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Quelques déclinaisons de l’approche EBPS 211 du l’activité ludique

Quelques approches Composantes

Eco Hasard : incertitude sur le déroulement et le contexte du jeu

Bio Structure évolutive : support matériel et règles du jeu

Psycho Attitude ludique : liberté de s’investir et d’agir dans le jeu

Socio Imaginaire groupal : niveaux de réalité et création collective

BioSocio Les relations interpersonnelles entre joueurs

BioPsycho L’espace potentiel et la sphère ludique

EcoBioSocio L’approche culturelle de l’activité ludique

EcoBioPsycho Le jeu comme activité projective

EcoPsychoSocio Le jeu comme moyen d’expression, tant individuel que collectif

BioPsychoSocio L’apprentissage expérientiel et existentiel

EcoBioPsychoSocio La maturation : reliance en co-recherche-action-formation Remarque : ceci est à rapprocher de la définition du jeu, telle que je l’ai présentée dans le préambule, à savoir : une dimension extérieure (Eco : improvisation contextuelle, jeux de lumières) ; une situation ludique (Bio : divertissement, soumis à des règles, se déroulant dans un cadre donné) et, par extension, son support physique ; l’attitude ludique du joueur (Psycho : implication, posture et rôles) ; un aspect articulatoire (Socio : relations entre les pièces d’un appareil : social, économique, mécanique).

En appliquant l’approche EBPS à l’activité ludique, on obtient ainsi une sorte de grille de lecture, bien évidemment incomplète et provisoire, qui est susceptible d’être modifiée par tout utilisateur désirant approfondir et s’approprier ce mode de lecture de la complexité. Ainsi, même si cette approche ne couvre que partiellement le champ des

significations du concept de jeu, elle permet néanmoins de mettre en lumière l’extrême complexité de cette notion. C’est en raison de cette approche résolument centrée sur l’aspect maturationnel de l’activité ludique, plus adaptée, il me semble, à l’étude des apprentissages induits par la pratique du JdRF, que je me démarque des principales pistes explorées par mes prédécesseurs. Il est peut être nécessaire de préciser que la plupart d’entre eux, qu’ils soient ludopédagogues ou psychosociologues, n’ont jamais fait l’expérience du JdR ludique. Ce qui explique peut-être pourquoi ils tiennent tant à préciser que l’activité ludique n’a aucune conséquence sur la vie réelle et qu’ils préfèrent parler de non coopération que d’employer le terme de collaboration.

Cependant, nous nous référons aux mêmes sources lorsqu’il s’agit d’explorer les caractéristiques de l’activité ludique : Schiller qui précise que l’homme n’est complet que là où il joue ; L. Frobenius, qui compare le jeu à une auto-éducation menant à l’auto-activité et affirme que l’homme joue son personnage selon des règles que déterminent les traditions culturelles imposées par la société ; K. Groos, défenseur d’une utilisation pédagogique des pratiques ludiques, affirmant que les jeux naissent de toutes les sensations, émotions, gestes ou opinions mentales qu’un homme peut éprouver et, pour qui, le jeu de l’enfant est un acte de développement personnel non intentionnel ; D.W. Winnicott, à la suite de son exploration de l’espace potentiel212, insistant sur le fait que c’est seulement en jouant que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière. C’est seulement en jouant que l’individu découvre le soi, [et c’est pourquoi] il faut donner une chance à l'expérience informe, aux pulsions créatives, motrices et sensorielles de se manifester ; elles sont la trame du jeu. C'est sur la base du jeu que s'édifie toute l'existence expérientielle de l'homme213 ; Roger Caillois , pour qui le jeu procure continuellement l’image d’un milieu pur, autonome, où la règle, respectée volontairement par tous, ne favorise ni ne lèse personne et qui ajoute que rien autant que le jeu n’exige d’attention, d’intelligence et de résistance nerveuse214; G.H. Mead, affirmant que religion et jeu sont inséparables dans les coutumes traditionnelles de tous les peuples du monde215.

Ces différents auteurs, comme bien d’autres, ont en commun de concevoir le jeu comme une pratique favorable au développement des individus. Or, il faut pouvoir tenir compte à la fois du contexte spatio-temporel lié à l’activité ludique, des effets de la

212 Cf. Lexique : Espace potentiel

213 WINNICOTT Donald Woods (1971), Jeu et réalité

214 CAILLOIS Roger (1967), Les jeux et les hommes

situation ludique sur la personne, de l’attitude ludique216 du joueur et de la place du jeu dans la société. Le jeu concerne des disciplines très variées, allant de l’éthologie à l’anthropologie, en passant par la psychosociologie et tant d’autres. Sans avoir forcément à les passer au crible, il peut être judicieux, et même pertinent dans le cas du JdRF, de développer une réflexion multiréférentielle sur le rôle du jeu dans les processus de maturation, tant individuels que sociaux. Le jeu, bien que désintéressé, n’est pas inutile (…) Le jeu n’apporte pas de connaissances ; il entraîne à chercher des informations et des problèmes nouveaux (…) C’est par le jeu que l’on imite l’autre, et que par mimétisme, l’on apprend le langage, les rôles sociaux, les gestes techniques. Moteur de l’apprentissage individuel, le jeu commande aussi le progrès socio-culturel (Huizinga)217.

Décrire la complexité du jeu revient donc à en multiplier les approches. Car le jeu peut aussi être perçu à la fois comme : un mélange de règles et de liberté ; un transfert d’énergie entre deux joueurs ou entre un joueur et un objet ; une activité réelle dans une situation fictive ; une relation particulière avec son monde intérieur, avec autrui et/ou avec les événements extérieurs ; une tentative d’exploration de son espace potentiel ; un rôle de socialisation, de partage d’expérience, synonyme de bon moment à passer ; etc. Il fait passer de l’état de nature à l’état de culture, du spontané au voulu. Mais sous le respect des règles, le jeu laisse percer la spontanéité la plus profonde, les réactions les plus personnelles aux contraintes extérieures (…) leur frivolité et leur gratuité apparentes, en surface, ne doivent pas dissimuler leur symbolique agnostique fondamental : les jeux sont l’âme des relations humaines et d’efficaces éducateurs218. Ce propos a le mérite de présenter le jeu, non comme un simple outil pédagogique, mais plutôt comme un processus d’apprentissage inductif. C’est cette vision qui est privilégiée dans l’exploitation du JdRF.

b. Ludopédagogie & JdRF

L'école n'est pas là seulement pour former l'esprit et préparer l'individu à occuper une fonction dans la société : elle vise à être un élément déclencheur du changement et de l'amélioration de la société. L'inclinaison de l'enfant pour jouer doit être mise à contribution et inspirer une méthode d'enseignement des changements sociaux. L'école

216 Le JdRF facilite l’adoption d’une attitude ludique positive, en en faisant la condition de son bon déroulement. Et cette attitude ludique consiste à accepter l’incertitude comme le fondement de la logique du

jeu - G. Brougère (1995), Le jeu peut-il être un outil pédagogique ?

217 MAURIMAS-BOUSQUET Martine (1995), “ Jeu ”, Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la

formation

alternative (…) permet le plaisir et la prise d'initiatives par les élèves et, dans ce contexte, le jeu est le médium pour tout apprentissage significatif et permanent (Glickman, 1984). On propose donc à l'enfant des jeux de rôle, des jeux de socialisation et des sorties éducatives, et l'ensemble du programme est construit autour de l'enfant219.

La ludopédagogie ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur le rôle du jeu dans la maturation de l’individu et de la société. Et elle ne peut se contenter d’employer le jeu pour se conformer à des exigences de formation ou d’éducation. Il est plus que temps de renverser cette tendance, ou du moins d’en atténuer les effets pervers. Car comme le précise G. Brougère, on retrouve dans tout processus d’apprentissage ce qui caractérise le jeu : la maîtrise du second degré, l'exercice de la décision, la relation à la règle, l'action dans l'incertitude. Et à cela il faut ajouter la frivolité qui, en minimisant les conséquences de l'action, permet de tenter, d'expérimenter. Cet intérêt éducatif ne peut être présent que si les caractéristiques du jeu sont maintenues220. Or, la grande majorité des applications ludopédagogiques néglige cet aspect. Elles ont encore tendance, comme dans les siècles précédents, à envisager le jeu sous la forme d’une ruse pédagogique destinée à faciliter la transmission d’un savoir. Mises en place dans le cadre de programmes prédéfinis, contenant des objectifs précis, elles ne favorisent pas l’émergence d’une capacité à s’autoriser, à s’auto-organiser, à improviser et à s’adapter, susceptible d’aider l’enfant comme l’adulte à se développer. D’ailleurs, on peut avec Brian Sutton-Smith221 évoquer une domestication de l'enfance à travers le jeu, une transformation de l'activité ludique pour l'adapter aux exigences scolaires. Ce qui n’est pas sans rappeler les critiques émises par M. Montessori à propos des jouets éducatifs, qu’elle assimilait à des outils de conditionnement social dégradant la spontanéité enfantine ou, plus récemment par G. Brougère qui précise que la notion de jeu éducatif conduit à supprimer certaines des caractéristiques même du jeu (décision, incertitude, frivolité), ce qui en fait l’intérêt potentiel et peut le transformer en lieu d’expérience222.

Dans le cadre de la formation des adultes, les formateurs emploient généralement des jeux taillés sur mesure, respectant les objectifs prédéfinis par les commanditaires. Ils n’ont d’ailleurs pas vraiment le choix. Seulement, en se pliant ainsi aux exigences extérieures, les ludopédagogues n’utilisent que superficiellement les potentialités formatives de l’activité ludique. Et surtout, en négligeant ses qualités intrinsèques, ils

219 CHAMBERLAND Gilles & PROVOST Guy (1996), Jeu, simulation et jeu de rôle

220 BROUGERE Gilles (1995), Jeu et éducation

221 SUTTON-SMITH Brian (1981), A history of children's play - the New Zealand playground 1850-1955, The University of Pennsylvania Press, Philadelphie, cité dans BROUGERE Gilles (1995), Jeu et éducation

passent à côté d’une grande partie de l’apprentissage induit par cette expérience. Après quelques heures consacrées à leur formation (technique, relationnelle ou à but d’insertion), les apprenants sont inexorablement renvoyés à leur place dans une machine sociale prédéfinie (sans se poser trop de questions, sans chercher de réponses et surtout sans essayer de changer les choses). Mais le jeu, qui peut être parfois une école de conformisme social, d'adaptation étroite à des situations données, peut également devenir un espace d'invention, de curiosité et d'expériences diversifiées pour peu que la société en offre les moyens223. Malheureusement, les formateurs travaillent souvent dans l’urgence, doivent s’adapter à un contexte chaotique et apprennent à s’arranger avec des “ bouts de ficelles ”. Qu’ils soient là par vocation ou par obligation, ils ont rarement l’occasion de prendre du recul sur leur pratique. Ils font confiance en leur expérience, en leur capacité à improviser et en leur connaissance du jeu qu’ils proposent, pour se sortir d’éventuelles difficultés, mais sans trop pouvoir compter sur l’aide de leurs différents interlocuteurs. Ils reproduisent généralement, sans vraiment s’en rendre compte et tout en usant d’une pédagogie alternative, le mode de fonctionnement du système éducatif dont ils sont issus.

Le jeu renforce, aiguise quelque pouvoir physique ou intellectuel. Par le biais du plaisir et de l’obstination, il rend aisé ce qui fut d’abord difficile ou épuisant (...) il introduit à la vie dans son ensemble en accroissant toute capacité de surmonter les obstacles ou de faire face aux difficultés224. Essentiel à l’apprentissage de la vie sociale pour de nombreuses espèces animales, le jeu devient pour l’adulte un moyen de se défouler lui permettant d’oublier temporairement les contraintes conjoncturelles. Pour en profiter, il doit baigner dans une ambiance propice à la concentration comme à la détente, deux états indispensables à la réussite du jeu. Comme à celle de l’apprentissage d’ailleurs, car, rappelons-le, jouer et apprendre sont deux facettes du même phénomène neuro-psychologique225.

Pour les ludopédagogues du G.E.L., l’activité ludique nécessite et développe des capacités d’ordres divers liés à la personnalité : motrice ou cognitives, de recentration ou de socialisation, de logique ou de créativité, de décisions et de comportement. Ils distinguent ainsi plusieurs capacités qui peuvent être développées par les joueurs : expression, questionnement, attention, concentration, choix, situation, orientation et repérage dans l’espace, recherche d’informations, créativité, découverte des autres ; ainsi

223 Ibid.

224 CAILLOIS Roger (1967), Les jeux et les hommes

que divers termes relatifs aux caractéristiques ludiques : matériel, nombre de joueurs, principe de jeu, règles du jeu, variantes, mise en œuvre, qu’ils séparent des composantes pédagogiques : dominantes, objectifs, exigences de départ, public226. Une partie de leur travail a consisté à mettre en place un système de classification des jeux s’appuyant sur cinq facettes, qui donne pour le JdRF :

- Règles et mécanismes : la complexité du jeu, très variable, s’inspire de la réalité et la progression des joueurs se fait avec le meneur de jeu.

- Relations : les joueurs coopèrent afin d’atteindre un but commun en s’opposant à une contrainte extérieure imaginaire.

- Décisions : elles sont soit simultanées, soit successives, et varient de la réponse spontanée, à de longues réflexions collectives menant à l’élaboration de stratégies à long terme.

- Conduites cognitives : elles sont à la fois symboliques, intuitives, sensori-motrices et opératoires.

- Domaines : le scénario proposé permet de sensibiliser les participants à différents savoirs. Le JdRF vise plus particulièrement l’élucidation des spécificités des groupes restreints et la démarche de recherche de cohérence.

L’activité ludique, qui est un excellent révélateur des comportements, se révèle aussi être un bon moyen pour mettre à jour les potentialités imaginatives d’une personne. Sans justifier une relation privilégiée entre jeu et éducation, la psychanalyse aboutit à une justification fondamentale du jeu comme terreau nécessaire sur lequel l'ensemble de la personnalité, et surtout la part créative de celle-ci, va se construire227. En partant du principe qu’une personnalité ne cesse d’évoluer, et que l’ensemble des personnalités forme ce que l’on nomme une société, on comprend mieux l’importance et l’urgence que revêt le fait de rendre au jeu la place et l’attention qu’il mérite dans sa dimension socioculturelle. Mais, pour ce faire, il faudrait que la société civile s’insurge contre les aspects pervers de certaines activités ludiques comme les jeux d’argent et de pouvoir, la grande bouillie médiatique du spectacle et de la surconsommation, la quête de sensations fortes et de dépaysement, etc. Les jeux évoluent conjointement avec leur époque et il n’est pas absurde de tenter le diagnostic d’une civilisation à partir des jeux qui y prospèrent particulièrement228. On en trouve un bon exemple dans le Quid, excellent écho du flot

226 Groupe d’Etudes Ludopédagogiques (1994), Méthodes en jeux

227 BROUGERE Gilles (1995), Jeu et éducation

d’informations envahissant notre monde (cf. la place du sport et des résultats des jeux d’argent dans les journaux d’information) : la rubrique Sports et Jeux comprend 106,5 pages, dont 101 sont consacrées aux sports, 3 à l’ensemble des jeux existants et 3,5 aux jeux d’argent. Bien sûr, le sport est un jeu… pour ceux qui le pratiquent mais non pour ceux qui l’observent. Il s’agit alors d’un spectacle, et là je vous renvoie à l’analyse d’A. Boal, que je partage, résumée succinctement dans la partie I.A.1. Historique des JdR.

Mais qu’est-ce qui pousse les individus à jouer ? Les motivations sont diverses et varient avec l’âge, l’humeur, l’ambiance, etc. En général, nous jouons pour le plaisir, pour communiquer, pour se socialiser, pour sortir de la routine (quitte à se jeter ainsi dans une autre). Selon Monique Clavel-Lévêque, “ l'expérience ludique comme modèle réduit permet de faire l'économie de l'expérience vécue, elle exorcise, elle fait vivre par procuration des émotions et des pulsions que la vie quotidienne réprime : meurtre, mort violente, au théâtre incestes, adultères. ”229 Pour les rôlistes, le JdR ludique est un moyen de s’affirmer dans un groupe, de relever des défis, de s’engager dans de grandes quêtes, de ressentir le frisson de la peur, de prendre des risques, d’oser improviser, d’élucider une énigme, de se mesurer à autrui, de respecter, contourner ou modifier des règles, etc. D’une manière plus générale, les êtres humains, si on tient compte du jeu des relations sociales, passe un temps fou à jouer. Ils s’investissent complètement dans ce niveau de réalité230 si particulier qu’est la sphère ludique et dans lequel tant de choses futiles prennent de l’importance. Et c’est plus fort qu’eux. Au point que ceux qui ne prennent pas le temps de jouer “ pour de rire ” s’enferment avec beaucoup de sérieux et de rigidité dans leur rôles sociaux.

Le processus d’apprentissage est favorisé si l'on crée un environnement qui ouvre l'esprit, stimule la recherche, la curiosité, et procure des ressources pour trouver des réponses. C'est précisément l'objectif que l'on veut atteindre en utilisant le jeu et la simulation en éducation et dans la formation. L'approche atomiste (…) cède le pas à une approche holistique où la compréhension visée tient compte à la fois de la complexité de l'environnement et des différents aspects du développement de l'apprenant : cognitif, affectif et psychomoteur (…) C'est une pédagogie qui va du concret vers l'abstrait, du tout vers les parties ; elle contraste donc avec la passivité “ d'être enseigné ”231. Le JdRF s’inscrit en plein dans cette démarche. Car ses règles peuvent souvent être comparées à un

229 CLAVEL-LEVEQUE Monique (1984), L’empire en jeu – espace symbolique et pratique sociale dans le

monde romain, CNRS, Paris, citée par BROUGERE Gilles (1995), Jeu et éducation

230 Cf. III.B.2.c. Niveaux de réalité

énoncé des normes de la vie sociale. Il serait erroné de penser que le jeu de rôle [ludique] ne remplit pas une fonction d'apprentissage ayant un rapport avec le jeu de rôle de formation232. Il permet, notamment, d’interroger le besoin de reconnaissance du rôle de l’individu dans la société, et autorise un questionnement sur l’utilité de la pratique ludique dans le cadre du développement de l’être humain, de ses sociétés et de son espèce.

1. Rôles & groupes