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Eco : étapes et progression

Le jeu

La création des personnages, point de départ de l’action, peut prendre différentes

formes. Contrairement à la majorité des JdR ludiques, les participants à un JdRF ne tirent pas aux dés les composantes de leur PJ, pour les intégrer ensuite dans une fiche de personnage stéréotypée. Il s’agit plutôt de produire une biographie sommaire (background) de leur PJ, qui les guidera, par la suite, dans leur interprétation, leurs improvisations et autres investigations. Celle-ci doit pouvoir répondre à plusieurs questions : quelle est leur apparence ? ; quelles sont leurs expériences marquantes ? ; quel est leur environnement familial, socioculturel ? ; quelles sont leurs activités favorites ? ; etc. Ceci contribue à créer un personnage assez détaillé, qui va évoluer, en apprenant par l’expérience à s’ouvrir à ce qui l’entoure (climat, histoire, culture, etc.), vers une reconnaissance de ses potentialités.

Il peut arriver que cette étape de création de personnage, pour peu que le scénario l’exige (réveil, amnésie, etc.), soit totalement éludée. Lorsqu’elle a lieu, elle se déroule, soit juste avant d’entamer le scénario, soit bien avant, dans une ambiance feutrée propice à la création et permettant de rompre avec ses préoccupations du moment. Puis, après un

176 Les scénarios utilisés dans le JdRF s’inspirent des écrits de H.P. Lovecraft et non de « L’appel de Cthulhu », le JdR ludique (Call of Cthulhu, édité par Chaosium aux Etats-Unis et distribué en France par Jeux Descartes) dont, D. Guisérix, rédacteur en chef de la revue Casus Belli, précise que : c’est le jeu de rôle

délai respectant, autant que possible, les rythmes de chacun, le MJ procède aux premières rencontres individuelles de “ saisie du personnage ”. Chaque joueur présente au MJ son PJ. Cette présentation orale est primordiale car elle donne vie, d’une certaine façon, à cette entité177 virtuelle qu’il va être amené à incarner durant le jeu. En s’inscrivant ainsi dans la mémoire corporelle (expression + audition + visualisation), elle nourrit l’imagination et son corollaire : l’improvisation. L’animateur écoute attentivement, prend notes des principaux traits de caractères mis en avant, puis ajoute quelques éléments destinés à renforcer la cohérence du rôle. Il peut doter le PJ d’objectifs personnels, amenés à se confondre plus tard avec ceux du groupe, et/ou organiser des intrigues internes.

S’ensuit un “ mini-scénario ” d’introduction, personnalisé et semi-directif, de quelques minutes, destiné à faciliter l’appropriation du personnage et en le plongeant dans le contexte qui est le sien au début du scénario. Les participants sont ainsi rapidement confrontés à des situations exigeant d’eux prises de décisions et implications dans l’action. Puis, par ordre de passage, chacun peaufine son rôle à l’écrit, en y intégrant les éléments nouveaux. Le but de ces introductions est de provoquer la rencontre entre les personnages, point de départ du scénario. Ainsi, si la création du personnage est le fait du joueur, son insertion dans le cadre du scénario est celui de sa collaboration avec le MJ.

Le jeu de rôle peut alors commencer. Les participants prennent place autour de la

table. Chacun d'entre eux est amené à se présenter au reste du groupe (une rapide description physique précède la conversation), et rappelle, si c’est le cas, quelques souvenirs de leurs expériences communes, ravivés au besoin par le meneur. Désormais, ils devront s’adresser aux autres en utilisant le nom de leur personnage, ce double onirique en quête d’incarnation. Le groupe est prêt à se souder. Pour arriver à ses fins, le MJ privilégie la convivialité, qu’elle soit entre PJ ou entre joueurs. Le lien va se faire grâce à la mise en commun des objectifs et par l’entremise de quelques mises en situations proposées par le MJ, qui doit veiller à ce que chacun puisse s’exprimer, et par là même, se faire une place au sein du groupe. Les joueurs passent ensuite naturellement de la description narrative de leurs actes à la discussion informelle tandis que le MJ se charge de la description des lieux et des actions en cours tout en interprétant, au fur et à mesure, les différents personnages rencontrés. Une fois l’ambiance instaurée, l’attention des participants devant être maintenue, il faut régulièrement relancer l’action et/ou la réflexion.

177 L’entité est ce qui constitue l'essence d'un être, d'une chose. C’est un objet de pensée qui existe en soi, en dehors de tout contexte.

Prises de notes

L’incertitude, provoquée par le double jeu de certains PNJ et par quelques retournements de situation, inspire un sentiment d’urgence, mêlé de méfiance, facteur de stress. Confrontés à des situations hors du commun, ils ont tendance à s’exprimer avec plus de sincérité dans leurs actes. A mesure que les représentations individuelles se croisent, se complètent, s’organisent, des liens affectifs forts se nouent entre les membres de l’équipe. Le groupe se constitue ainsi autant dans le jeu que dans la réalité. Se succèdent alors des périodes d’observation, de récolte d’informations, de réflexion, de négociation, de passage à l’action et de prise de décisions collectives, qui mènent à la réalisation du scénario. Au fur et à mesure des investigations, le groupe prend ses marques et distribue les tâches entre ses membres. Il apprend ainsi à s’autogérer d’une façon assez remarquable. S’établit au travers de ce partage d’expérience une sorte d’intense vécu émotionnel, virtuel et collectif, qui justifie l’émergence d’un imaginaire groupal. Le joueur est, non seulement, un acteur qui choisit, décide, réfléchit, développe son imagination, sa mémoire, calcule, fait appel au bon sens, à la logique, élabore une stratégie, participe178, mais il est aussi le co-auteur d’une construction imaginaire. Il est amené à découvrir, au travers de son PJ, différentes dimensions de l’identité humaine et du processus d’apprentissage. A lui d’en faire bon usage. C’est un des rôles du débriefing d’éclaircir l’aspect inductif et instituant du JdRF.

Le débriefing179 formatif

Il comporte plusieurs étapes, qui ne sont ni figées, ni obligatoires ou systématiques. Il peut prendre plusieurs formes, qui dépendent tant du tempérament du MJ, que de sa perception intuitive des potentialités du groupe ou des préoccupations exprimées par les membres de ce dernier. Cependant, l'objectif du débriefing ne doit jamais être perdu de vue par l'animateur : fournir l'occasion aux participants de réfléchir sur l'expérience qu'ils viennent de vivre et d'en tirer des conclusions utiles pour leur compréhension de la réalité. Il est extrêmement important que l'animateur prenne toutes ses décisions, planifie toutes ses interventions en fonction de cet objectif. Dans la pratique, cela se traduit surtout en un rôle de facilitateur aussi discret et attentif que possible180. Globalement, ce temps représente entre un tiers et un quart de la durée d’un JdRF.

- Le débriefing “ à chaud ” (quelques dizaines de minutes) débute au sortir du jeu, dès lors que les joueurs ont fait aboutir leur projet collectif (les lumières sont rallumées), par une discussion informelle visant à expliciter les questionnements et commentaires que soulèvent le scénario, et au delà, le JdRF. On assiste souvent, dans un premier temps, à une véritable libération des émotions (catharsis), accompagnant le retour à la réalité. Le MJ répond, aussi clairement que possible, aux diverses interrogations restées en suspens. Il rebondit sur les différentes réflexions proposées, suggère d’autres pistes, suscite l’envie de prendre la parole et gère les temps de parole. Il agit ainsi comme s’il poursuivait, avec l’accord tacite des joueurs, son activité de MJ dans le cadre réel. En faisant appel à l’intersubjectivité et à la non-directivité, il accompagne plus qu’il n’interfère dans le déroulement de la discussion. Il se comporte comme un facilitateur d’apprentissage, au sens de C. Rogers181. Il puise dans l’imaginaire collectif résiduel, encore frais, afin d’illustrer ses propos portant sur certaines attitudes récurrentes (curiosité, réflexion, spontanéité, empathie, prises de risques ou de décisions, etc.), qu’il s’agisse de lui ou des joueurs, et semblant relever d’un conditionnement personnel. Les participants sont aussi invités à soumettre leurs préjugés vis-à-vis de cette pratique à la lumière de leur expérience. Dès lors, la conversation s’intéresse

179 Environ 30% de la durée totale de l'activité devrait être réservée au débriefing - CHAMBERLAND Gilles & PROVOST Guy (1996), Jeu, simulation et jeu de rôle - Cf. Lexique : Débriefing

180 CHAMBERLAND Gilles & PROVOST Guy (1996), Jeu, simulation et jeu de rôle

181 Celui qui apparaît relativement peu défensif, qui entre en relations avec autrui d'une façon authentique et

spontanée, qui est capable d'exprimer à bon escient ses propres sentiments, qui est capable d'une empathie sensible pour les sentiments d'autrui, qui a manifesté qu'il éprouve de l'affection pour les autres d'une manière non-possessive, sera la personne indiquée - ROGERS Carl Ransom (1969), Liberté pour

davantage à ce que les participants ont retiré de cette expérience et se prolonge sur la complexité des apprentissages induits par le JdRF. Dans le cadre du JdRF de sensibilisation, l’expérience s’arrête là. Durant tout ce temps, le MJ se doit d’éviter de procéder hâtivement à des catégorisations, jugements ou interprétations, qui pourraient se révéler mutilantes par la suite, et se contente de prendre des notes sur les propos échangés. Celles-ci lui serviront à construire la suite de ses interventions.

- Le suivi individualisé (durée très variable) s’intéresse plus spécialement aux réactions des participants. Quoique ces derniers conservent du JdR le souvenir d’un moment biographique intense évoquant un rêve ou un film qui s’adresserait à leurs cinq sens et qu’ils semblent avoir vécu la même expérience, leurs souvenirs diffèrent profondément, du fait de leur propre histoire de vie. Ce suivi, qui ne nécessite pas forcément la présence des participants, s’inspire, dans son fond, des impressions exprimées au cours du débriefing à chaud, de ce qui a été convenu précédemment et des intuitions de chacun. Il peut prendre la forme d’entretiens, présentiels ou téléphoniques, de courriels, de questionnaires, de réalisations ou de recherches personnelles, etc. Il s’inscrit entre deux séances de JdR et permet de relancer le questionnement sur les apports pressentis du JdRF. Les informations ainsi collectées peuvent devenir, à leur tour, une source d’inspiration pour la suite du scénario.

- Le débriefing “ intermédiaire ” (plusieurs heures) a lieu lorsque le groupe est au complet. D’un caractère informel, les discussions prennent progressivement l’allure d’une conversation semi-dirigée par l’animateur. Après avoir fait un rapide tour d’horizon des histoires de vie de chacun depuis leur dernière séparation, les participants sont invités à s’exprimer sur les thèmes qui en émergent, ou qui les préoccupent, en les reliant à ceux véhiculés par le JdRF (jeu, rôle, synchronicité, improvisation, etc.). Il est ensuite possible d’explorer, par l’entremise de cette mise en mots du vécu collectif : les règles propres aux groupes restreints ; le processus d’apprentissage ; la confiance en soi et en les autres ; l’implication dans un imaginaire groupal ; les différentes façons d’interpréter un rôle ; les niveaux de réalité ; l’autogestion et les relations interpersonnelles ; les qualités et potentialités du MJ, etc.

- La conversation “ finale182 ” prend la forme d’un entretien individuel durant lequel

chaque participant est invité à s’exprimer librement sur ce qu’il tire de l’ensemble de cette expérimentation. Elle permet de faire le point sur le chemin parcouru avant de passer à l’étape décisive consistant à passer du rôle de joueur à celui de MJ.

- Le débriefing “ final ” (non testé) a pour objet de placer les joueurs, à tour de rôle, en position d’animateur du groupe, ceci, afin de les amener à adopter un autre point de vue, à participer à l’enrichissement d’une réflexion collective, à développer un imaginaire groupal, à improviser sur un thème avec lequel ils se sentent à l’aise… afin de devenir à leur tour animateurs de JdRF. Ce renversement provisoire de rôle au sein du groupe peut être ressenti comme très délicat pour nombres d’individus, que ce soit en raison d’un manque : d’expérience en la matière ; de confiance en ses potentialités ; d’intérêt pour ce genre d’exercice ; etc. C’est pourquoi, il est préférable que cette expérience fasse suite à un scénario prévoyant ou favorisant de telles initiatives en cours de jeu. Il s’agit alors de proposer à chaque joueur de se faire la main dans un domaine virtuel (tâche ô combien ardue, mais accessible, car sans prises de risques réelles) avant de lui laisser la possibilité d’animer un moment le groupe, lors du débriefing de clôture du JdRF, et ainsi d’ancrer son transfert d’apprentissage dans une nouvelle expérience existentielle. Ce débriefing est davantage marqué par la composante maturationnelle que par l’aspect prise de conscience propre aux précédents. En prenant du recul sur la réalité dans laquelle ils sont plongés, les participants vont pouvoir réaliser les effets de cette décentration sur leur apprentissage.

- Au-delà du débriefing183 (non testé), il est toujours possible d’envisager d’organiser

d’autres rencontres, pouvant revêtir différentes formes (JdR ou autres pratiques alternatives : théâtre, ateliers d’écriture, etc.), et de mettre en place un réseau d’individus sensibilisés au JdRF. Ceci dépend surtout de l’intensité et la nature des liens (affectifs, professionnels, ludiques, etc.) qui se sont noués au sein du groupe.

182 Cf. IV.A.2. b. Extraits des entretiens finaux avec le GC1