqu´es dans la mise en œuvre de m´ethodes contraceptives (Ventola, 2016; Thom´e, 2016), et est utile `a garder `a l’esprit.

J’utilise dans cette th`ese principalement la distinction entre « m´ethodes m´e-

19. L’utilisation du terme « m´ethodes naturelles » paraˆıt d’autant plus probl´ematique que, outre sa connotation morale, les m´ethodes d’auto-observation actuellement utilis´ees n´ecessitent un arsenal technologique cons´equent, au travers d’instruments de prise de temp´erature, de calendriers (ces deux dispositifs ´etant aujourd’hui la plupart du temps ´electroniques), ou plus r´ecemment, le recours `a des applications t´el´ephoniques pour observer les cycles menstruels. Voir `a ce sujet le m´emoire de Master 2 de Marion Tisserand, soutenu en 2018 `a l’Universit´e Lyon 2, portant sur « Contraceptions naturelles et outils num´eriques. Les symboliques du corps `a l’´epreuve du genre », sugg´erant que ces m´ethodes n’ont de « naturel » que leur appellation.

dicales » et « m´ethodes non m´edicales », ou parfois mˆeme entre « m´ethodes m´edicalis´ees » et « autres m´ethodes », permettant d’insister sur le fait que les pre- mi`eres s’inscrivent dans un rapport de pouvoir avec un·e m´edecin et n´ecessitent de passer par une prescription pour leur obtention. J’inclus donc dans la cat´egorie des m´ethodes « m´edicales » ou « m´edicalis´ees » la pilule, le diaphragme, l’ensemble des m´ethodes hormonales et le dispositif intra-ut´erin, et les m´ethodes de st´erilisation, et dans celle des m´ethodes « non m´edicales » les m´ethodes d’auto-observation, le retrait, le pr´eservatif masculin et les spermicides. C’est la terminologie qui est apparue la plus pertinente pour mon questionnement th´eorique, que je d´etaille dans le chapitre 1. Je reprends ´egalement parfois `a mon compte une terminologie utilis´ee dans les cat´egories m´edicales, distinguant les « contraceptifs oraux », les « dispositifs intra-ut´erins », les « autres m´ethodes hormonales », les « m´ethodes d’abstinence p´eriodique et le retrait », et les « m´ethodes barri`eres » (diaphragme, cape cervicale, spermicides, pr´eservatif) s’opposant `a la progression des spermato- zo¨ıdes dans l’ut´erus lors des rapports sexuels. C’est en effet la cat´egorisation qui est revenue le plus fr´equemment dans les mat´eriaux d’archives que j’ai analys´es, et elle fonctionne comme cat´egorie normative. La mobilisation mˆeme de ces ca- t´egorisations nous renseigne sur les hi´erarchies ´etablies entre m´ethodes dans les repr´esentations professionnelles comme profanes.

J’utilise ´egalement plusieurs termes pour d´esigner « la » pilule : au singulier, j’emploie ce terme tel qu’il est mobilis´e par une pluralit´e d’acteurs·trices dans l’espace social : comme une m´ethode contraceptive d’abord, comme un symbole ensuite. J’utilise ´egalement tout au long de la th`ese les termes suivants : « pilules contraceptives », « pilules hormonales », « pilules œstro-progestatives », « contra- ceptifs oraux », « contraception orale », « œstro-progestatifs ». Ces termes sont synonymes, si ce n’est que les d´esignations « pilules hormonales », « pilules contra- ceptives » et « contraception·tifs orale·aux » permettent d’inclure ´egalement les pilules progestatives seules, tandis que le terme « d’œstro-progestatif » est plus restrictif.

Enfin, je ne reprends volontairement pas `a mon compte le terme de « st´erilet », et l’utilise toujours entre guillemet pour indiquer qu’il s’agit d’un terme employ´e par les acteurs·trices et trouv´e comme tel dans les mat´eriaux. En effet, le n´eologisme de « st´erilet » a ´et´e forg´e par Pierre Simon, `a son retour de la conf´erence internationale sur la r´egulation des naissances de Singapour en 1963, car le terme de « intra-uterine contraceptive device » lui a paru trop complexe `a traduire20. L’utilisation du terme

20. Ceci probablement li´e `a une mauvaise maˆıtrise de l’anglais. Il affirme en effet que « device » trouvant sa traduction dans le terme de « bidule » n’apparaissait pas comme un terme m´edical assez ´el´egant. En r´ealit´e « device » peut ˆetre traduit par « dispositif », et il est traduit comme tel dans la plupart des langues latines. Seul l’allemand retient le terme particulier de « Spirale »

de « st´erilet », plus courante en France que l’appelation dispositif intra-ut´erin (DIU), et apparemment plus simple aussi, est n´eanmoins gˆenante car elle v´ehicule l’id´ee que ce dispositif induit une st´erilit´e plus av´er´ee que d’autres dispositifs r´eversibles (notamment les contraceptifs oraux), ce qui est faux. Les travaux en sant´e publique lui pr´ef`erent donc le terme de DIU, et c’est celui-l`a que j’ai choisi de retenir tout au long de la th`ese. La loi pr´ef`ere ´egalement garder le terme de « contraceptifs intra-ut´erins »21.

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