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d’inspiration anglo-saxonne en France

Dans le document en fr (Page 196-199)

Dans son travail sur les transferts de savoirs entre l’Angleterre et la France en mati`ere contraceptive, l’historienne Caroline Rusterholz montre l’importance du mod`ele anglais dans le d´eveloppement du mouvement fran¸cais pour le plan- ning familial (Rusterholz, 2019). Pourtant, dans les ann´ees 1930, les m´edecins fran¸cais·es, et particuli`erement les femmes m´edecins, s’inscrivent plutˆot dans une optique familialiste et nataliste en porte-`a-faux avec la perspective propos´ee par les m´edecins anglaises de m´edicaliser la contraception et de la rendre accessible aux femmes (Rusterholz, 2018). Les militantes pour le birth control telles que Marie Stopes ou Helena Wright sont en effet tr`es actives, `a partir des ann´ees 1920, dans la revendication d’une expertise m´edicale sp´ecifique sur la contraception, l´egitim´ee par leur exp´erience m´edicale dans les cliniques de birth control qu’elles ont contribu´e `a d´evelopper en Angleterre. Elles parviennent ainsi, en revendiquant cette expertise m´edicale et scientifique, `a imposer dans les espaces nationaux et internationaux d´edi´es (conf´erences, revues) leur lecture du probl`eme du contrˆole des naissances et des r´eponses `a y apporter. `A des coll`egues masculins qui posent

le probl`eme essentiellement du point de vue moral, politique ou d´emographique, et avec une r´ef´erence tr`es pr´esente aux mouvements n´eo-malthusiens, ces femmes m´edecins opposent une lecture du probl`eme en termes technique, clinique, et scien- tifique. Dans leurs interventions `a ces congr`es nationaux et internationaux, elles prˆonent la n´ecessit´e de s’int´eresser `a l’efficacit´e des m´ethodes contraceptives et aux conditions concr`etes de leur prescription, `a leur accessibilit´e pour les usager·e·s et particuli`erement pour les femmes, et aux inconv´enients et effets secondaires li´es `a leur usage. Elles sont ´egalement pionni`eres dans la mobilisation de donn´ees statistiques, r´ealis´ees `a partir de l’observation syst´ematique de cas cliniques, comme mode de savoir scientifique et comme l´egitimation de leur expertise. `A certains coll`egues qui cherchent `a l´egitimer leur expertise sur un savoir-faire clinique non commensurable, elles opposent des s´eries statistiques qui seules permettent d’avoir un avis impartial sur les m´ethodes, en observant leurs taux d’efficacit´e, et les inconv´enients ou avantages rapport´es par les utilisatrices·teurs.

Comme C. Rusterholz le montre dans le cas du Gr¨afenberg Ring (un mod`ele de DIU d´evelopp´e en Allemagne dans les ann´ees 1910), cette forme d’expertise scientifique revendiqu´ee par des femmes m´edecins est progressivement reconnue et l´egitim´ee au cours des ann´ees 1930 (Rusterholz, 2017b). `A partir de l’analyse des d´ebats dans les conf´erences internationales sur le contrˆole des naissances qui ont lieu entre 1920 et 1935, elle montre ´egalement que les femmes m´edecins anglaises engag´ees dans les mouvements de birth control prˆonent d`es les ann´ees 1920 une m´edicalisation de la contraception, qui doit passer selon elles par un monopole des m´edecins sur la prescription contraceptive, et par l’´etablissement de la contraception comme champ d’´etude de la m´edecine (Rusterholz, 2018). Ces militantes d´efendent ´

egalement l’id´ee que la contraception devrait ˆetre prescrite par des femmes et pour les femmes. Les quelques rares m´edecins fran¸caises qui interviennent dans ces congr`es dans les ann´ees 1920 et 1930 ne s’expriment au contraire ni en faveur de la m´edicalisation de la contraception, ni pour la f´eminisation de sa prescription8.

Le d´eveloppement d’une sp´ecialit´e f´eminis´ee prenant en charge la contraception prˆon´ee par les m´edecins anglaises d`es les ann´ees 1920 ne trouvera d’´echo en France qu’une g´en´eration plus tard, dans les ann´ees 1950 et 1960.

C. Rusterholz montre en outre que les femmes m´edecins anglaises engag´ees dans le mouvement de birth control pr´econisent de plus en plus, dans les ann´ees 1930, le recours aux capes cervicales et aux cr`emes spermicides (Rusterholz, 2018). Entre les ann´ees 1930 et les ann´ees 1950 s’op`ere toutefois un glissement s´emantique dans

8. L’historienne lie le d´ecalage entre m´edecins anglaises et m´edecins fran¸caises qui participent `

a ces congr`es aux restrictions de la loi de 1920 en France, mais ´egalement `a l’absence d’´egalit´e civique et de droits politiques, qui distingue les Fran¸caises des Anglaises `a cette ´epoque.

leurs revendications : du « birth control », ou l’id´ee d’une limitation des naissances pour enrayer la croissance de la population mondiale dans une perspective n´eo- Malthusienne, on passe progressivement `a l’id´ee de « family planning », ou la revendication d’un droit des couples et des femmes `a plannifier la taille de leur famille et la temporalit´e des grossesses9. En deux d´ecennies, le mouvement de birth control d’inspiration n´eo-Malthusienne s’est ainsi reconverti en un courant plutˆot familialiste centr´e sur l’affirmation des droits reproductifs des personnes.

Ces diff´erents arguments sont repris quasiment `a l’identique par les militantes de Maternit´e Heureuse dans les ann´ees 1950, et par Marie-Andr´ee Lagroua Weill- Hall´e dans ses discours `a l’Acad´emie des sciences morales et politiques (Pavard, 2012a; Rusterholz, 2018). Ce qui deviendra rapidement le Mouvement fran¸cais pour le Planning familial s’inspire en effet tr`es fortement du mouvement anglais (Pavard, 2012a; Rusterholz, 2019). De nombreuses·eux m´edecins du MFPF sont all´e·e·s se former dans les cliniques anglaises, rapportant `a la fois savoir-faire et mati`eres premi`eres (notamment le mat´eriel pour prescrire des diaphragmes). Mais au-del`a de ces transferts technologiques et scientifiques, c’est v´eritablement la vision du planning familial telle qu’elle a ´et´e d´efinie par ces m´edecins anglaises militantes du contrˆole des naissances qui a ´et´e import´ee en France entre les ann´ees 1950 et 1970 (Pavard, 2012a). Les militantes fran¸caises promeuvent notamment une contraception10 devant ˆetre accessible aux femmes mari´ees, pour espacer

leurs grossesses, en privil´egiant le choix des femmes mais en mettant l’accent sur la n´ecessaire m´edicalisation de la contraception. Le seul ´el´ement qui n’est pas repris tel quel par les militantes fran¸caises est la pr´econisation d’Helena Wright que la contraception demeure aux mains des femmes m´edecins, du fait de savoir- faire sp´ecifiques par rapport `a leurs coll`egues masculins. De fait, si l’association Maternit´e Heureuse est port´ee par des femmes (m´edecins ou non), le MFPF est, lui, un mouvement beaucoup plus mixte (Pavard, 2012c, p. 53-54). Plus mixte encore, voire plus masculin, est son Coll`ege m´edical, laissant entrevoir que les m´edecins qui importent ce mod`ele de planning familial `a l’anglaise ne revendiquent pas sp´ecifiquement une appartenance de genre pour justifier leur expertise en mati`ere de r´egulation des naissances. Toutefois, des formes de s´egr´egation de genre entre sp´ecialit´es m´edicales se d´eveloppent, et s’incarnent progressivement de plus en

9. Ce mouvement s’adresse toutefois exclusivement aux femmes blanches de classes moyennes ou sup´erieures, et mari´ees. En effet, les ann´ees 1930 `a 1950 correspond parall`element au d´eploie- ment du mouvement n´eo-Malthusien `a l’´echelle mondiale, `a destination de pays ou de r´egions `a forte croissance d´emographique.

10. Marie-Andr´ee Lagroua Weill-Hall´e n’utilise que rarement le terme de « contraception » dans ses interventions orales ou ses ´ecrits, et lui pr´ef`ere largement le terme de « r´egulation des naissances ». Comme l’a montr´e B. Pavard (2012c), cela fait partie de la strat´egie de la Maternit´e heureuse pour rendre respectable le combat pour l’acc`es aux m´ethodes de contrˆole des naissances.

plus, dans la sp´ecialit´e fran¸caise de gyn´ecologie m´edicale.

4.1.2

Le rˆole des gyn´ecologues m´edicales·aux du MFPF

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