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La rencontre des futurs participants a pris des formes variées, selon qu’il s’agissait

de convaincre certaines personnes de s’investir dans cette démarche, ou d’individus me faisant part de leur envie de participer à un JdR. Dans un cas, j’étais à l’initiative du contact, laissant à mon interlocuteur le choix du lieu et de l’horaire de l’entretien durant lequel je me proposais de lui présenter le JdRF tout en l’invitant à s’y essayer. Dans l’autre, je profitais d’une discussion informelle sur mon sujet de thèse pour proposer à la personne de tenter l’expérience. Mon premier souci, dans le cadre de la mise en place d’une démarche qualitative, a été de constituer des groupes-chercheurs qui soient à la fois représentatifs, dans le sens où ils respectaient une certaine hétérogénéité (proportion d’hommes et de femmes, âges différents), et relativement homogènes et complémentaires, du point de vue des centres d’intérêts. Ceci sans perdre de vue qu’une équipe de recherche en éducation, dans cette perspective, devrait inclure non seulement divers scientifiques en sciences humaines et en sciences de la nature mais également des littéraires, des poètes, des artistes, des philosophes et des chercheurs ouverts sur la dimension expérientielle de la vie spirituelle191. Avec cette idée de départ, j’ai entrepris de provoquer et d’accumuler les rencontres. Soucieux de parfaire la présentation de mon approche (groupes-chercheurs / co-recherche-action-formation / JdRF), je me suis laissé aller à de longues conversations portant sur le sujet. Il faut rappeler, à ma décharge, que de nombreuses personnes sont aujourd’hui sensibilisées à l’usage du terme de JdR, et que si cette activité reste pour beaucoup nimbée de mystères, ce thème de recherche laisse rarement indifférent les

interlocuteurs. A chacune de ces occasions, je me suis rendu compte que je progressais dans la construction théorique et que j’établissais de nouvelles connexions susceptibles d’enrichir mon corpus conceptuel, tout en développant une certaine confiance en moi. En cela, ce ne fut jamais du temps perdu. A force de persévérance, je récoltais les coordonnées de plusieurs personnes intéressées par ma démarche et prêtes à s’essayer au JdRF. A mesure que j’avançais dans mon projet, je me rendis compte de l’importance de prévoir deux types d’intervention : d’une part, des séances de sensibilisation de quelques heures, visant à une compréhension expérientielle d’un phénomène préalablement décrit ; d’autre part, la mise en place de groupes-chercheurs invités à s’impliquer dans une co-recherche-action-formation s’intéressant aux apports du JdRF. Quoiqu’il advienne, les participants, tous volontaires, ont toujours la possibilité de quitter l’expérimentation. Si ces différents groupes, constitués au fil des rencontres, n’ont pas manqué d’influencer, en retour, les pistes explorées par cette recherche, ce n’est qu’après avoir entamé le JdRF qu’ils ont pu révéler leurs spécificités.

Les groupes de sensibilisation servent principalement deux objectifs. D’une part,

ils visent à promouvoir et à démystifier cette activité ludique particulière aux yeux du tout venant, tout en permettant à ce dernier de faire l’expérience d’une activité favorisant l’émergence d’un apprentissage inductif. D’autre part, ils permettent de préparer d’éventuels volontaires à s’engager plus en avant dans le JdRF et, le cas échant, à constituer un nouveau groupe-chercheur, ou à en compléter un déjà existant. Il s’agit presque à chaque fois d’individus intrigués par l’originalité de cette approche et qui tiennent à s’en faire une idée plus personnelle. Ils sont alors prêts à tenter l’expérience, que ce soit en compagnie de parfaits inconnus ou avec des proches. La composition de ces groupes de sensibilisation au JdRF est la suivante : le premier d’entre eux (GS1), particulièrement homogène, comprenait quatre femmes militant au sein de la même institution (Fédération Nationale des Foyer Ruraux) ; le suivant (GS2), réunissait une étudiante en histoire de l’art, le porteur d’un projet agri-culturel, un formateur à la citoyenneté, ainsi que l’initiatrice d’un réseau d’échange de savoir, déjà engagée dans le deuxième groupe-chercheur alors en cours de dislocation ; un autre (GS3) rassemblait autour de la table mon directeur de thèse, un membre d’un collectif de photographes et une jeune doctoresse en sciences économiques ; le dernier (GS4) était composé d’un membre du Groupe d’Etude Ludopédagogique, animateur de la Compagnie du jeu, d’une enseignante-chercheuse en science du langage ainsi que d’un membre de mon jury de thèse.

Les groupes-chercheurs ont été constitués, tout d’abord, pour répondre à quatre

interrogations liées à la pratique du JdRF : la relation d’apprentissage, l’activité ludique, les alternatives autogestionnaires et la création collective. Il ne me restait plus qu’à trouver qui y participerait, rares étant les personnes prêtes à investir une partie de leur temps libre (plus d’une centaine d’heures) dans une activité dont ils ne connaissaient, pour ainsi dire, rien. Ceci n’a pas toujours été une partie de plaisir, comme le montre ce qui suit.

Le premier groupe-chercheur (GC1) se compose de trois hommes et de deux femmes, âgés d’environ 30 à 50 ans et issus du domaine de la formation : responsable de structure, formateurs et enseignants-chercheurs. Au départ de l’aventure, ils n’étaient que trois : une ex-participante au DESS d’Ingénierie de la Formation, déjà sensibilisée aux démarches de développement personnel ; mon ex-tuteur de stage de ce même DESS, qui partageait cette passion pour l’apprentissage expérientiel ludique ; un doctorant, chargé de cours et ancien meneur de JdR ludique, ayant une approche psycho-cognitive des apprentissages induits par les jeux de stratégies. Nous avons appris à jongler avec les disponibilités de chacun et nous nous sommes mis d’accord, tout d’abord, pour un rythme de rencontre trimestriel. Mais les aléas de la vie (naissance, déménagement, ruptures affectives, etc.) ont fait qu’il est bientôt devenu impossible de poursuivre l’expérience. Près d’une année s’est écoulée avant que l’on puisse reprendre là où l’on s’était arrêté (fin de la première des quatre parties prévues). En l’absence d’un des protagonistes initiaux, on a fixé néanmoins une date pour la session suivante, charge à moi de trouver un(e) ou plusieurs remplaçant(e)s. La providence m’a souri lorsqu’un étudiant, travaillant sur l’apport des jeux vidéo dans la formation à la citoyenneté et envoyé sur mes traces par mon directeur de thèse, a pris contact avec moi. Ma proposition l’a enchanté. Il ne me restait plus qu’à lui faire découvrir ce par quoi les autres étaient passés, ce qui a pu se faire en l’intégrant dans le GS2. Fort de cette expérience, il a ensuite rejoint le GC1 initial et nous avons enfin pu nous replonger dans les problèmes d’agenda. Lors de la session suivante, une jeune femme, issue du GS4, s’est jointe à nous. Ce qui a permis de compléter le groupe et de terminer l’expérimentation avec cinq joueurs.

Le deuxième groupe (GC2) était initialement composé de deux hommes et de deux femmes, âgés de 20 à 30 ans, issus du mouvement altermondialiste et impliqués dans la mise en place du Forum Social Local192 : un activiste situationniste autonome, un photographe membre d’un collectif “ engagé ”, une étudiante explorant les réseaux d’échange de savoir et une aide-éducatrice en devenir et militante de terrain. J’en profitais

192 Déçus par la tournure qu’avait pris le forum social (trop de critiques idéologiques et trop peu d’initiatives déployées), tous les membres du GC2 s’en sont progressivement désengagés.

pour développer une approche spécifique du JdRF, destinée à faciliter l’apprentissage expérientiel de l’autogestion. Mais là aussi les aléas de la vie, les divergences conjoncturelles d’intérêts ainsi que l’extrême mobilité des personnes ont fait des dégâts. Lors de la deuxième session, il ne restait déjà plus qu’une personne du groupe de départ. Cette rencontre a donné naissance au GS2. J’en profitais pour intégrer la personne qui devait ensuite rejoindre le GC1. Mais cette expérience s’arrêta malheureusement là, la personne la plus motivée étant parti trop loin pour envisager de poursuivre le JdRF (même si elle n’a pas pour autant définitivement rejeté cette possibilité), à ma grande déception.

Le troisième groupe (GC3) devait rassembler deux hommes et deux femmes, âgés de 25 à 35 ans et issus de l’univers des JdR ludiques. Il s’adressait à des MJ expérimentés, qui devaient profiter du JdRF pour rapprocher leur expérience de jeu des pratiques de formation et ludopédagogiques. Là encore, l’aléa à frappé. Et tellement fort qu’il n’y eu jamais de première session. J’ai mis du temps à faire le deuil de cette perte sèche pour la suite de mon étude. D’ailleurs, je suis toujours sur la brèche et j’ai plusieurs joueurs potentiels à relancer. Mais ce sera pour plus tard, afin d’approfondir ce travail de recherche. Je dois au préalable finaliser l’écriture de cette thèse. Il n’est pas impossible que ce GC3 débute son activité peu avant la soutenance de cette thèse.

Le quatrième groupe (GC4)193, très homogène, qui rassemble une population presque exclusivement masculine et âgée de 30 à 35 ans, est, lui, particulièrement résistant aux différents aléas. Il se compose d’un noyau dur, formé par trois personnes impliquées dans l’écriture collective d’un scénario et la création d’un système de jeu adéquat : votre serviteur, en tant qu’apprenti chercheur en Science de l’Education, élément moteur et parfois MJ ; notre ami mélomane et webmaster, pour sa spontanéité et sa créativité ; notre ami responsable d’une structure et futur écrivain, en tant que MJ chargé d’expérimenter toutes sortes d’initiatives ; et de quelques autres participants, parfois MJ mais plus souvent joueurs, issus d’un réseau relationnel rassemblant une dizaine d’amis rôlistes de longue date, la plupart officiant dans les domaines de l’enseignement ou des nouvelles technologies. Les trois à six personnes ainsi réunies à l’occasion d’un JdR ludique se connaissent et s’apprécient, ayant déjà, par le passé, partagé d’innombrables heures de jeu et de vie collective. Ce groupe, qui existait déjà bien avant la mise en route de ce travail de recherche, lui survivra, très certainement. Quoiqu’il ne s’agisse pas ici de mettre en place une formation entièrement basée sur la pratique du JdRF, il est indéniable que cette forme d’activité informelle et intersubjective nourrit considérablement la réflexion sur ce sujet,

tout en offrant la possibilité d’expérimenter diverses alternatives et d’envisager d’autres perspectives quant à l’utilisation des JdRF.

2. Fonctionnement des groupes

Etant donné le peu d’expérimentations ayant pu être menées à leur terme, je me contenterai ici de présenter succinctement les conditions de jeu de celles que je considère comme inachevées (groupes de sensibilisation) pour m’attarder plus longuement sur celles ayant nourri plus amplement cette recherche (GC1 et GC4).