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Psycho : sens et but du JdRF

Le JdRF prend la forme d’un JdR ludique auquel on adjoint des séquences de débriefing. Son but principal est d’amener les gens à se rendre compte qu’ils peuvent créer un monde et s’y ajuster, ce qu’ils font dans la vie157. Pour atteindre cet objectif, l’animateur du JdRF158 (MJ durant la séquence de jeu) propose aux participants de s’impliquer dans une action de formation atypique, privilégiant le développement d’un imaginaire groupal et le sens de l’improvisation. Ces derniers y interprètent des personnages imaginaires, les Personnages Joués (PJ), souvent très éloignés de leur réalité existentielle, dont ils déterminent une partie des caractères biopsychosociaux159 (caractéristiques physiques, passions et hobbies, activités socioprofessionnelles, etc.). Par la suite, ils sont amené à respecter les contraintes propres à ces derniers (mode de vie et conditions de survie). En s'appuyant sur l'imaginaire groupal des participants, le MJ élabore des situations fictives et réalistes dans lesquelles les protagonistes sont amenés à agir en tant que PJ. Ces derniers,

156 En référence au triptyque agent-acteur-auteur développé par ARDOINO Jacques & LOURAU René (1994), Les pédagogies institutionnelles

157 Tiré de l’entretien du 19 juin 2001 avec SINNER Dominique

158 Ce terme convient assez à la posture du formateur engagé dans un JdRF. Il renvoie à la fois à la notion de moniteur, employée par J.L. Moreno et de facilitateur, proposée par C. R. Rogers.

159 Dans le JdRF, on évitera de complexifier inutilement le création du personnage pour privilégier la cohérence entre sa présentation initiale et le comportement adopté par l’acteur durant le scénario.

par leurs actions (prises de risques virtuelles), changent le cours des évènements. Le MJ interprète les différents Personnages Non Joueurs (PNJ) que rencontrent les PJ au cours du jeu.

La réussite du JdRF repose en partie sur cet investissement délibéré des participants dans l’interprétation de leur personnage. Il s’agit donc d’instaurer, dès le départ, une notion de responsabilisation de la part des participants : chacun est libre de quitter l’expérimentation à tout moment. La volonté de poursuivre l’expérience tient essentiellement au plaisir qu’ils prennent à jouer leur personnage au sein d’un groupe qui apprend à se connaître et se soude au travers du jeu. La convivialité, le partage de moments intenses, les relations interpersonnelles vraies (tant entre PJ qu’entre joueurs), les souvenirs communs, l’action et la prise de décision collective sont autant d’éléments qui contribuent à renforcer les liens au sein d’un groupe et à faire émerger une dynamique identitaire160 collective. Cette dernière, issue de l’imaginaire groupal mis en place durant le jeu, est, pour peu qu’on l’accompagne, susceptible d’être transférée dans la réalité et de perdre ainsi sa dimension éphémère.

Solidement ancré dans le contexte socio-historique, le JdRF propose de favoriser la transformation des représentations des participants, à partir de leur implication dans un rôle imaginaire. Cette pratique de l'ordre du vécu, qui perd son sens et son intérêt pour qui l’observe de manière objective, n'est ni une méthode de formation ni un simple support pédagogique. Son fond comme sa forme sont exploitables. Le JdRF peut être envisagé comme une situation d’apprentissage inductif car les jeux de rôles, avec leur attention méticuleuse portée aux détails, constituent une simulation de la vie dans son ensemble161. De par son extrême complexité, conséquence de l’emploi de règles de jeu semblables à celles régissant la vie réelle, il est adaptable à de nombreuses situations de formation, à condition toutefois de respecter ses contraintes d’utilisation (taille du groupe, temps imparti, personnages imaginaires, etc.). Car certaines concessions faites un peu hâtivement sur ces différents points, eu égard aux exigences des commanditaires de formations, peuvent nuire aux apports spécifiques induits par cette pratique.

Le JdRF apporte cette mise à distance nécessaire à l’apprenant pour échapper à la pression sociale et affective que son entourage exerce sur lui. Il offre un cadre propice à la

160 Les dynamiques identitaires, au sens de KADDOURI Mokhtar (séminaire du 22 mars 2003 au CeRFor de Montpellier), comprennent des dimensions culturelles (temporalités), des tensions intra et intersubjectives (spatialités), des stratégies visant à réduire ces écarts (continuité, transformation, gestation, destructivité et anéantissement), et des projets pour les mettre en œuvre (intentionnalité).

décentration et à l’apprentissage par l’expérimentation d’autres rôles que ceux imposés par la société, élargissant ainsi le panel des rôles sociaux à disposition. Il prédispose aussi la personne à accepter le changement, car la personnalité devient d’autant plus riche et plus équilibrée qu’elle devient capable de tenir un plus grand nombre de rôles différents162. Par un constant rappel aux représentations collectives, le JdRF pousse l’individu à s’impliquer dans un processus de socialisation, dirigées vers un objectif constructif et collectif, au travers du jeu des relations interpersonnelles. Il permet au participant de retrouver confiance en lui, en ses potentialités créatives et en sa capacité à agir sur son environnement… et de redécouvrir le goût de l’émerveillement. Il est propice à l'apprentissage expérientiel de différents processus et concepts : intersubjectivité, transversalité163, spontanéité, autogestion, autorisation, collaboration, prise de pouvoir, etc.

Le JdRF est un révélateur, non un déclencheur, de l’état écobiopsychosocial de la personne. Il permet de déterminer si les participants sont prêts à passer dans une phase d’autonomisation ou si leur déséquilibre biopsychosocial est trop marqué. En ce cas, il vaut mieux envisager une thérapie et non une formation. Le JdRF révèle aussi la complexité de la réalité. Il s’inscrit dans un parcours biographique et s’imprime dans la mémoire épisodique au même titre qu’une expérience vécue. L’identité de soi, l’estime de soi, l’image de soi se trouvent renforcées par les prises de rôles, déterminant au passage, ce que certains désignent comme étant le savoir-être. Les sentiments, sensations et émotions sont bien réels. L'appel à l'intersubjectivité, destiné à provoquer des ruptures dans les systèmes de représentations, facilite la prise de recul sur la situation vécue et par conséquent sur la réalité. Il devient dès lors possible de relativiser la justification des croyances et des savoirs établis, de réagir face à des situations hors normes, etc.

Le JdRF, en créant un lien ludopédagogique entre les contes et les jeux de société, ouvre un espace-temps potentiel164 d’interprétation et d’improvisation permettant de rompre avec les freins contextuels. Il fait le lien entre les concepts primordiaux de jeu et de rôle. Cette pratique hybride, mêlant créativité collective et développement maturationnel, pousse les adultes à redécouvrir les bienfaits de l’apprentissage par le jeu, tout en s’initiant à la co-recherche-action-formation. Le JdRF se distingue des autres JdR de formation notamment par le fait qu’il nécessite : la présence d’un MJ impliqué dans l’action collective ; l’absence d’observateurs susceptibles de nuire à l’implication des participants ;

162 WAGUET René (1979), Le jeu de rôles

163 Au sens de R. Barbier – cf. Partie III.C.2.a. L’approche transversale

164 En référence à l’espace potentiel décrit par WINNICOTT Donald Woods (1971), Jeux et réalité – l’espace

un temps de jeu conséquent, facilitant la mise en place d’un imaginaire groupal, et donc excluant le découpage en courtes séquences directement analysables.