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Une centralit´ e dans les pratiques Retour his torique sur la diffusion de la pilule contracep-

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contraceptive en France :

2.1 Une centralit´ e dans les pratiques Retour his torique sur la diffusion de la pilule contracep-

tive en France

La vision contemporaine de la pilule tend `a sugg´erer que la pilule a ´et´e invent´ee, puis qu’elle a imm´ediatement constitu´e une r´evolution pour les femmes3. Or, les

premi`eres g´en´erations de pilules sont mises sur le march´e am´ericain en 1960, et sur le march´e europ´een en 1961. Si certains produits circulent en France avant l’autorisation l´egale de la contraception en 1967 (et son application en pratique entre 1968 et 1972), la g´en´eralisation du recours `a la pilule est en fait beaucoup plus tardive (fin des ann´ees 1970 et d´ebut des ann´ees 1980). Retracer l’´evolution des pratiques contraceptives permet de rendre compte finement des temporalit´es de diffusion de nouvelles technologies contraceptives. Cela permet en outre de sortir de la vision d’une technologie qui se diffuserait d’elle-mˆeme, avec sa propre capacit´e d’action et en autonomie par rapport aux diff´erentes sph`eres sociales qu’elle affecte. Je souhaite montrer qu’au contraire, la diffusion de cette technologie s’est faite non seulement au gr´e des avanc´ees juridiques et politiques en mati`ere contraceptive, mais ´egalement par la promotion de ce type de produit aupr`es de plusieurs g´en´erations d’usag`eres.

3. A.-A. Epis de Fleurian, « Contraception : l’histoire de la pilule en France », Doctissimo Sant´e, 19 avril 2018, https://www.doctissimo.fr/html/dossiers/contraception/articles/ 10438-contraception-pilule-40-ans.htm, [consult´e le 29 octobre 2019] ; F. Drouelle, « 1967, la pilule, enfin », ´emission France Inter, 22 mai 2018, https://www.franceinter.fr/emissions/ affaires-sensibles/affaires-sensibles-22-mai-2018 [consult´ee le 9 aoˆut 2018] ; D. de La- marzelle, « L’histoire de la pilule qui nous a permis d’ˆetre les ´egales des hommes », Marie Claire, 2017, https://www.marieclaire.fr/,pilule-revolution-sexuelle-feminisme-saga, 836844.asp [consult´e le 29 octobre 2019].

2.1.1

Les pratiques contraceptives avant le vote de la loi

Neuwirth : une utilisation en marge de la loi

Plusieurs travaux sur l’histoire de la contraception en France portent sur la p´eriode qui pr´ec`ede son interdiction par la loi de 1920 contre la « prophylaxie anticonceptionnelle » (Cahen, 2009; Accampo, 2003; Pedersen, 1996). Cette loi, vot´ee au sortir d’une guerre mondiale tr`es douloureuse pour la d´emographie fran¸caise, interdit toute publicit´e, vente et prescription de produits contraceptifs4.

De fait, la condamnation morale qui accompagnait la limitation des naissances et le recours `a l’avortement d`es le d´ebut du XIXe si`ecle n’a pas empˆech´e une

chute importante de la f´econdit´e des femmes en France `a cette p´eriode, ce que le d´emographe H. Leridon qualifie de « premi`ere r´evolution contraceptive » (Leridon, 1987, p. 359-67). De nombreux travaux historiques mettent en lumi`ere l’importance aussi bien du retrait que de l’avortement dans la r´egulation des naissances, avant le vote de la loi de 1920 comme apr`es l’interdiction contraceptive, et ces m´ethodes sont largement utilis´ees par les couples jusqu’aux ann´ees 1960. D’autres produits et objets, tels que des produits spermicides divers vendus en pharmacies, ou par correspondance, des tests de grossesses, des calendriers Ogino, des pr´eservatifs et des diaphragmes, font partie de la panoplie des techniques utilis´ees par les couples pour r´eguler les naissances malgr´e l’interdiction l´egale5.

`

A partir de la fin des ann´ees 1950 et du d´ebut des ann´ees 1960, de nombreux d´ebats ´emergent sur la lib´eralisation de la contraception (Pavard, 2012c). Ces d´ebats d´ebouchent sur le d´epˆot de projets de loi visant `a l´egaliser la vente, la distribution et la promotion des diff´erentes m´ethodes contraceptives, et sont largement relay´es dans la presse quotidienne et f´eminine au milieu des ann´ees 1960 (Pavard, 2007, 2009a).

Au sein de ces d´ebats se manifestent des oppositions religieuses et morales `

a la lib´eralisation de la contraception, venant notamment des institutions reli- gieuses (Rochefort, 2007), mais aussi port´ees par d’autres acteurs·trices, comme les membres du gouvernement ou des m´edecins `a la tˆete d’instances repr´esentatives de la profession m´edicale. Les d´ebats portent ´egalement sur des inqui´etudes d´e- mographiques de d´epopulation (De Luca Barrusse, 2018). Plusieurs d´emographes bien repr´esent´es au sein de l’Institut national d’´etudes d´emographiques (Ined)

4. Pour une liste des principales lois et principaux d´ecrets et arrˆet´es r´egulant la contraception et l’avortement en France, entre 1920 et 2002, se reporter `a l’annexe C.

5. La th`ese en cours de Cyrille Jean porte pr´ecis´ement sur l’organisation du march´e contraceptif clandestin en France dans les d´ecennies qui pr´ec`edent la l´egalisation de la contraception. Voir ´

egalement C. Jean, 2017, « Les instances de r´egulation pharmaceutiques et la lutte contre le march´e ill´egal de la r´egulation des naissances (1945-1969) ». S´eminaire ´Etats, institutions, soci´et´es, Journ´ee d’´etude Le Gouvernement des risques, CHSP, Sciences Po, Paris, 28 juin 2017.

soutiennent que l’abrogation de la loi de 1920 r´esultera en une chute drastique de la natalit´e. Les partisans de la r´egulation des naissances r´epondent `a cela que dans tous les pays o`u la contraception a ´et´e lib´eralis´ee, il y a plutˆot eu une augmentation qu’une baisse de la natalit´e. Certaines inqui´etudes scientifiques sont soulev´ees (voir la section 2.2.), mais elles sont dans un premier temps minoritaires.

Parall`element, des campagnes d’information sont men´ees par les centres du MFPF (Pavard, 2012c, p. 55-61). Ainsi, les m´ethodes contraceptives sont de mieux en mieux connues au fil des ann´ees 1960 et 1970 par l’ensemble des personnes concern´ees, quoique in´egalement selon leur appartenance sociale et les m´ethodes consid´er´ees. C’est ce que montrent les premi`eres enquˆetes de l’Ined et de l’Institut national de la statistique et des ´etudes ´economiques (Insee) sur la contraception en 1971 et 1978 : d`es 1970, la pilule ´etait connue de la quasi-totalit´e de la population ; le st´erilet ´etait connu par pr`es de 60 % des femmes d’ˆage reproductif, de mˆeme que les capes et diaphragmes. Les m´ethodes dites « traditionnelles » (retrait, pr´eservatif, abstinence p´eriodique), elles, sont connues de plus de 80 % de la population en 1970 et de 96 % en 1978 (Leridon, 1987, tableau 1 p. 59).

Plusieurs des entretiens que j’ai r´ealis´es permettent de rendre compte, du point de vue d’acteurs·trices impliqu´e·e·s dans la diffusion des techniques de contrˆole des naissances en France, du cadre de disponibilit´e des m´ethodes avant la l´egalisation de la contraception en 1967. En effet, mˆeme si la loi de 1920 interdisait la prescription, la vente, et la publicit´es des moyens anticonceptionnels, de nombreux usages contournaient en fait la loi, et ce d`es la fin des ann´ees 1950 et le d´ebut des ann´ees 1960. Certains contraceptifs, comme les pilules, les diaphragmes, les spermicides ou encore les DIU, ´etaient ainsi disponibles, au moyen de passeuses et de passeurs qui contournaient l’interdiction l´egale. Ainsi, comme l’explicite Jacqueline Kahn- Nathan, ancienne gyn´ecologue m´edicale et endocrinologue membre du MFPF, ancienne cheffe de clinique `a l’Hˆopital Necker `a Paris aupr`es de l’endocrinologue Albert Netter :

« La premi`ere publication de Pincus en anglais date de 1957, sur le blocage de l’ovulation par les œstro-progestatifs. (...) Et la premi`ere publication en France du travail de Pincus date de 60-61. (...) Chez Netter, on avait une fois par semaine une r´eunion de bibliographie. Et un jour y a une fille qui est arriv´ee avec l’article de Pincus (...) et Netter qui avait un nez tr`es fin, a tout de suite vu que c’´etait tr`es important. Mais on a dispos´e de pilules en France qu’en 61. (...) `A partir de 1961, on a pu les prescrire et les femmes les achetaient en pharmacie. (...)

- Mais donc c’´etait `a des fins th´erapeutiques que vous les prescriviez. . . ?

- Au d´ebut c’´etait sorti `a des fins th´erapeutiques, mais enfin c’´etait un peu d´eguis´e. » (Jacqueline Kahn-Nathan, ancienne gyn´ecologue m´edicale, ancienne cheffe de cli-

nique `a l’Hˆopital Necker dans le service d’Albert Netter, et sp´ecialiste du DIU, entretien du 11 mars 2016 `a son domicile)

Selon son souvenir, des pilules ´etaient prescrites d`es 1961 en France, officiellement `

a des fins th´erapeutiques, et l’´elite hospitalo-universitaire parisienne dans le presti- gieux service de gyn´ecologie de l’Hˆopital Necker avait connaissance des travaux de Gregory Pincus sur l’utilisation de progestatifs pour bloquer l’ovulation d`es 1957. Toutefois, cette diffusion des contraceptifs oraux en marge de la loi demeure restreinte. Jo¨elle Brunerie, ancienne gyn´ecologue m´edicale `a Paris, ayant fait ses ´

etudes de m´edecine `a Nantes, ancienne militante au Mouvement pour la libert´e de l’avortement et de la contraception (MLAC), et d’une vingtaine d’ann´ees plus jeune que J. Kahn-Nathan, se rappelle que lors de ses ´etudes de m´edecine dans les ann´ees 1960, on prescrivait peu les « bloqueurs de l’ovulation » `a des fins contraceptives6. Selon elle, aux alentours de 1965, c’´etait plutˆot le diaphragme qui ´

etait prescrit dans les centres de Planning familial. Henri Rozenbaum, gyn´ecologue et endocrinologue ayant fait ses premiers travaux sur la pilule contraceptive, et ancien membre du coll`ege m´edical du Planning familial, revient en effet sur les restrictions qui existaient `a une prescription large de la pilule, notamment les risques auxquels s’exposaient les m´edecins qui contournaient la loi :

« Du coup avant 1967, les premi`eres pilules ´etaient disponibles comme inhibi- teurs de l’ovulation... ?

- Alors, en France, officiellement, l’indication de contraception n’existait pas dans l’autorisation de mise sur le march´e (AMM). Autrement dit, s’il y avait eu un proc`es, `a la suite d’une phl´ebite ou quelque chose comme ¸ca, il aurait fallu que le m´edecin se justifie en trouvant une indication, parce que sinon c’est ce qu’on appelle une prescription hors AMM. Une prescription hors AMM s’il vous arrive un accident, c’est grave parce que vous n’ˆetes mˆeme pas couvert par des assurances m´edicales. Des assurances professionnelles (...)

- Et avant les ann´ees 1970, durant votre internat et pendant vos premi`eres ann´ees d’exercice, est-ce que vous aviez beaucoup de demandes de femmes pour des contra- ceptifs ?

- Ah oui ! Oui parce que comme j’´etais connu `a l’´epoque, il y avait mon nom dans la presse un peu partout etc. Il y avait ces femmes qui venaient me trouver, parce qu’elles savaient que chez moi (...) elles auraient un moyen contraceptif sans discuter. »

(Henri Rozenbaum, gyn´ecologue m´edical, ancien membre du coll`ege m´edical du Planning familial, entretien du 10 septembre 2016 `a son domicile)

Ainsi, bien que des usages d´etourn´es de produits normalement prescrits `a des fins th´erapeutiques – les « bloqueurs de l’ovulation » ou « r´egulateurs du cycle menstruel » – existent, et que certain·e·s m´edecins contournent l’interdiction l´egale, ces usages d´etourn´es exposent les prescripteurs·trices `a un risque, en cas d’accident li´e au produit, de ne pas ˆetre couverts par les assurances professionnelles dans l’´eventualit´e d’un proc`es.

Le DIU ´etait ´egalement disponible au d´ebut des ann´ees 1960, aupr`es de cer- tain·e·s m´edecins du Planning familial, comme J. Kahn-Nathan ou Pierre Simon, qui poss´edaient des contacts avec des fondations am´ericaines leur permettant d’importer un produit non commercialis´e en France, et ce, une dizaine d’ann´ees avant la parution des d´ecrets d’application permettant sa mise sur le march´e (voir 2.1.2. ci-dessous). C’est ce que relate J. Kahn-Nathan :

« En 1960 il y a eu un congr`es `a New York sur le DIU. Et `a ce moment-l`a, j’´etais cheffe de clinique chez Netter [`a l’hˆopital Necker] (...) Nous avons ´et´e, `a la suite de la visite de Netter `a New York, inscrits dans un plan d’aide (...) d’une fondation am´ericaine charg´ee des probl`emes de contraception, de la fondation Ford. Et ils se sont mis en rapport avec moi, et ils m’ont propos´e de participer `a une ´

etude internationale, et ce moyennant quoi ils m’ont donn´e le mat´eriel n´ecessaire alors qu’il n’´etait pas du tout commercialis´e en France. Donc on a eu quelques ann´ees en avance, et ¸ca s’est pass´e, je pense. . . vers 1961 (...) La [Fondation] me les envoyait r´eguli`erement. On les recevait en bloc, on les st´erilisait, et on avait un inserteur pour vingt st´erilets, alors que maintenant c’est en ´etui tout pr´epar´e. - C’´etait lesquels, c’´etaient ceux en forme de S, ou ceux en forme de spirale ? - C’´etaient des loop de Lippes, comme ¸ca [elle dessine une spirale], avant y avait des

boucles de Margulies (...) Et donc on a b´en´efici´e du mat´eriel n´ecessaire. Parce que le m´edecin de ville qui disposait que de la pharmacie o`u il fallait ´ecrire `a Londres pour faire venir un st´erilet, c’´etait pas pratique, tandis que moi je les recevais par paquets. »

(Jacqueline Kahn-Nathan, ancienne gyn´ecologue m´edicale, ancienne interne d’Albert Netter, et sp´ecialiste du DIU, entretien du 11 mars 2016 `a son domicile)

Ici encore, sans que cet exemple ne t´emoigne d’une diffusion large de ces produits, les propos de J. Kahn-Nathan r´ev`elent que la pose de DIU ´etait une pratique qui existait d´ej`a en France au d´ebut des ann´ees 1960. Plusieurs entretiens relatent ´

egalement la circulation, d`es la fin des ann´ees 1950, de diaphragmes, prescrits par les m´edecins de la Maternit´e Heureuse, et command´es en Suisse ou en Grande- Bretagne7. Plusieurs travaux sur le Planning familial en France et en Angleterre

corroborent cette affirmation, en mettant l’accent sur le rˆole de diffusion de cette m´ethode par les r´eseaux du Planning familial (Pavard, 2012c, p. 62-68) ou sur l’importance des circulations transnationales de savoirs et de savoir-faire entre ces deux pays (Rusterholz, 2019)8. Les pr´eservatifs, quoique jamais interdits car utilis´es pour pr´evenir la propagation des maladies v´en´eriennes, ´etaient, selon plusieurs t´emoignages, tr`es peu utilis´es `a des fins contraceptives9.

Ces t´emoignages sugg`erent la situation de flou juridique existant avant la loi Neuwirth de 1967, o`u certaines m´ethodes contraceptives sont disponibles l´egalement (pr´eservatifs), d’autres accessibles de mani`ere d´etourn´ee pour d’autres usages que contraceptifs (œstro-progestatifs), une partie encore non disponible `a la vente mais n´eanmoins import´ee d’autres pays (diaphragmes, DIU, spermicides) ou fabriqu´ee de mani`ere semi-clandestine (spermicides), d’autres enfin utilis´ees par les couples sans passer par les m´edecins ou les pharmacien·ne·s (retrait, m´ethode Ogino-Knaus). Les m´ethodes de st´erilisation enfin, qui ne sont pas encadr´ee l´egalement avant 2001, ne sont pas `a strictement parler interdites. De fait, la ligature des trompes est utilis´ee occasionnellement avant 1967 `a des fins th´erapeutiques ou de pr´evention (Garcia, 2011, p. 163), tandis que la vasectomie n’est quasiment jamais utilis´ee (Giami et Leridon, 2000; Ventola, 2017)10. Ceci am`ene `a consid´erer l’´evolution l´egislative amen´ee par la loi Neuwirth comme s’inscrivant dans un processus lent de lib´eralisation de la contraception, plutˆot que comme une rupture nette et soudaine avec la situation qui pr´evalait jusqu’alors. Car, d’une part, il n’a pas fallu attendre la loi Neuwirth pour que circulent des contraceptifs en France et, d’autre part, le vote de cette loi en 1967 ne s’est pas imm´ediatement traduit par la l´egalit´e des produits auparavant interdits, comme le montre la section suivante.

2.1.2

Evolution du cadre l´´

egal et campagnes en faveur de

la contraception : des politiques publiques `a l’appui

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