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On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter55.

Du haut de mes 34 ans, et malgré le manque de recul dont je dispose pour évoquer ma courte existence, je discerne quatre grandes périodes, liées à des changements radicaux de mon environnement biopsychosocial. A mesure de mon évolution, les souvenirs, plus nombreux, se font aussi plus précis. Ils s’entremêlent et se complexifient. Il devient alors délicat d’en extraire des éléments pertinents. S’il est impossible de faire abstraction de l’ensemble des éléments ayant contribué à construire l’adulte en devenir qui rédige ce texte, il est tout autant impossible d’en tenir compte d’une façon rigoureuse. C’est pourquoi, je procéderai, par une sorte de raccourci chrono-autobiographique, à une présentation succincte de ceux d’entre eux en relation directe avec mon approche du JdRF. Les exemples personnels cités ci-après révèlent la dimension maturationnel de tout acte accompli par un être en devenir. C’est ainsi qu’on y retrouve les différentes étapes menant de l’enfance à la vie adulte, en passant par l’adolescence : questionnements, prises de risques, échecs et réussites, accumulation d’expériences, dynamique identitaire, etc.

54 Cf. Lexique : Existentiel

55 FIORI Serge (1974), « Un musicien parmi tant d’autres », Harmonium, Polygram Inc., enregistré à Montréal

a. Enfance : de la naissance à la sortie du cocon familiale (0-18 ans)

Comme tout un chacun, je suis le résultat d’une conjoncture favorable dans laquelle se sont combinés d’innombrables éléments extérieurs. Fruit d’une rencontre entre deux êtres de “ sexe opposé56 ”, j’ai néanmoins commencé ma vie dans la complémentarité, mêlant allégrement mes influences X et Y, sans me soucier de ce vocabulaire impropre à définir le genre humain. Héritier génétique de deux branches voisines de l’homo sapiens, (espèce dominante qui s’est autoproclamée conscience ou, devrait-on dire inconscience, de la Terre-Matrice), je suis né dans une configuration favorable à ma survie : un climat tempéré, pas de maladies congénitales, accueilli par des parents attentifs et insérés dans une civilisation dominante ! Il ne s’agissait évidemment que d’une mise de départ (dont chacun fait ce qu’il peut) et heureusement pour la suite, nulle famine, épidémie, accident ou violence n’est venu perturber ce schéma idyllique. Mieux encore, la société “ occidentale ”, individualiste et matérialiste, évoluait alors vers une meilleure reconnaissance des femmes et des enfants, devenus plus rares et, de ce fait, plus précieux.

Mes rares souvenirs des premières années semblent plutôt relever d’éléments rapportés (anecdotes, discussions, photos, etc.). Vers l’âge de trois ans, traumatisé par un accueil consistant en une quarantaine d’enfants hurlant leur peine de la séparation, je refusais catégoriquement de me rendre dans ce premier lieu de socialisation qu’est l’école maternelle. Ma “ rentrée ” étant retardée d’un an, je profitais de ce sursis pour découvrir mon petit frère. L’année suivante, j’acceptais de bon cœur de m’impliquer progressivement dans l’institution éducative. Je multipliais les rencontres, tissais des amitiés dans une atmosphère ludique, tombais en amour avec une blonde et découvrais la jalousie. Je passais beaucoup de temps à vivre des expériences diverses et développais mon réseau relationnel : famille étendue, voisinage, cadre scolaire, activités sportives, orchestre à plectre, etc. Je nouais de profondes amitiés, auxquelles je suis resté fidèle, et rencontrais des adultes formidables, que je salue au passage. J’ “ appartenais ” à plusieurs groupes, au travers desquels je pouvais m’exprimer différemment. En élargissant ainsi mon éventail de rôles, j’apprenais à m’adapter à différentes situations. Je m’ouvrais au monde, sans abandonner l’univers de l’enfance, et découvrais mon propre corps, inconscient du lent cheminement de mon conditionnement global. J’encaissais aussi mes premiers traumatismes biopsychosociaux (blessures, frustrations, jugements), tout en constatant le

bien-être ressenti à partager, avec autrui, des activités physiques, des émotions, des moments de vie.

L’environnement socioculturel était riche de rencontres et d’amitiés. Le cadre familial, qui assurait les besoins fondamentaux tout en favorisant l’épanouissement de sa progéniture, était disponible, à l’écoute, prêt à partager expériences et savoirs, à encourager les activités extrascolaires, à soutenir l’effort exigé par l’institution éducative, etc. Je découvrais ainsi de nombreuses pratiques (agriculture, élevage, chasse, pêche, cueillette, coupe de bois, balades et observation de la nature). Ce qui contribua, j’en suis intimement persuadé, à aiguiser mon attention, à développer mon sens de l’orientation, tout en me permettant d’accéder à une certaine sérénité. Lorsque j’eus tué, sans aucune nécessité, puis recueilli ma première dépouille d’oiseau, encore chaude et dégoulinante de sang, je fus bouleversé au point d’abandonner définitivement cette pratique pour me consacrer à la découverte des espèces vivantes. Ce regain d’intérêt se concrétisa par une étude approfondie des différents écosystèmes, des chaînes alimentaires, de l’apparition de la vie à celle de l’Homme, des effets de l’activité humaine sur le biotope, etc. Ce qui me permis d’entrapercevoir l’extrême complexité de la Vie.

J’ai assez tôt acquis la conviction qu’il était possible d’agir sur soi. Très jeune déjà, vexé par quelques remarques relatives à la proéminence de mon ventre, j’avais commencé par contracter ma ceinture abdominale, et ce, dès que j’y pensais. Rapidement, je me suis rendu compte que cet exercice me demandait de moins en moins d’effort et que j’en venais à le faire inconsciemment. J’ai ensuite, de la même façon, entrepris de développer ma souplesse et appris à faire “ danser ” mon ventre. Si la découverte de certaines qualités corporelles, comme faire bouger certains muscles de son visage, se fait souvent au travers du jeu, ce dernier permet aussi de tester les limites de ses capacités physiques. Je multipliais les activités sportives (natation, gymnastique, tennis, hand-ball, équitation, patins, ski, etc.), en écartant d’office celles requérant trop de déplacements ou de contacts violents. Bien qu’ayant participé à de nombreux tournois, je préférais nettement, déjà, les règles de jeu favorisant la collaboration et l’improvisation à celles encourageant l’esprit de compétition et la répétition. D’où un intérêt certain, par la suite, pour celles régissant le JdR ludique.

Sujet au vertige, j’évitais de me retrouver dans des situations trop instables (bateau, varappe, saut), tout en provocant par moment cette peur inexplicable au travers d’un processus d’habituation visant à repousser les limites de cette sensation et à maîtriser mes émotions : tâche ardue mais efficace à bien des égards. Conscient de l’effet de la routine

sur la conditionnement physique, j’ai toujours entretenu une certaine non-conformité avec ce que l’on peut attendre d’une conduite d’adulte dans notre société occidentale. J’apprécie de sortir des sentiers battus, de grimper, sauter ou me rouler par terre, de m’asseoir sur mes pieds, etc. Le JdR a ajouté une dimension inattendue : l’endurance et de dépassement de ses limites supposées. Car il faut admettre que rester debout, ou assis, une quinzaine d’heures durant, tout en restant concentré à l’extrême sur l’évolution d’un imaginaire groupal, peut être épuisant. Passer le coup de fatigue du milieu de nuit, voir le lever de soleil, prolonger cette énième conversation sur le JdR, autant d’élément qui contribuent à faire du rôliste un véritable marathonien du jeu. Puisqu’il ne voit pas le temps passer, l’épreuve ne lui paraît pas insurmontable. Elle devient même parfois une critère de réussite pour un bon scénario.

Encouragé par mon horloge biologique, je m’intéressais aux rares écrits scientifiques traitant de sexualité à ma disposition. J’en apprenais bientôt suffisamment, d’un point de vue théorique, pour éclairer mes compagnons. Puis, est venue la puberté…, pour les autres. Les échos amplifiés et déformés des premiers ébats. Souvenir d’une frustration infinie. J’avais honte et me cachais, par pudeur, évitant les douches collectives. Je rongeais mon frein et souillais mes draps. Persuadé de ne pas plaire et pétrifié à l’idée de faire le premier pas, mes rencontres se limitaient à de simples flirts. Mon manque d’assurance et la sincérité de mon engagement dévoilaient une forme de naïveté jouant en ma défaveur. Parfois, un cauchemar occasionnel me surprenait en pleine nuit : je me réveillais alors, transit, terrorisé au souvenir d’avoir échappé à la mort. Ceci faisait sans doute écho à mes premières confrontations avec celle-ci : décès de proches et prises de risques excessives. J’éludais assez rapidement ce questionnement existentiel.

Je ne m’intéressais, et ce malgré les nombreuses occasions familiales ni à la Religion ni à l’Etat. Il m’était bien arrivé de supplier Dieu d’intervenir lorsque j’avais trop mal (au ventre, aux dents, au larynx, etc.) mais découvrant qu’il ne répondait jamais à mon appel, ni à ceux des millions des personnes souffrant dans le monde, je concluais sereinement à son inexistence. Je rejetais aussi cet écart, que je pressentais, entre le discours des croyants et leur pratique quotidienne. Je préférais m’interroger sur la place qui me serait réservée au sein de notre organisation sociale, dont j’étais alors l’élève. Je développais une légère paranoïa : Et si on m’avais mis là pour me tester ? Mais qui, et pourquoi ? Que devais-je faire ? Se pouvait-il que mes pensées soient elles aussi sous surveillance ? Je restais dans l’expectative. Je n’osais en parler à personne, car tous étaient susceptibles de faire partie, consciemment ou non, de ce complot. Tiraillé entre la peur de

révéler ma connaissance de ce secret et celle de m’entendre dire : “ mais non, c’est ton imagination ! ”, j’ai préféré accepter de vivre dans l’incertitude. J’abandonnais bientôt toute tentative d’explicitation, rejetant par là même les réponses simplistes prévues par les divers systèmes idéologiques (religion, science, etc.) et, de ce fait, retrouvais une certaine sérénité.

Au fur et à mesure de mon ascension scolaire, les relations avec les adultes devenaient plus impersonnelles et plus hiérarchiques. En tant que bon élève, dans le système de l’Education Nationale (obéissant, travailleur, respectueux), je subissais la foudre de certains camarades. A mesure que je m’entourais d’amis fiables, je me désintéressais des études et des activités sportives trop encadrées. Le manque de reconnaissance par le système scolaire des potentialités et des difficultés de chacun, le caractère oppressif des dispositifs de prise de parole57, l’absence d’humanité dans le système d’évaluation, la mise à l’écart arbitraire des éléments perturbateurs, etc. devinrent autant d’éléments contribuant à diminuer mon assurance, tout en imprimant profondément en moi un douloureux sentiment d’injustice sociale et son corollaire : l'inclination à la rébellion. Mon mépris pour le système éducatif devenait tel qu’ “ on ” envisageait, provisoirement, de me réorienter vers une filière professionnelle. Insatisfait par les programmes proposés, j’étudiais en autodidacte la vie animale, la minéralogie, l’Histoire, la géographie et la littérature de l’imaginaire, dont l’incomparable "Seigneur des Anneaux", génial roman anti-matérialiste de J.R.R. Tolkien. Je découvrais le JdR, d’abord entre amis, puis avec des adultes, et explorais avec avidité ce nouvel espace de liberté. Ce mode d’approche contextuel et multiréférentiel, qui ne m’a jamais quitté depuis, semblait répondre à la nécessité d’expliciter, de façon raisonnable et raisonnée, l’existant, ainsi que ce qui contribua à le façonner.

A mesure que je m’éloignais de ma famille, je diversifiais mes cercles de relation. J’ai ainsi appris à m’adapter aux contextes propres à chaque microsociété, et expérimentais, parfois involontairement, différents statuts : leader, suiveur, comique, réservé, etc. J’étais généralement reconnu par mes compagnons comme étant un pilier du groupe et non un leader. En accumulant les expériences collectives, j’acceptais, peu à peu, le point de vue, parfois divergent, d’autrui et apprenais à m’en enrichir. Je ne m’intéressais pas aux modes, que je pressentais déjà comme étant un simple produit de consommation

57 Si en France, la prise de parole est souvent l’objet d’un jugement (la fausse note ou le hors-sujet), voire d’une censure, de la part de l’autorité, il en va tout autrement au Québec, où les interventions des élèves sont encouragées, quitte à sortir du cadre prescrit par le cours.

porté par de vastes opérations de manipulation des subjectivités. Chacun ses goûts. Les miens étaient, et sont toujours, assez éclectiques, susceptibles d’évoluer au gré de ma curiosité. Profondément opposé à la violence, puis à la société, je me confrontais à l’alcool et à mes propres limites. Le JdR servait de défouloir. Expulsé de mon établissement, un diplôme scientifique en poche, je projetais une vie estudiantine totalement fantasmée.

b. Indépendance : du célibat à la vie en couple (18-24 ans)

Je quittais le domicile familial, en cours de décomposition, pour poursuivre des études supérieures près de la capitale. Je m’attendais à trouver une liberté accrue dans les rythmes de travail et une approche plus adulte de la relation à l’autre. Mais ce n’était pas le cas du cursus professionnalisant dans lequel je m’étais engagé. Je profitais d’un quiproquo administratif pour poursuivre mes études à l’Université. Je militais, ponctuellement et sans casquette, à des actions allant dans le sens d’un changement du système. Ainsi, en participant aux manifestations des opposants à la guerre du Golfe, alors interdites par le responsable des forces de sécurité de la Capitale, j’avais surtout l’intention de soutenir une liberté d’expression ainsi bafouée. J’étais aux premières loges, témoin d’exactions policières honteusement dénaturées par les médias. Cet univers de violence hantait jusqu’à mes rares cauchemars (guerres civiles) et nourrissait mes angoisses existentielles. Je décidais de quitter la grisaille parisienne pour reprendre des forces sous les feux du soleil.

Je partais avec deux amis pour vivre, quatre années durant, en colocation. C’était une période intense de réflexions collectives à propos de sujets variés : les arts, les jeux, les rêves, les spiritualités, les drogues, les sociétés humaines, l’informatique, les concepts, les relations amoureuses, etc. Je jouais toujours au JdR, mais moins régulièrement. Nous avions entrepris une écriture collective, toujours en cours, de ce qui nous semblait alors être la meilleure suite de scénarios (campagne) que nous n’ayons jamais joué. Et nous nous posions d’innombrables questions sur les effets induits par la pratique du JdR.

Sans trop comprendre comment, je transformais peu à peu mes cauchemars occasionnels récurrents en rêves stressants semi-dirigés. Durant ces derniers, je m’attribuais des pouvoirs me permettant d’échapper aux pièges de mon inconscient. C’est peu après un incident épileptique sans gravité, que je prenais conscience de l’importance d’avoir un mode de vie plus sain. J’abandonnais progressivement l’alcool pour des drogues

plus douces. Les atmosphères feutrées remplaçaient, peu à peu, les défouloirs festifs. Les discussions devenaient plus pertinentes. Tout ceci contribuait à une prise de conscience fugitive d’un état des lieux teinté de pessimisme : l’Humanité gaspillant sa créativité dans une société aliénante. Des perspectives d’avenir peu reluisantes : s’insérer dans ce système ou se marginaliser ? Pour qui ? Pourquoi ? De vie de couple, malgré l’envie, point. Les expériences sexuelles succédant aux échecs amoureux. Encore cette foutu timidité affective, subtile combinaison de manque de confiance en soi et d’un ego torturé par la peur du refus d’autrui. Après avoir fait, consciencieusement, le tour d’un grand nombres d’idéaux et de croyances répandues, je me décidais à vivre au présent. Je passais mes défauts en revue et en corrigeais certains. Je m’acceptais enfin tel que j’étais, ou croyais être. Le JdR ludique m’a aidé, indirectement, à prendre du recul sur mon existence et à retrouver confiance en mes potentialités.

Diplômé ès Sciences Physiques, et exclu de cette même filière en raison d’un profond désaccord avec le responsable de celle-ci, je me réfugiais dans un cursus professionnalisant : l’Administration d’Entreprise, après en avoir réussi, à ma grande surprise, le concours d’entrée. J’y découvrais l’inhumanité contenue dans la Gestion des Ressources Humaines, la logique manipulatrice propre au traitement statistique de la vie sociale (sondages, marketing, etc.), le caractère oppressif des systèmes salariaux, étatiques et économiques, les travers d’une idéologie néo-libérale, etc. Après avoir survolé ce nouvel univers, peu reluisant, je me suis intéressé aux personnes que je côtoyais et me décidais enfin à mener mes premiers JdR (car jusqu’alors, je n’avais du JdR que l’expérience du joueur et j’étais trop peu sûr de moi pour mener un scénario à mes compagnons de jeu).

Je constituais une équipe composée de nouvelles recrues, tant novices que rôlistes. et concoctais un bref scénario (à partir d’une anecdote historique sur l’implantation d’émigrés Basques dans les Rocheuses). Ayant développé assez largement ma connaissance du contexte, j’improvisais assez librement, empruntant et adaptant certaines scènes vécue en tant que joueur. J’enchaînais les scénarios puis décidais de mener des JdR à mes compagnons rôlistes. Mes deux univers de prédilections étaient, et sont toujours, ceux imaginés par J.R.R. Tolkien et par H.P. Lovecraft. Si, du premier, j’avais étudié les œuvres58 bien avant de les redécouvrir au travers du JdR, je n’avais qu’une connaissance empirique (expérience de rôliste) du monde de Lovecraft, dont je découvrais les écrits sur le tard. Je reprenais confiance en moi. Et en la Vie. J’élaborais une sorte de philosophie de l’action s’appuyant sur : l’éradication de toute jalousie (par respect de l’autre et de soi), la

maîtrise des émotions (et non l’annihilation), l’acceptation de l’incertitude (refus de l’idéologie), la répression des préjugés (écoute de soi et d’autrui) et le partage de l’expérience (création collective). Ainsi, je me forçais à sourire quand je n’avais rien d’autres à faire, etc. Après un nouvel échec sentimental, je décidais, plutôt que de me lamenter sur mon sort, de réagir en me mettant activement à la recherche d’une âme sœur.

c. Couple : de l’intimité à la parentalité (24-32 ans)

Je surmontais ma timidité affective et multipliais les rencontres. Le hasard faisant bien les choses, je dénichais l’oiseau rare et découvrais que, pour une fois, ce sentiment était partagé. Progressivement, j’apprenais à “ vivre à deux ” et à partager une intimité au quotidien. Je découvrais de nouvelles relations. Tout paraissait alors beaucoup plus simple. Les évènements s’enchaînaient naturellement. J’obtenais un poste de responsable d’une nouvelle structure d’insertion, sous statut d’objecteur de conscience. J’apprenais à gérer l’ensemble des interrelations propres aux structures de petites tailles et animais mes premières formations. Je quittais, le cœur léger, l’institution éducative, non sans m’être heurté, une dernière fois et sans diplôme cette fois, à son incohérence. C’est comme si je pouvais, de nouveau, envisager l’avenir comme un espace des possibles. J’ouvrais les yeux sur l’incohérence de nos existences. Tout en poursuivant périodiquement l’écriture collective de notre scénario, je me lançais dans l’élaboration d’une vaste chronologie répertoriant un ensemble de faits historiques, archéologiques, climatiques, etc. qui pourrait servir, par la suite, de corpus de références à destination des MJ en quête d’inspiration.

Après m’être assuré de la pérennité de la structure dont j’avais la responsabilité, j’en abandonnais les rênes à une nouvelle équipe et m’embarquais, avec ma compagne, pour le Québec. Un an durant, je m’imprégnais, par l’expérience, du sens de l’expression “ les voyages forment la jeunesse ” et regrettais, fugitivement, de ne pas être parti plus tôt. Cette plongée dans une autre culture était comme une renaissance. Les préoccupations franco-centristes, ainsi que celles de la plupart des identités collectives, me paraissaient ridicules. Ma paranoïa légère, héritage de la crainte des débordements d’un état sécuritaire, s’estompait peu à peu. Je renouais avec mon intérêt pour les énergies renouvelables et envisageais alors de me lancer dans ce domaine.

De retour en France, ce projet avorta, faute de financement. Par défaut, je devins formateur à la création d’entreprise, en statut précaire. Une routine s’instaura, tant dans la

vie intime, relationnelle que professionnelle, ponctuée par les crises d’angoisses existentielles d’un entourage à tendance dépressive. Inconsciemment, j’adoptais une attitude générale de retrait. Notre vie intime en pâtit. Cet environnement pessimiste, bizarrement, me poussa à agir pour moi. Je décidais d’abandonner la réalité du travail pour