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Les attaques sporadiques, relayées par les médias contre les soi-disant effets pervers du JdR ludique, ne font que renforcer l’idée qu’il s’agit là d’une activité qui ne peut, et ne doit pas, être jugée par des personnes sans expérience de cette pratique. Le terme de JdR a hérité d’une dangereuse connotation schizophrénique, qui renvoie à l’image d’un meneur de bande jouant à l’apprenti sorcier ou au gourou, avec des personnes rendues fragiles psychologiquement par l’abus de cette pratique. Les diverses anecdotes (suicide, sectarisme, profanation, etc.) ayant ainsi fait l’objet de véritables tapages médiatiques, ne résistent pas à un examen attentif contextualisé65. Injustement soupçonné de déstabiliser inutilement voire dangereusement l’individu, le JdR ludique est, et reste, un révélateur et non un déclencheur de l’état de santé mentale66 d’un individu. En effet, si les participants, durant le scénario, s’impliquent largement dans leur personnage imaginaire, ils gardent à tout moment la possibilité de s’exclure du jeu. D’ailleurs, la magie inhérente à ce dernier n’existe que par la volonté commune à l’ensemble des membres du groupes. Un retrait volontaire entraîne bien souvent l’arrêt de la partie. C’est ainsi qu’une personne dépressive peut être amenée à se suicider dans le JdR, sans pour autant passer à l’acte dans la réalité. Il serait d’ailleurs plus judicieux de se pencher sur l’effet “ soupape de sécurité ” de cette

64 HUIZINGA Johan (1938), Homo Ludens

65 Cf. MATTELY Jean-Hugues (1997), Istres, Toulon, Carpentras… Jeu de rôle : crimes ? Suicides ?

Sectes ?, Les Presses du Midi, Toulon ; TREMEL Laurent (2001), Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia ; The Committee for the Advancement of Role-Playing Games ; CARDWELL Paul (1994), “ The Attacks on Role-Playing Games ” ; etc.

66 La santé mentale se définit sur un plan multidimensionnel composé d'interactions entre des facteurs

biologiques, psychologiques et sociaux conditionnant le vécu existentiel et le comportement de l'individu -GRUNBERG F. (1988), “ État actuel de la psychiatrie ”, dans P. Lalonde et F. Grunberg (et coll). Psychiatrie

activité ludique, notamment dans le cas de tensions internes fortes, que d’y voir une source à bien des problèmes.

Si A. Mucchielli, dans son ouvrage sur les jeux de rôles67, ignore totalement l’existence du JdR ludique, A. Ancellin-Schützenberger, quant à elle, juge impitoyablement cette pratique, malgré une méconnaissance flagrante de celle-ci. Elle procède ainsi à des amalgames peu judicieux entre rôlistes et écrivains, et entre différents jeux. Ainsi, elle affirme un peu vite que certains jeux de société, ou jeux de simulation, sont aussi parfois appelés jeu de rôle (comme “ Donjons et Dragons ” - 1973 – de Gary Gygax, sur thèmes du Moyen Age, ou “ Le seigneur des Anneaux ” de J.R.R. Tolkien, -ou “ L’Appel de Cthulhu ” de H.P. Lovecraft) avec rôles et thèmes distribués et décrits dans des livres, et non joués ; ils n’ont rien de pédagogique ni de thérapeutique et ont même été parfois accusés d’être nocifs, et d’avoir contribués peut-être à des tentatives de suicide chez des jeunes trop impliqués dans des situations sataniques coinçantes, des massacres, des rôles de monstres, ou plusieurs rôles de morts, sans aucun contrôle. Ces livres dont vous êtes le héros, ces jeux de société n’ont rien à voir avec le jeu de rôle de Moreno68. Ces affirmations péremptoires, totalement injustifiées, ont fait beaucoup de tort au JdR ludique. Et pourtant, le JdRF, qui s’appuie sur l’aspect onirique propre au JdR ludique, a beaucoup d’affinités avec la plupart des hypothèses avancées par ces mêmes auteurs, reconnus comme des experts en leur domaine. Souhaitons que leurs déclarations ne soient là qu’un reflet des préjugés de notre époque, qui pourront être dépassés dans un avenir proche.

La Dr Chantal Magdeleinat (psychiatre à Sainte-Anne, Paris, interrogée par La Croix) nous rappelle pourtant que sur le plan psychiatrique, on ne peut pas dire aujourd’hui que le jeu de rôle favorise le passage à l’acte69. Etayée sur la rumeur, plus que sur une étude de la réalité psychosociale, la médiatisation abusive a cependant provoqué chez les décideurs un mouvement de recul face aux expériences portant sur l’utilisation du JdR ludique dans la formation. Alors que, comme le rappelle M. Demart70, les principaux préjugés contre l’usage du jeu en formation sont déjà : l’inadéquation entre les outils et les objectifs de la formation ; la contradiction du “ travailler n’est pas jouer ” ; l’opposition entre le but du jeu et le transfert des acquis. Ce à quoi j’ajouterai, dans la cadre du JdRF, l’existence d’un jeu dans le jeu qui peut être perçu comme pouvant nuire au transfert des

67 MUCCHIELLI Alex (1995), Les jeux de rôles

68 ANCELIN-SCHUTZENBERGER Anne (1990), Le jeu de rôle

69 Article cité par GUISERIX Didier (1997), Le livre des jeux de rôle

connaissances. Ce qui explique peut-être que si peu de ludopédagogues aient exploré ce domaine, pourtant si prometteur.

Depuis lors, les rôlistes, marginalisés dans leur activité ludique, ont organisé leur défense. Celle-ci s’articule principalement sur l’aspect ludique de cette pratique, par opposition aux applications psychanalytiques, mais en néglige l’aspect formatif. Ainsi, si les nombreuses définitions du JdR ludique71 s’accordent à en reconnaître les finalités de divertissement, d’amusement, de plaisir partagé, de création collective virtuelle, etc. aucune ne s’aventure à souligner les différents apports induits par cette pratique. Et pourtant, nombres de meneurs de jeu affirment que la pratique du JdR ludique les a aidé à dépasser leur timidité, à prendre de la distance avec différents aspects de la société (spectacle, consommation, etc.), à développer une certaine assurance en leur capacité de création, ou encore à se découvrir une aisance nouvelle dans leur expression tant orale qu’écrite. Certains d’entre eux relient d’ailleurs ce dernier point au fait que lorsqu'ils interprètent leur rôle, ils élaborent des phrases mieux construites et articulent plus que lorsqu'ils parlent d'habitude72. W. Lizé précise par ailleurs que les joueurs ont aussi le sentiment que cette activité les avait aidés à prendre confiance en eux, à s'extérioriser, à s'exprimer plus librement.

Le JdR ludique est devenu un véritable phénomène de société73, s’opposant à une vision occidentale qui dénie la dimension humaine des rouages qui la composent. Pour preuve sa percée dans le monde télévisuel ou dans le cinéma74. Source de terreur psychotique ou d’émerveillement onirique, le JdR ludique, dans le 7ème Art, est aussi le reflet du conflit de représentations ayant cours dans notre société. En bien ou en mal, on en parle. De nombreux écrivains, dessinateurs ou réalisateurs, parfois eux-mêmes rôlistes75, s’inspirent, ou ont inspiré, dans leurs œuvres, des JdR ludiques. Mais si les gens sont largement sensibilisés au terme de “ jeu de rôle ”, cette activité reste entourée d’un halo de

71 Cf. Lexique : JdR ludique

72 LIZE Wenceslas (2000), Le jeu de rôle : un jeu d'apprentissage

73 Cf. ADAMIAK Stéphane & WEIL Frédéric (1997), “ Manifeste pour le 10e art ”, Casus Belli, n°102, Février 1997, 80 p.

74 Plusieurs films traitent du thème du JdR, dont : D. Fincher (1997), The Game ; D. Cronenberg (1999),

Existenz ; Mateo Gil (1999), Jeu de rôles ; etc. L’émission animée par F. Lopez (2001), Comme au cinéma, France 2, comprenait de courts jeux de rôle proposés aux invités, visant à les mettre en confiance et à détendre l’atmosphère.

75 Le réalisateur P. Jackson (2001-2003) Le seigneur des Anneaux, a adapté avec succès l’œuvre de J.R.R. Tolkien ; C. Solomon (2000), Donjons & Dragons à réalisé un film à partir d’un JdR culte ; H. Sakaguchi (2001), Final Fantasy a tiré son film d’un jeu de rôle vidéo du même nom ; S. King précise que certains de ses écrits sont tirés d’expériences “ rôlistiques ” ; La bande dessinée de B. Chevalier et T. Ségur (1987/1992),

mystère qui inquiète ou, du moins, intrigue. Il est vrai que l’image du groupe de joueurs, capable de s’enfermer plusieurs jours dans un univers virtuel76 sans guère prendre le temps de quitter leur chaise, y est pour quelque chose. Ce qui paraît naturel pour toute personne ayant tenté cette expérience revêt un caractère d’anormalité, voire de déviance, pour autrui. Il en va de même pour l’aspect communautaire qui, dans une période de diabolisation sectaire, a fait du tort aux associations de rôlistes.

Cependant, ce rejet initial semble, peu à peu, se transformer en une acceptation tacite. Comme bien des nouveautés, le JdR ludique a subi la foudre réactionnaire d’une société refusant d’admettre la réalité des composantes de sa propre évolution. Désormais écarté du champ médiatique au profit, ou plutôt au dépens, des jeux vidéo, il prend le temps de se reconstruire sur de nouvelles bases, ce qui permet enfin d’envisager une réflexion ludopédagogique sur les apports induits par sa pratique. D’innombrables expériences fleurissent à l’initiative des rôlistes : formation à la cohésion d’équipe et transformation des relations interpersonnelles au sein d’équipes de projet lors de Grandeur Nature77 (notés GN et en anglais, LARP : Live-Action Role-Playing) ; reconstitutions historiques et initiations au JdR ludique au sein de diverses institutions (CEMEA, Education Nationale, etc.) ; centre de vacances ludiques (Association Rêve de Jeux) ; etc. Leur dispersion, tant géographique que thématique, rend difficile, voire impossible, leur étude. Cependant, il semblerait qu’elles s’appuient plutôt sur un mode intuitif, une impression diffuse des apports spécifiques à la pratique des JdR, que sur un véritable support théorique, du reste pratiquement inexistant.

Tout d’abord ignoré par la société, puis diabolisé à l’initiative des médias, le JdR ludique est désormais entré dans les mœurs. Il y a trouvé sa place : toléré et marginalisé. Dorénavant, cette activité fait partie des pratiques ludiques courantes. Le rôliste est enfin reconnu pour ce qu’il est, et non comme le membre d’une quelconque secte combattant les bienfaits de notre société ou comme un marginal débordé par son comportement addictif. Ceci est d’autant plus étrange que certaines pratiques, archaïques et aliénantes (jeux télévisés, loterie nationale, compétitions sportives, etc.), sont clairement encouragées par

76 Le rythme et la durée du jeu évoluent avec l’âge. Les plus jeunes, rassemblés dans des clubs, participent en moyenne à 1 JdR / semaine (4 à 8h.). Les étudiants jouent à environ 1 JdR / mois (6 à 10h.). Les “ anciens ” jouent entre amis au rythme d’1 JdR / trimestre (8 à 12h.). Il s’agit ici de moyennes, tirées d’une étude statistique : tout rôliste ne s’y retrouvera pas forcément. - TREMEL Laurent (2001), Jeux de rôles, jeux

vidéo, multimédia

77 A propos du Grandeur Nature (GN), Cf. II.A.1.c. JdR ludiques & Knudepunkt (2003), As Larp Grows up

notre système social, alors que d’autres, plus dérangeantes, car créatives et faisant appel à la spontanéité (théâtre d’improvisation, poésie, JdR, slam, etc.), ne le sont pas ou peu.

La catégorisation des jeux implique aussi une hiérarchisation des joueurs. Puisqu’il est plus facile de comparer l’excellence de ces derniers dans le cadre d’un jeu de compétition, la société occidentale a tendance à développer plus volontiers ce genre de pratique, au détriment de celles qui s’appuient sur la collaboration. D’autant plus que, dans le cadre du JdR ludique, il s’agit de réaliser une production éphémère, qui n’est pas destinée à être présentée à un public. Lorsque le joueur se sent rejeté, voire humilié, par son entourage en raison d’une pratique ludique considérée comme puérile ou dangereuse, il a tendance à se réfugier auprès de ses pairs, où il trouve réconfort et communauté d’intérêt. Il peut aussi lui venir à l’idée que son univers ludique n’est pas plus farfelu ou immature que ce qui transparaît dans l’activité quotidienne de ses concitoyens, qu’il s’agisse de la puérilité des rapports humains ou de l’insignifiance de certains débats idéologiques qui agitent la société. Non seulement, il peut ne pas vouloir s’en tenir au rôle que la société lui propose, mais en plus, il risque de développer, à l’instar d’autres modes de vie marginalisés (travellers, "teufeurs", hackers, punks, etc.), un comportement subversif.

A cela, les rôlistes opposent une forme d’autocensure, réprimant dans leur discours ce qui les pousse à poursuivre l’exploration de leur objet ludique. En effet, si la majorité d’entre eux reconnaît le mieux-être induit par leur pratique, même s’il reste difficile à quantifier, il leur est délicat de s’exprimer sur ce sujet complexe, qui se réfère à une expérience intime de l’ordre du vécu. La communication à propos du JdR ludique, de ce fait, se limite à une interprétation empirique de ce qui peut en être perçu de l’extérieur : définition, déroulement, thèmes, univers, règles, éthique, roleplay, etc. Certains vont jusqu’à déconseiller la pratique de certains JdR ludiques, considérés comme potentiellement déviants, à un public trop jeune. C’est le cas notamment de ceux qui impliquent un renversement des représentations sociales, proposant d’interpréter, par exemple, des rôles de “ méchants ”, de vampires et autres morts-vivants. Mais cette réaction est plutôt de nature préventive, sans doute afin d’éviter de relancer la polémique autour de ce passe-temps, que réflexive. Car la polémique, quant à la violence que l’on trouve dans certains JdR ludiques ou jeux vidéo, est toujours présente. A propos de ces derniers, le Dr Marc Valleur (psychiatre, médecin-chef de l’hôpital Marmottan) a d’ailleurs une opinion plus tranchée : Contrairement à ce que l’on croit souvent, beaucoup de jeunes qui pratiquent ces jeux de manière intense ne sont pas assez agressifs dans la vie. Je pense même que c’est une bonne chose que les jeux soient violents : le jeu est un

exutoire, une catharsis, une manière de faire ce que l’on s’interdit dans la réalité (…) La pratique du jeu est finalement plus active et plus enrichissante que l’émission de télé que l’on regarde passivement. (…) l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de jeunes investissent les jeux est que l’intelligence et les capacités de raisonnement y sont immédiatement récompensées, contrairement à ce qui se passe bien souvent dans la réalité78.

La communauté des rôlistes se compose majoritairement de personnes ayant rencontré le JdR ludique au cours de leur scolarité. Souvent frustrés par le caractère disciplinaire des cursus obligatoires, les débutants, qu’ils soient issus de filières scientifiques ou littéraires, s’engagent pleinement dans ce nouvel espace de liberté. Le temps investi dans l’exploration de cette pratique, notamment durant la post-adolescence, à une période où le flux des tensions est très fort (sexualité, rejet de l’autorité, échéances sociales, etc.), peut paraître excessif à un observateur extérieur. Le temps consacré à cette activité peut empiéter sur celui dédié aux études, au point de nuire parfois aux résultats scolaires. Néanmoins, ce comportement semi-addictif n’est que temporaire. Peu à peu, en raison de la progressive dispersion des groupes de joueurs, du manque de disponibilité des uns et de l’évolution des centres d’intérêt des autres, les séances de JdR ludique se font moins régulières. Le JdR ludique, en tant que révélateur de l’état général des participants, nous montre ainsi, indirectement, l’incroyable accumulation de tensions que peuvent ressentir les individus qui sont amenés à faire leurs premiers pas dans une société ne tenant pas compte de leurs préoccupations. Le système de valeur de l’éducation traditionnelle ne répondant plus à l’attente des principaux concernés, les joueurs prennent le contre-pied de l’institution en valorisant la créativité et l’imaginaire au-delà de la place que leur réserve habituellement le système éducatif79. Pour peu que quelques enseignants80, garants symboliques de la réalité sociale, prennent les devants et proposent d’animer de telles séances, le jeu revêt bientôt l’aspect d’une activité sérieuse, structurée et instructive, sans

78 VALLEUR Marc, auteur avec MATYSIAK Jean-Claude de (2003), Sexe, passion et jeux vidéo – Les

nouvelles formes d’addiction, Flammarion, Paris, 2003, extraits d’un entretien avec FOURNIER Martine (2004), « Faut-il avoir peur des jeux vidéo ? », Sciences Humaines n°152, p. 41

79 Au regard des problèmes que rencontrent les jeunes générations (en termes de socialisation, de parcours

scolaires, d'insertion professionnelle...), les communautés de joueurs de jeux de rôles proposent une alternative : en parallèle à un univers scolaire peu structurant (notamment au niveau du lycée) et “ massifié ”, elles fournissent au jeune la possibilité de s'inscrire dans une microsociété, présentant des aspects élitistes, où les repères sont peut-être plus “ stables ” et dans laquelle, à partir du moment où il sera accepté et où il aura “ fait ses preuves ”, il pourra “ progresser ” d'une façon quasi continue. En ce sens, ces communautés peuvent, quelque part, faire figure de substitut pour des jeunes n'arrivant pas à concrétiser une excellence scolaire espérée. – TREMEL Laurent (2001), Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia

80 En référence au couple Palanquini, professeurs de français et d’histoire, co-fondateurs du Club Pythagore (JdR ludique) de Provins, qui m’ont initié à cette activité.

pour autant perdre sa forme ludique. Il est très agréable d’être ainsi initié à la découverte d’univers plus ou moins réalistes, mais très complets et dotés de systèmes de règles et de valeurs inspirées de celles régissant notre société. Ceci peut entraîner une certaine émulation et susciter le désir de créer et de s’approprier par le jeu son propre univers virtuel, voire de s’organiser pour faire découvrir cette passion. Les clubs de JdR ludique, comme leurs homologues de jeux vidéo, d’échecs ou de cartes, forment ainsi des communautés “ officielles ”, qui ne représentent pas, de loin, la diversité des pratiques existantes, mais qui ont néanmoins l’avantage de servir de lieu de rencontres et d’échanges de pratiques.

Ce premier aperçu brosse un portrait du JdR ludique très éloigné de ce que les discours dominants successifs ont pu colporter à son propos. Il ne s’agit donc pas seulement d’un banal loisir destiné à occuper les individus, mais bien d’une activité complexe qui, en les sensibilisant à la prise de rôles et à l’intersubjectivité, les prépare à construire leur identité et à mieux appréhender la vie en collectivité. Le véritable but du jeu réside dans la construction collective d'une fiction et dans l'évolution de la biographie des personnages. Le JdR est encore plus propice que les autres jeux à établir entre les joueurs cette situation d'égalité. D’autant plus qu'il suscite des relations de solidarité entre les personnages, et donc, de manière indirecte, entre les joueurs81. Ces jeux se pratiquent généralement en groupe restreint (l’organisation y est minimaliste) et de façon plus ou moins formelle (les règles du jeu servent surtout à maintenir la cohésion de l’imaginaire groupal). Tout participant doit y trouver sa place (chacun y tient un rôle qui s’inscrit dans l’aventure commune) et contribuer à son développement en s’impliquant dans cette improvisation collective semi-dirigée (interprétation du rôle, réflexion et mémorisation, autonomie dans le groupe, spontanéité dans l’action). Cette activité lui confère, par l’expérience, une capacité à prendre du recul. Elle le pousse à s’adapter à de nombreuses situations et à enrichir ainsi son éventail de rôles, tout en lui permettant, sans réelle prise de risque, de se mettre provisoirement dans la peau d’un autre.

Les rôlistes, férus d’anticipation et imprégnés d’une culture de l’imaginaire, se sentent moins leurrés par la politique mondiale. En rupture avec le système de l’Education Nationale, ils s’intéressent à l’inexplicable, adoptant une attitude de précaution interdisant toute certitude, et poursuivent leur auto-formation transdisciplinaire. Incompris des différentes classes d’âge et de leur famille, ils envisagent cependant une évolution sociale

dans l’avenir82. D’une part, le JdR ludique fait l’effet d’un révélateur des tensions internes propres aux joueurs, au travers des attitudes ludiques83 qu’ils ont adopté durant le jeu, d’autre part, il engendre, par sa pratique, un certain nombre d’interrogations propices à faire émerger une prise de conscience de son mode de fonctionnement. Cette dernière, dans le cadre d’un JdRF, peut alors donner naissance à une démarche de recherche de cohérence maturationnelle. En s’appuyant sur ces différentes assertions, il devient possible d’envisager le JdR ludique comme un processus d’apprentissage à part entière. On voit