• Aucun résultat trouvé

L‟Epístola satírica y censoria... se présente, dans le titre, comme une lettre, prétendument écrite au comte d‟Olivarès, personnage historique sur l‟identité duquel nous

reviendrons. Intéressons-nous d‟abord à cette forme épistolaire et constatons qu‟elle rend la situation de communication poétique double. Comme souvent dans la poésie morale quévédienne un destinataire principal est convoqué, les lecteurs du poème n‟en étant que les destinataires secondaires. Ici, la situation est particulière, puisque le destinataire principal n‟est pas complètement un prétexte, comme la plupart du temps, mais bien une personne dont il ne nous semble pas absurde de penser que Quevedo cherche à la convaincre de certaines idées qui sont les siennes. Quoi qu‟il en soit, sur un plan plus concret, le propos explicite du texte est une adresse écrite au comte d‟Olivarès pour exiger de lui une conduite politique conforme à certaines idées, alors que les allocutaires seconds du poème sont ses lecteurs potentiels, à convaincre aussi du bien-fondé des idées que la voix poétique développe ici.

Cependant, remarquons d‟ores et déjà qu‟un seul vocatif (« Señor Excelentísimo », v. 25) est utilisé dans tout le début du poème, le second et le troisième vocatif n‟apparaissant que beaucoup plus loin (« vos », v. 169, « señor », v. 190). Dans le même ordre d‟idées, la personne grammaticale utilisée pour s‟adresser directement à Olivarès (« vos ») n‟apparaît qu‟au vers 166, c‟est-à-dire après le troisième quart du poème. Dans les trois premiers quarts du texte, de plus, la voix poétique ne s‟adresse qu‟une fois, au tout début, à un « tú » dont le référent n‟est pas clair, nous y reviendrons, et présente une seule fois aussi des arguments qui s‟adressent à une troisième personne grammaticale (« sepa quien lo niega », v. 13). En opposition à cette rareté première de l‟allocutaire, à partir du vers 166, les pronoms « vos » et « os » sont employés neuf fois, accompagnant huit verbes ayant cette personne pour sujet :

« Pasadnos vos de juegos a trofeos, que sólo grande rey y buen privado pueden ejecutar estos deseos. Vos, que hacéis repetir siglo pasado, con desembarazarnos las personas, y sacar a los miembros del cuidado; vos distes libertad con las valonas, para que sean corteses las cabezas, desnudando el enfado a las coronas. Y pues vos enmendastes las cortezas, dad a la mejor parte medicina: vuélvanse los tablados fortaezas. Que la cortés estrella, que os inclina a privar sin intento y sin venganza, milagro que a la invidia desatina, tiene por sola bienaventuranza el reconocimiento temeroso, no presumida y ciega confianza. Y si os dio el ascendiente generoso escudos, de armas y blasones llenos, y por timbre el martirïo glorïoso,

mejores serán por vos los que eran buenos Guzmanes, y la cumbre desdeñosa os muestre, a su pesar, campos serenos.

Lograd, señor, edad tan venturosa; y cuando nuestras fuerzas examina persecución unida y belicosa la militar valiente disciplina tenga más platicantes que la plaza: descansen telas falsas y tela fina. Suceda a la marlota la coraza, y si el Corpus con danzas no los pide, velillos y oropeles no hagan baza. El que en treinta lacayos los divide, hace suerte en el toro, y con un dedo la hace en él la vara que los mide. Mandadlo ansí, que aseguraros puedo que habéis de restaurar más que Pelayo; pues valdrá por ejércitos el miedo,

y os verá el cielo administrar su rayo. » (vv. 166-205)

L‟effet du décalage entre la rareté de l‟allocutaire dans les trois premiers quarts du poème et son omniprésence à la fin est, d‟une part, de renforcer l‟impression d‟importance de ces adresses finales à Olivarès, valorisant ainsi également ce personnage, auquel il est logique, dans le cadre des rapports sociaux, de donner de l‟importance. D‟autre part, cela permet l‟édification morale du plus grand nombre de lecteurs possible dans le début du texte, en évitant d‟associer immédiatement l‟argumentation à un seul personnage à convaincre en particulier.

La lettre adressée à un personnage réel implique aussi d‟inciter à l‟identification de la voix à un personnage réel également, qui est, de manière logique, le poète lui-même. Alors que cela n‟est pas le cas dans les autres poèmes moraux, Quevedo se présente ainsi, sur le plan de l‟expression poétique, comme très proche de la voix poétique, voire comme strictement identifiable à celle-ci. C‟est, en tous cas, ce qu‟incite à comprendre la forme choisie de la lettre et c‟est ainsi qu‟Anders Cullhed comprend le poème : « Es sin duda el más conocido alegato del reaccionario moralista Quevedo »424. Le critique suédois assimile sans hésitation les propos de la voix poétique s‟exprimant ici à la pensée de Francisco de Quevedo, et nous pensons également que, si la distinction entre voix poétique et auteur est complètement fondamentale dans l‟immense majorité des textes qui nous occupent, ici, exceptionnellement, elle prend une dimension beaucoup moins essentielle.

Revenons cependant sur les limites de l‟assimilation de ce poème à une lettre, ou à une épître : nous avons déjà mentionné la rareté de l‟allocutaire dans tout le début du texte ; J. Ignacio Dìez Fernández va plus loin, en affirmant même qu‟il ne s‟agit pas du tout d‟une épître. Il écrit en effet :

424

Anders Cullhed, Quevedo. El instante poético (traduction de Marina Torres et Francisco J. Uriz), Zaragoza, Institución « Fernando el Católico », 2005, p. 23.

« El poema que aparece titulado rimbombantemente en el Parnaso español „Epìstola satìrica y censoria contra las costumbres presentes de los castellanos », de don Francisco de Quevedo, no es, desde luego, una epístola moral, ni familiar, ni meramente literaria. Tampoco horaciana [...]. Se trataría, más bien, de un memorial en verso [...]. No es, pues, más que una epístola aparente »425

De même, Alfonso Rey pense qu‟on ne peut pas parler, pour ce texte, d‟épître :

« Quevedo, tan horaciano en muchos aspectos, abandonó el cauce de la epístola. Echó mano de esa denominación y de los tercetos para escribir una Epístola satírica y censoria contra las costumbres

presentes de los castellanos que podría considerarse casi como un rechazo del género. Ese memorial en

verso dirigido al Conde-Duque está muy lejos de las cartas amistosas donde Garcilaso, Boscán o Hurtado de Mendoza aparentaban un desorden constructivo para hilvanar anécdotas cotidianas y digresiones éticas. Tanto en la Epístola como en el Sermón estoico la lección avanza rectilínea, sin anécdotas ni divagaciones, en abierta oposición a lo que sigue ocurriendo en el siglo XVII con las epístolas de Lope de Vega. La técnica y el estilo quevediano, dados a la concentración, no coïncidían con la fluida indeterminación del généro epistolar. »426

Nous prenons ces assertions comme des nuances à apporter à la dénomination de ce poème comme épître ; cependant, ce qui nous importe surtout est que le titre donne ce nom au texte que nous étudions, qu‟il corresponde aux canons du genre, ou non. D‟ailleurs, pour d‟autres critiques encore, cette question du genre de l‟épître n‟est pas vraiment remise en cause par ce poème, qui porterait en fait la marque des changements qui se produisent alors dans la manière d‟aborder ce genre :

« No estamos ante un error estilístico del escritor barroco : las epístolas pueden ser más o menos íntimas o más o menos amistosas, pero no dejan de ser epístolas, marcadas ahora por el cambio de estilo que se produce en esta época. »427

De ce point de vue, la date d‟écriture (sans doute à partir de 1625) de ce texte coïnciderait avec une période de changement dans les codes stylistiques de l‟épître, faisant de l‟Epístola

satírica y censoria... une épître d‟un genre nouveau.

Notre but, dans les lignes qui précèdent, à été de voir comment la situation de communication induite par la lettre était exploitée (nous avons vu que la présence irrégulière de l‟allocutaire mettait l‟accent sur une célébration de celui-ci condensée dans l‟envoi du poème). Finalement, le fait que ce poème ne coïncide pas avec le genre de l‟épître dans l‟acception traditionnelle du terme rend même plus intéressant le fait que le titre prétende l‟y rattacher. Un tel « mensonge » est, à nos yeux, la preuve que c‟est la fiction poétique qui prévaut ici et que trouver un prétexte pour célébrer la grandeur passée de l‟Espagne importe plus que rédiger une épître conforme aux canons pour convaincre Olivarès d‟agir de telle ou telle façon. C‟est, finalement, de cette façon aussi que J. Ignacio Dìez Fernández conclut une partie de sa réflexion sur ce poème : « Quevedo propone un auténtico imposible : la vuelta a

425

J. Ignacio Díez Fernández, « La Epístola satírica y censoria : un memorial reaccionario… y moderno », art. cit., pp. 49-50.

426

Alfonso Rey, Quevedo y la poesía moral española, op. cit., p. 216.

427

Ana María Díaz Benítez, Jesús Díaz Armas, « La Epístola satírica y censoria de Quevedo », in Cuaderno

un pasado inexistente. Su ideología reaccionaria es aquí sublime o, más simplemente, muy literaria. »428.