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a. Société et éducation

B. Conjectures conjoncturelles

1. Aspects structurels

Englués dans d’innombrables conditionnements ancestraux, biologiques, psychologiques et sociaux, nous ne sommes pas assez autonomes pour prendre de la distance avec nos préoccupations quotidiennes, ni pour mettre un terme à nos comportements incohérents. Il est pourtant primordial d’adopter une attitude prudente vis-à-vis de nos différents modes de fonctionnement et il est bien dommage que la plupart des individus ne se posent des questions existentielles que lorsqu’ils y sont contraints. Ils se découvrent alors totalement démunis face à l’imprévu et peinent à réagir, rigidifiés par des années d’une existence passive. Cette souplesse d’esprit, à la fois capacité d’adaptation et autonomie responsable, n’est pas au programme des institutions éducatives. Car l’école assure la reproduction de la société qui l’institue117. L’idée de responsabiliser les individus se heurte à une réalité basée sur une logique de l’assistanat. L’autonomisation des individus est limitée par l’ampleur des conditionnements véhiculés par cette même institution. Il en va de même pour l’Etat, garant des valeurs démocratiques : la Liberté y est largement sujette à manipulation, l’Egalité cache mal l’exclusion galopante et la Fraternité n’est qu’un simple leurre dans une société à tendance individualiste. Et pourtant, il semblerait que toute éducation rationnelle n'est au fond que l'immolation progressive de l'autorité au profit de la liberté, le but final de l'éducation devant être de former des hommes libres et pleins de respect et d'amour pour la liberté d'autrui118.

116 LATRAVERSE Plume (1982), Les Humains, dans l’album Métamorphose I, Montréal

117 ARDOINO Jacques et LOURAU René (1994), Les pédagogies institutionnelles

Pour ce faire, il est nécessaire, dans un premier temps, d’accompagner l'individu vers une prise de conscience de ses conditionnements. D’innombrables pratiques (pédagogies institutionnelles, ludopédagogie, art-thérapie, etc.), plus ou moins marginalisées par la pression sociale, tentent de sensibiliser les individus à cet aspect de leur condition sociale. Mais elles sont trop peu nombreuses pour qu’on puisse noter un véritable changement des comportements à l’échelle de la société. Malgré l’énergie incroyable dépensée par ces militants d’une humanité en devenir, ces expérimentations sont vouées à l’échec, en raison de l’aspect subversif qu’elles revêtent dès qu’elles semblent s’opposer à l’ordre établi. Etouffées dans l’œuf par ce dernier, elles ouvrent cependant la voie à d’autres expériences, nourrissent d’autres vocations, même si les perspectives de développement de ces pratiques originales ne sont pas plus favorables. Le JdRF, qui fait partie de cette grande et prolixe famille des alternatives à visées éducatives, s’en démarque du fait qu’il puise ses sources dans une pratique ludique assez répandue, qui autorise une décentration salutaire et agréable. Les prises de risques y sont virtuelles. L’implication dans un groupe restreint autogéré, l’absence d’observateur extérieur, le débriefing faisant appel à l’intersubjectivité119 sont autant d’éléments qui ménagent l’individu et le projettent dans un univers rassurant, favorable à la prise de conscience d’une partie de ses conditionnements.

A défaut d’une écobiopsychosociothérapie120 de groupe à l’échelle planétaire, il convient de rechercher des alternatives visant à rendre les individus autonomes et solidaires, capables de s’autogérer, et de produire de nouvelles formes d’organisation. L’individu, en tant que maillon élémentaire essentiel à l’équilibre de l’architecture sociale et à qui on reconnaît désormais un droit à la formation tout au long de sa vie, peut désormais sereinement envisager de faire évoluer son rôle au sein de cette structure. Mais pour ce faire, il doit encore retrouver confiance en lui, en sa capacité à improviser, à créer, à partager, à décider, etc. Autant d’aptitudes mises en avant dans le JdRF. Ce dernier rompt d’ailleurs avec la tendance au bricolage instrumentaliste, résultant du fossé séparant la théorie de la pratique, et aide à révéler et à mieux tenir compte des intérêts des individus, comme de ceux du groupe. Il permet de renouveler sa confiance en la relation humaine et de développer sa capacité à s’adapter à diverses situations. Le MJ n’agit ni pour former ni pour formater les participants à un JdRF. Il tente plutôt de les accompagner vers le

119 Cf. Lexique : Intersubjectivité

120 Clin d’œil à MORENO Jacob Lévy (1965), Psychothérapie de groupe et psychodrame : J’ai toujours eu

changement. Il s’investit pleinement dans ses différents rôles, notamment pour favoriser l’émergence d’un esprit collaboratif. Par la suite, la majeure partie de son travail consiste en la mise en place et le maintien d’un imaginaire collectif cohérent. Lors du débriefing, il peut, par exemple, orienter les débats sur les conditionnements révélés par cette pratique, et ainsi permettre l’émergence ultérieure de telles interrogations. Bien évidemment, le JdRF ne peut être envisagé comme la méthode miracle qui contribuera à changer la face du monde. Nombre d’individus sont réfractaires à l’aspect ludique de cette pratique et rares sont les institutions prêtes à revoir leurs critères de traitement quantitatifs et de rentabilité immédiate, pour s’adapter aux contraintes du JdRF.

Le monde entier est encore une Amérique. Et les mots Terra Incognita sont bien les plus prometteurs que l’on ait jamais écrits sur les cartes de la connaissance humaine121. Les champs disciplinaires jettent des ponts entre eux et fondent de nouvelles disciplines. De nouveaux champs et concepts transversaux émergent : la multiréférentialité122, la complexité, l’itinérance, la reliance, etc. Il est désormais possible de multiplier les approches pédagogiques, tout en faisant appel aux connaissances générales des apprenants afin, d’une part, d’augmenter les chances de toucher leur corde sensible, et d’autre part, de les aider à retrouver le goût d’apprendre. De nombreuses initiatives123, de par le monde, interrogent le bien-fondé de notre système éducatif. Ainsi, en Kanaky, l'animation socio-politique de l'école change chaque semaine. Parce qu'on pense que tous les ennuis commencent avec les inégalités, on a décidé le partage des responsabilités : les femmes participent à l'animation à égalité avec les hommes, ce qui est nouveau dans la coutume kanak. L'école est faite en langue iaai et il y a des cours d'anglais et de français. Le travail est organisé autour d'un thème générateur choisi pour le trimestre par les enfants, en accord si possible avec les animateurs et les parents : l'igname, le cocotier, l'homme d'Ouvéa, l'environnement, etc. L'année scolaire est inverse de celle du système officiel : elle est calquée sur le cycle de l'igname, source de la civilisation mélanésienne. La démarche va de l'observation à la compréhension, puis de la compréhension à la resti-tution. Les enfants font des recherches en groupes. Les enfants ne sont pas toujours dans

121 BOORSTIN Daniel (1989), Les découvreurs

122 Pour J. Ardoino, dès lors que les disciplines s'interrogent les unes les autres, on peut parler de multiréférentialité. Par ailleurs, R. Barbier précise que l’approche multiréférentielle renvoie tant à des multiréférentialités internes (itinérance) qu’externes (théories, concepts, visions, etc.).

123 Cas de l’Universitad Mundo Real - Edgar Morin, en voie de création (2005) à Hermosillo (Mexique), soutenue par l’UNESCO et qui se propose de relever les défis de la complexité.

les mêmes groupes : il y a des groupes constitués selon la progression de l'élève (et non selon l'âge) et des groupes qui ne sont ni de niveau ni d'âge124.

Il ne tient qu’à nous de tirer un maximum d’enseignements des nombreuses alternatives au système éducatif existant. Le JdRF, dans ce cadre, doit être envisagé comme une alternative susceptible de nourrir la mise en place d’autres formes d’organisation, et ce par un processus d’apprentissage inductif.