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Modalité et scénario modal : définition et présentation du modèle choisi pour l’étude

1.3 La Théorie Modulaire des Modalités

1.3.5 Présentation des six catégories modales

L’interaction de tous les paramètres présentés ci-dessus permet de déterminer le concept modal et de décrire son fonctionnement discursif. Dans le cadre de la TMM, on retient six catégories modales pour le français. Leur présentation fait l’objet de cette section.

1.3.5.1 Les modalités aléthiques

Comme nous l’avons indiqué supra (§ 1.2.1), l’origine des modalités aléthiques remonte à Aristote et concernent les assertions visant la vérité objective. Elles englobent les valeurs modales du carré aristotélicien : le nécessaire, l’impossible, le contingent et le possible. Dans la TMM, elles sont définies par une instance de validation qui renvoie à « une réalité existant en soi56» et une direction d’ajustement purement descriptive. Autrement dit, le jugement exprimé dans l’énoncé est présenté par le locuteur comme préexistant au monde et comme indépendant de son propre point de vue. Les modalités aléthiques peuvent être analytiques ou synthétiques. Elles peuvent être dénotées par des lexèmes (possible, né-cessaire, impossible etc.) ou associées (conteneur, palette, camion, Japon, existence etc.). Elles sont exprimées par des coverbes modaux (devoir et pouvoir dans une

tion aléthique), par des constructions impersonnelles (il est nécessaire, il est impossible etc.). Ce type de modalités joue un rôle important dans le discours en raison notamment de l’engagement assertif maximal qu’elles impliquent. Elles sont caractéristiques des dis-cours dont la subjectivité tend vers un effacement volontaire. C’est l’exemple des disdis-cours scientifiques et institutionnels. Dans les textes étudiés, les modalités aléthiques sont par-ticulièrement présentes dans la zone des faits. Cette dernière est réservée à la narration et au rappel des événements à l’origine du litige en question. Les vérités exposées sont donc de nature synthétique, souvent rapportées par des indications spatio-temporelles, des entités nommées etc. Soit l’extrait suivant qui se caractérise par une forte présence de marqueurs porteurs de modalités aléthiques :

« Suivant contrat n A-ON012009 du 15 février 2009, la société GLO-BAL TRADING INTERNATIONAL, ci-après dénommée GTI, a vendu à la société A-ONE-Trading Co Fzc, Sharjah (Emirats Arabes Unis), un lot de 1. 000 tonnes de déchets de ferraille (HMS SCRAP) pour un prix de 260. 000 USD »57.

1.3.5.2 Les modalités épistémiques

Contrairement aux modalités aléthiques, les modalités épistémiques sont celles qui se rapportent à la vérité subjective. Elles recouvrent le domaine de la croyance, du savoir et du doute. Elles se caractérisent donc par une instance de validation de nature sub-jective et une direction d’ajustement descriptive (dans une moindre mesure que celle des modalités aléthiques). Les modalités épistémiques peuvent être portées par des lexèmes (complet, petit, gros etc.), des adverbes (certainement, très probablement, peut-être etc.), des coverbes modaux (devoir et pouvoir dans une interprétation épistémique) ou encore exprimées par des constructions comme il est certain que, il est patent que, il ne fait au-cun doute, etc. En raison du rôle important qu’elles jouent dans les textes argumentatifs, ces modalités occupent une place importante dans les textes étudiés ici. Citons l’extrait suivant comme exemple d’un passage marqué par une modalité épistémique (extrinsèque

marquée par un métaprédicat) :

« il ne faisait aucun doute que Maddens Consulting, agissant pour le compte de Crop’s, avait alors transféré à Cna les droits à agir de Crop’s en réparation des avaries causées aux marchandises litigieuses alors qu’elles étaient transportées par Hapag Lloyd »58.

1.3.5.3 Les modalités appréciatives

Les modalités appréciatives relèvent, tout comme les modalités épistémiques, de la sub-jectivité. Cependant, à l’inverse des modalités épistémiques, la catégorie des appréciatives exprime des jugements de valeur (affectifs ou esthétiques) sur le monde. Ces jugements peuvent être collectifs ou individuels. Les modalités appréciatives sont exprimées par des lexèmes (malheur, mal, bon, mauvais, etc.), par des adverbes appréciatifs (heureuse-ment, malheureuse(heureuse-ment, dommage, etc.) ou encore des constructions impersonnelles (il est heureux de, il est regrettable que, etc.). Les modalités appréciatives peuvent s’avérer de véritables éléments de persuasion dans le discours « parce qu’elles servent de mo-tifs à la volition et à l’action intentionnelle, voire à la volition inconsciente » (Gosselin,

2010, p. 342). Elles se caractérisent par une instance de validation de nature subjective et une direction d’ajustement prioritairement descriptive et secondairement injonctive. Soit l’exemple suivant marqué par deux modalités appréciatives négatives, l’une dénotée par l’adverbe malheureusement et l’autre associée au lexème contrainte :

« Elle a mené une forte action commerciale, qui n’a malheureusement donné aucun résultat, elle a embauché un apporteur d’affaires pour un coût de 30. 000 e annuel. Elle va être contrainte de réaliser un nouveau plan de licenciement pour une charge évaluée à 27. 000 e»59.

58. Cour d’appel de Rouen, 11/02/2016.

1.3.5.4 Les modalités axiologiques

Les modalités axiologiques sont porteuses de jugements de valeurs relatifs à un système de règles morales, idéologiques ou institutionnelles. Elles se définissent donc par une ins-tance de validation de nature institutionnelle. Elles ne sont pas purement injonctives, mais orientées vers la prescription. Il convient de préciser ici que la frontière entre l’axio-logique et l’appréciatif est très ténue et ceci a conduit de nombreux auteurs à subsumer l’une des catégories dans l’autre. Pour Gosselin, la confusion entre ces deux catégories vient du fait que « toute institution tente non seulement d’imposer des valeurs axiolo-giques, mais qu’elle cherche à persuader les sujets de désirer le louable et de prendre le blâmable en aversion » (Gosselin,2010, p. 337). Toute institution cherche à ce que chaque individu transforme ce qui est louable (i.e. l’axiologique) en ce qui est désirable (i.e. l’ap-préciatif) afin d’assurer le « bon fonctionnement de l’institution » (Ibid.). L’originalité du classement proposé par Gosselin réside dans la distinction qu’il établit entre les deux types de modalités. Selon lui, les modalités axiologiques, contrairement aux modalités appréciatives, se caractérisent par leur caractère stable et réflexif. Il affirme ainsi que :

Tout système axiologique porte sur lui-même un jugement, forcément positif, sous peine de contradiction. Si je tiens le vol pour blâmable, je considère comme louable le fait de porter ce jugement, et comme blâmable le jugement contraire. (Ibid. p. 344).

Les modalités axiologiques peuvent être exprimées par des lexèmes comme : bien, mal, téméraire, vol, etc., ou des constructions impersonnelles du type il est injuste de, il est justifié de, il est inéquitable de etc. L’exemple ci-dessous est un extrait de notre corpus marqué par plusieurs modalités axiologiques intrinsèques :

« Ces opérations, réalisées selon AHAC de manière inappropriée et té-méraire, engagent la responsabilité de FRET SA qui ne pouvait pas ne pas être consciente du dommage prévisible qui allait en résulter, ce qui entraîne la déchéance du transporteur dans le bénéfice des limitations de réparation édictées par l’article 5) e) de la Convention de Bruxelles de 1924 modifiée en

1979 »60.

1.3.5.5 Les modalités bouliques

Les modalités bouliques expriment le souhait, la volonté ou encore le désir. Elles portent essentiellement sur les événements à venir et sont donc particulièrement prospectives. Elles peuvent être marquées par des lexèmes comme volonté, demande, prétention, etc., des verbes illocutoires vouloir, demander, prier, etc. Dans le discours, les modalités bou-liques expriment des forces illocutoires directives ou promissives (Ibid. p. 360). Dans notre corpus d’étude, ce type de modalités domine dans les passages textuels réservés aux rap-pels des demandes et des prétentions formulées par les différentes parties en procès. Dans l’exemple donné ci-dessous, la modalité boulique est dénotée par le verbe souhaiter. Ce dernier occupe également le statut de métaprédicat :

« la société CPE, expert mandaté par la Société Hoegh Autoliners AS a adressé le même jour une convocation à une réunion pour le 18 octobre 2010 ; c’est alors que les intéressés ont souhaité attraire aux opérations d’expertise la société Géodis »61

1.3.5.6 Les modalités déontiques

Les modalités déontiques renvoient à l’obligatoire, le permis, l’interdit et le facultatif. En s’appuyant sur des conventions institutionnelles, ces valeurs modales sont essentiellement injonctives et s’avèrent donc essentielles pour tout système de normes car elles permettent l’accomplissement des actes illocutoires directifs (Ibid. p. 369). Comme les autres types de modalités, elles possèdent différents moyens d’expression : des lexèmes porteurs de moda-lités déontiques : droit, interdit, obligation etc., des coverbes modaux (devoir et pouvoir dans leur interprétation déontique), des périphrases telles que être dans l’obligation de, avoir le droit de etc., ou encore des constructions impersonnelles comme il faut que, il est interdit de, etc. Les modalités déontiques sont constitutives du genre judiciaire dans la

60. Tribunal de commerce de Paris, 29/11/2011. 61. Cour d’appel de Rouen, 5/12/2015.

mesure où il rend compte de l’application des normes et des règles juridiques sur des cas d’espèce particuliers. Dans les décisions de justice, les modalités déontiques apparaissent surtout vers la fin du texte, dans la zone du dispositif, avec une dimension performative. Le juge prononce la décision finale comme devant s’imposer à toutes les parties en procès. La direction d’ajustement est injonctive. Soit l’exemple suivant :

« PAR CES MOTIFS La Cour, Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives au préjudice moral allégué ; [. . .], Condamne la société E. C. T à payer à la société Sramag la somme de 1500 epour frais hors dépens d’appel, Rejette la demande de la société E. C. T relative aux frais afférents au matériel retenu, [. . .] ; Rejette toutes demandes plus amples ou contraires au présent dispositif, Condamne la société E. C. T aux dépens l’appel »62

Le classement que nous venons de présenter est celui que nous retenons pour notre travail. Chacune de ces catégories occupe un rôle bien défini au sein du scénario modal. Nous verrons que malgré le lien très étroit entre les modalités axiologiques et les modalités appréciatives, leur distinction, opérée par Gosselin, est fondamentale. Cela a été notam-ment mis en évidence dans la structuration du scénario modal. En effet, chacune de ces modalités désigne une phase différente du scénario. À titre d’exemple, tandis que les mo-dalités appréciatives sont toujours à l’origine du déclenchement du litige dans la mesure où c’est toujours une situation indésirable causée à X qui conduit ce dernier à saisir la justice ; les modalités axiologiques sont déterminantes dans la phase argumentative, car elles constituent, entre autres, les fondements de la solution adoptée par le juge.

Tout cela sera précisé et détaillé dans les deux derniers chapitres (5 et 6) de ce manuscrit.