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1. Jeux et apprentissage

Que le jeu soit futile ne peut être le propre de l’outil mais le résultat de la relation que le joueur va construire avec l’outil (…) Le jeu, c’est la rencontre entre la situation ludique et

l’attitude ludique200.

a. Le jeu

Les définitions du jeu sont pléthores : de J. Huizinga à G. Brougère, en passant par R. Caillois, J. Henriot et tant d’autres, chacun y est allé de sa petite proposition. Vous en aurez d’ailleurs un petit aperçu si vous vous rendez au Lexique : Jeu. Certaines d’entre elles méritent toute notre attention. C’est le cas d’une de celles proposées par J. Huizinga, qui précise que le jeu est une action qui se déroule dans certaines limites, de lieu, de temps et de volonté, dans un ordre apparent, suivant des règles librement consenties, et hors de la sphère de l'utilité et de la nécessité matérielles. L'ambiance du jeu est celle du ravisse-ment et de l'enthousiasme, qu'il s'agisse d'un jeu sacré, ou d'une simple fête, d'un mystère ou d'un divertissement. L'action s'accompagne de sentiments de transport et de tension et entraîne avec elle joie et détente201. Selon cet auteur, l’ambiance d’un jeu se nourrit à la fois : du conscient et de l’inconscient ; du rythme et de l’harmonie ; de l’ordre et de l’incertitude ; du rôle et de l’intimité ; de la spontanéité et de la gravité. Quant à l’activité ludique, elle comprend les jeux d’adresse, de force, d’esprit et de hasard. Pour J. Huizinga, la Culture puise ses sources et se développe dans l’activité ludique202. Il en va ainsi des diverses acceptions du terme de jeu selon la langue qui est employée (comme le game et le play anglais). Cette affirmation, contestée par ceux qui voient dans le jeu une déformation de la réalité, marque une étape importante dans la reconnaissance des bienfaits du jeu. Et si, à notre époque, le jeu est affublé de bien des vices, notamment en raison de son aspect

200 Groupe d’Etudes Ludopédagogiques (1994), Méthodes en jeux

201 HUIZINGA Johan (1938), Homo Ludens

futile, ceci peut aussi être interprété comme un reflet de l’immaturité de cette société. Et puisqu’il faut décrire des usages pour comprendre ce qu’est le jeu aujourd’hui203, je poursuivrai ma présentation de l’activité ludique en m’appuyant sur ce que j’ai pu tirer de la pratique des JdRF.

L’incontournable typologie de R. Caillois propose une classification des jeux, toujours d’actualité, reposant sur les attitudes des joueurs, que je rattache à l’approche EBPS204 ainsi :

- Eco : l’alea est une démission de la volonté, un abandon au destin et une provocation de la chance.

- Bio : l’agôn est une revendication de la responsabilité personnelle, du désir de supériorité par la compétition. Il désigne principalement les jeux tactiques ou stratégiques.

- Psycho : l’ilinx, du grec ilingos, signifiant l’ivresse mentale, peut être obtenue, notamment, par le vertige physique ou le fou rire, l’état de transe, etc. Il entraîne une démission de la conscience.

- Socio : la mimicry est le simulacre, le mimétisme ou l’illusion (du latin in-lusio : entrée en jeu). Ces jeux sont orientés sur la complicité, l’identification et la fascination du spectateur qui donne foi, pour un temps donné, à une irréalité plus forte que le réel.

Ces attitudes se retrouvent, par exemple, dans la fête foraine : l’agôn dans les jeux d’adresse, l’alea dans la cartomancie, la mimicry dans l’illusionnisme et l’ilinx dans les manèges. Des attitudes ludiques excessives peuvent entraîner une tendance à la violence dans l’agôn, à la superstition dans l’alea, à la perte d’identité dans le mimicry ou encore à l’addiction dans l’ilinx. Le ferment de cette socio-dépendance des jeux naît de cet espoir de gagner, qui apporte une disposition émotive positive. La déception de la défaite entraîne, quant à elle, un sentiment de manque. Pour R. Caillois, les humains ont, de tout temps, créé et utilisé des jeux qui reflètent leur réalité : Donner la préférence à l’agôn, à l’alea, à la mimicry ou à l’ilinx contribue à décider l’avenir d’une civilisation205. Ce qui expliquerait, à ses yeux, la différence de mentalité entre l’orient, l’occident et d’autres sociétés. Dans la nôtre, les formes du jeu social se retrouvent notamment dans : le rôle du bouffon (contrepartie grotesque de l’excès de majesté) ; le tirage de la loterie (réintroduction de l’égalité devant le sort) ; le port de l’uniforme (port du masque) ; etc.

203 BROUGERE Gilles (1995), Jeu et éducation

204 Cf. III.B Approche EBPS & Lexique : 1. EBPS

R. Caillois distingue les attitudes des joueurs de deux manières de jouer, qu’il définit ainsi :

- la païda est le divertissement libre, insouciant, exubérant, qui révèle une puissance primaire d’improvisation et d’allégresse.

- le ludus206 est le goût de la difficulté gratuite, de la lutte et du dépassement les obstacles, et ce malgré les contraintes imposées par les règles du jeu.

Dans le JdRF, les règles utilisées, d’une complexité variable, peuvent satisfaire des exigences d’agôn très diverses. L’usage de l’alea, en faisant appel au hasard des jets de dés pour déterminer les conséquences de certaines actions, permet de réintroduire un peu d’impartialité. Le réalisme dans les prises de rôles renvoie à la mimicry. L’ilinx, quant à lui, réside dans la façon dont les participants ressentent l’ambiance, la tension pouvant céder la place au fou rire. Le JdRF, au travers du scénario qu’il propose, satisfait les besoins de défoulement et d’improvisation, caractérisant la païda, ainsi qu’une certaine exigence pour la réflexion jubilatoire, propre au ludus. En cela, on peut dire que le JdRF est une activité complexe, exploitant l’ensemble des critères retenus par R. Caillois pour décrire les activités ludiques. Du fait qu’il s’attache plus particulièrement à proposer une simulation réaliste de l’activité humaine, il se démarque de la plupart des autres jeux qui ont plutôt tendance à privilégier une, rarement plus, de ces attitudes ludiques.

Je ressens aussi beaucoup d’affinités avec la définition du jeu proposée par F. Pingaud207, qui distingue deux approches complémentaires de l’activité ludique :

- comportementale, dans laquelle le jeu est envisagé comme un projet. Il la schématise sous la forme d’un triangle (SCA) dont les trois pôles sont : la Structure, qui fait référence tant aux règles du jeu, qu’au support physique qui s’y rapporte et au déroulement d’une partie ; la Contingence, qui s’appuie sur les notions d’incertitude et de dynamique contextuelle ; l’Autonomie, qui désigne les libertés d’entrer et d’agir dans le jeu.

Structure (B)

Contingence (E) Autonomie (PS)

206 Le mot latin ludus désigne à la fois l’école et le jeu.

- fonctionnelle, dans laquelle le jeu est envisagé comme un outil permettant d’évaluer l’implication du joueur. Ce dernier triangle (CRP) est délimité par trois sommets : le Cognitif, qui se rapporte aux jeux de type hypothético-déductifs ; le Relationnel, relatif aux jeux de rôle et de communication ; le Projectif, qui fait référence plutôt au jeux de stratégie intégrant des probabilités.

Cognitif (P)

Raisonnement Expression

Projectif (BE) Relationnel (S)

Négociation

Pour l’auteur, tout comportement finalisé se réfère à un mélange des trois pôles du cadre SCA. La référence à un seul des pôles ou à deux seulement, représente toujours une distorsion, un manque d'équilibre. La structure seule induit soumission à la structure sociale, absence d'autonomie par sur-structuration, fascination de l'ordre. Le hasard seul signifie soumission au destin (LOTO), absence d'autonomie par sous-structuration, et enfin la liberté seule entraîne insoumission, dérive, volonté d'indépendance totale. Structure et hasard ne laissent pas de place pour la liberté, et sont sources d'irresponsabilité. Structure et liberté font croire à une maîtrise totale, sans contingence. Hasard et liberté sont synonymes d'anarchisme et refus de l'ordre (…) Les théories du conditionnement (behaviorisme) ou de la normalisation des procédures (taylorisme) s'appuient sur la structure qui doit contrôler totalement le comportement. Les théories de la liberté (existentialisme, constructivisme) relient plutôt structure et autonomie208. A partir de cette double approche trinitaire, l’auteur propose un certain nombre de combinaisons permettant d’évaluer un jeu de manière transversale. Chaque triangle (SCA et CRP) offrant trois points, trois côtés et une surface, il propose d’en tirer sept combinaisons :