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3. RÉPONSE À LA QUESTION DE RECHERCHE

3.1 Présence des compétences émotionnelles en situation professionnelle

Suivant les résultats préliminaires présentés, il s’avère manifeste que les directrices et les directeurs généraux exercent les compétences émotionnelles en situation professionnelle. Parfois, ils les exercent en concomitance avec les compétences professionnelles et transversales, que nous appelons maintenant compétences managériales. Dans toutes les situations professionnelles présentées (annexe XIX), il s’avère difficile de décontextualiser le déploiement des compétences émotionnelles et des compétences managériales. Les résultats préliminaires sur les 92 situations professionnelles présentent les compétences émotionnelles identifiées dans dix contextes différents. En terme d'analyse, le tableau 23 permet de visualiser le graphique de fréquence de codes en rapport aux 14 codes attribués aux compétences émotionnelles, et ce, par sujet.

Comme il est possible de le constater selon les titres que nous avons donnés à chacune des compétences émotionnelles, les contextes dans lesquels se déploient celles-ci sont multiples et obligent par le fait même de développer une intelligence des situations. Les données recueillies montrent que les sept premières compétences émotionnelles de nature intrapersonnelle sont exercées moins fréquemment que celles de nature interpersonnelle. Le récapitulatif des fréquences de codage confirme un total de 127 fréquences pour les compétences de nature intrapersonnelle et 285 fréquences de nature interpersonnelle, et ce, pour un total de 412 fréquences. À la lecture de ce récapitulatif, deux constats émergent des résultats et alimentent notre questionnement.

Tableau 23 : Récapitulatif des fréquences de codage : compétences émotionnelles

Identification des sujets Compétences émotionnelles

Légende:

Compétences intrapersonnelles : en rouge Compétences interpersonnelles : en bleu

Lau re nt Be noi t M ar ie C ar ol in e M ar gu er ite Anne Sop hi e F ab ie n Total

Comprendre son vécu émotionnel dans le contexte 1 2 4 6 5 1 10 3 32 Exprimer ses émotions de manière adaptée au contexte 4 3 3 1 1 3 5 2 22 Gérer ses émotions désagréables selon le contexte 3 0 5 4 4 1 4 4 25 Identifier son vécu émotionnel 5 2 4 1 0 0 4 3 19 Prendre soin de son état émotionnel 2 0 3 0 1 0 2 0 8 Réguler ses émotions positives, en faire un point fort 0 0 3 2 2 0 2 2 11 Utiliser ses émotions pour accroître leur efficacité 3 2 2 1 1 0 1 0 10

Comprendre le vécu et les réactions d'autrui 6 8 6 11 8 4 17 7 67

Gérer les émotions désagréables dans leur dimension

relationnelle 6 10 11 4 4 1 2 2 40

Identifier les processus émotionnels d'autrui 5 6 6 6 5 4 7 4 43

Permettre l'expression des émotions d'autrui 2 4 6 5 4 5 5 1 32

Prendre soin de l'état émotionnel d'autrui 7 3 6 0 4 8 7 1 36

Réguler les émotions positives dans la relation 4 5 4 4 6 3 7 4 37

Utiliser les émotions d'autrui pour accroître leur

efficacité 5 7 2 1 2 7 5 1 30

Le premier constat renvoie aux habiletés intrapersonnelles qui semblent faiblement exercées, donc possiblement moins développées chez les directrices et les directeurs généraux. Ajoutons que l’approche de l’EdE auprès des sujets n’était pas destinée à approfondir le vécu émotionnel auquel se rattachent les situations difficiles de manière à éviter des réactions émotionnelles à valence négative. Autrement, sur le plan éthique, il aurait fallu prévoir des mesures préventives pour offrir un soutien psychologique en cas de besoin auprès des participants. En fait, malgré les précautions méthodologiques, il demeure difficile et parfois inconcevable d’avoir accès à la dimension “conscience de ses émotions» sans le demander explicitement. Le deuxième constat est la prépondérance positive et élevée des compétences de nature interpersonnelle. Pour cette population, les résultats démontrent que l’habileté interpersonnelle est plus développée chez les directrices et les directeurs généraux et en occurrence, celles qui concernent les dimensions suivantes : la compréhension (67 fréquences), l’identification (43 fréquences), la gestion (40 fréquences), la régulation (37 fréquences), le soin (36 fréquences), l’expression (32 fréquences) puis l’utilisation (30 fréquences) des émotions d’autrui. À la lumière de ces résultats préliminaires, il semble que les directrices et les directeurs généraux exercent des compétences émotionnelles en situation professionnelle, et ce, particulièrement en contexte interpersonnel.

4. EN RÉSUMÉ

La présente étude vise à comprendre la façon dont l’intelligence émotionnelle de la directrice ou du directeur général d’un cégep l’amène à exercer ses compétences émotionnelles en situation professionnelle. Lors de cette recherche exploratoire, les données recueillies auprès de huit directrices et directeurs généraux des cégeps au Québec ont été analysées selon l’approche qualitative. La méthode d’analyse par théorisation ancrée a été privilégiée pour analyser les données recueillies (Paillé et Mucchielli, 2013). Le logiciel QDA Miner a été utilisé dans le but de faciliter la gestion des données et pour accomplir l’analyse avec rigueur scientifique. L’analyse s’est déroulée en adoptant deux approches qualitatives : 1) l’analyse en mode écriture et 2) l’analyse transversale thématique des récits validés. Outre l’analyse qualitative décrite précédemment, nous avons

également effectué un traitement quantitatif sur les données qualitatives, ce que Creswell et Clark (2007) appellent la transformation des données. Bien que l’étude soit avant tout qualitative, nous avons présenté à titre indicatif quelques données quantitatives par le biais de la carte thermique. Avec la présentation des résultats, nous avons été en mesure de répondre aux deux objectifs spécifiques de recherche, et par le fait même à la question de recherche : comment les directrices et les directeurs généraux du réseau collégial exercent- ils leurs compétences émotionnelles en situation professionnelle ?

Pour répondre au premier objectif spécifique, nous avons repéré 92 situations professionnelles que nous avons classifiées par axe de compétences. De cette classification, nous retenons 10 contextes de travail particuliers, dont la plupart nécessitent des habiletés interpersonnelles pour agir. Par ordre de fréquence d’apparition lors de l’analyse, ces contextes sont : 1) contexte de conflit en milieu de travail ; 2) contexte de communication ; 3) contexte de coopération ; 4) contexte de management ; 5) contexte politique et législatif ; 6) contexte économique ; 7) contexte de développement ; 8) contexte de climat organisationnel ; 9) contexte de crise ; 10) contexte de changement. Cette liste démontre les contextes de travail auxquels les dirigeants gèrent les situations professionnelles. C’est donc à partir de ces divers contextes que la directrice ou le directeur général est en mesure de situer son agir compétent, c’est à dire de se situer par rapport à la situation réelle de son milieu et celle attendue. Par conséquent, la directrice ou le directeur général peut se situer et ajuster ses propres pratiques de gestion qui renvoient à une pluralité de situations professionnelles. Il y a lieu de croire que la pluralité et la diversité des situations professionnelles imposent aux directrices et aux directeurs généraux de développer une intelligence des situations, car celle-ci se retrouve à gérer des situations inédites auxquelles elle n’est pas toujours préparée.

Quant au deuxième objectif spécifique, nous constatons que la gestion des situations professionnelles mobilise particulièrement les compétences émotionnelles de nature interpersonnelle par la directrice ou le directeur général. Nous convenons que les compétences émotionnelles de nature intrapersonnelle semblent moins développées ou apparentes chez les directrices et les directeurs généraux. Lors de l’analyse, nous nous

sommes interrogés sur la place qu’occupent les compétences émotionnelles en examinant celles que nous nommons maintenant les compétences managériales. L’annexe XXIII permet de situer la fréquence des codages entre les compétences managériales et les compétences émotionnelles. Par ce résultat global, nous constatons que les compétences managériales qui incarnent en partie le référentiel de compétences (ACCQ, 2013b) présentent un pourcentage de 47,70 % tandis que les compétences émotionnelles ont une proportion de 52,40 %. Or, nous observons que la place de l’intelligence émotionnelle est présente dans la pratique managériale de ces directrices et directeurs généraux, et ce, soutenu par le pourcentage élevé que nous prélevons aux résultats d’analyse.

L’analyse des données nous amène donc à comprendre les compétences émotionnelles exercées par les directrices et les directeurs généraux des cégeps au Québec et de repérer les situations professionnelles auxquelles les dirigeants ajustent leur pratique professionnelle en exerçant les compétences requises. Par les quatre axes de compétences : 1) pratique et conduite professionnelles ; 2) gestion administrative ; 3) environnement collégial ; et 4) gestion des personnes et des équipes, nous comprenons aussi que les directrices et les directeurs généraux doivent faire preuve d’une pluralité de compétences, et par le fait même développer une intelligence des situations. Nous y ajoutons la prise en compte des émotions, et ce, par la perspective de l’intelligence émotionnelle qui permet de développer les compétences émotionnelles. Enfin, nous observons que l’intelligence émotionnelle commande des habiletés ou des capacités relatives au développement de l’intelligence des situations. Ainsi, en réponse à la question de recherche, nous observons une forte propension des compétences émotionnelles en situation professionnelle par les directrices et les directeurs généraux, qu’elles viennent en soutien au développement d’un savoir agir compétent, tel que défini par Le Boterf (2013) et situé suivant les propos de Masciotra et Medzo (2009).

Considérant les résultats en réponse aux deux objectifs spécifiques de recherche et à la question de recherche, nous abordons au prochain chapitre les retombées de cette étude sur les nouveaux savoirs théoriques et praxéologiques. Nous discutons également de l'interrelation qui émerge de la recherche, de la pratique et de la formation.

CINQUIÈME CHAPITRE DISCUSSION DES RÉSULTATS

La discussion et l’interprétation des résultats constituent synchroniquement la dernière étape de la démarche d’analyse de manière à examiner les résultats avec les autres chapitres de la thèse afin de répondre en toute connaissance de cause et avec intelligibilité à la question de recherche (Mongeau, 2011). La démarche compréhensive déployée se caractérise par l’effort à comprendre les actions professionnelles du point de vue de leurs acteurs, et par leur recours à des catégories intentionnelles qui permettent de situer l’action dans le contexte de gestion. Rappelons que la verbalisation de l’action découle de la situation professionnelle racontée par l’acteur et peut illustrer la verbalisation du vécu émotionnel. D’après Barbier (2000), « Le travail d’intelligibilité des actions porte à la fois, et de façon liée, sur les activités et sur les significations que les acteurs leur accordent. Ce sont ces dernières, d’ailleurs qui permettent de délimiter les unités pertinentes d’action » (p. 98).

L’analyse nous a conduits vers les concepts caractéristiques de la sémantique de l’action abordée simultanément par les sujets sous la forme de trois registres de significations, « un registre représentationnel, un registre affectif, et un registre expérientiel […] et peuvent donc apparaître comme des concepts porteurs d’un contenu plus “riche” que les concepts du discours scientifique classique ; on peut parler d’enveloppes signifiantes ». (Barbier, 2000, p. 93). Ces trois registres établissent des liens de significations entre eux, voire analogues, car les actions humaines du point de vue de leurs acteurs permettent la compréhension du phénomène à l’étude (Ibid., 2000). Notre démarche compréhensive a permis d’interpréter ces trois registres par les relations fonctionnelles repérables dans la conduite des actions et d’y reconnaître une différenciation entre elles. Le registre représentationnel est la mise en relation entre la représentation d’un existant et la représentation d’un souhaitable (ex. le climat de travail actuel et le climat de travail souhaité) ; le registre affectif peut se traduire par la présence d’affects qui se révèlent par le développement de la pensée pour l’action, et ce, par l’émergence d’émotions positives ou négatives (ex. faire preuve de résilience) ; puis le registre expérientiel fait référence à un

contenu expérientiel de l’acteur qui appuie ses actions (ex. les aider à faire sortir ces solutions-là). Comme donnée manifeste, voici une vignette d’explicitation de Caroline qui expose une situation professionnelle à laquelle l’on peut observer les liens entre les registres de significations :

Caroline (DG, cégep rural) : « J’ai aussi à gérer la mouvance d’une vingtaine de personnes

d’un poste à l’autre, qui doivent s’approprier de nouvelles fonctions, et ce, dans un climat de chaises musicales (Registre représentationnel). Dès leur retour de vacances, les gens viennent me voir inquiet, certains viennent en pèlerinage (Registre affectif). Les mouvements internes créent de nouvelles façons de faire et nécessitent des ajustements. En somme, il y a un certain nombre d’ingrédients dû au contexte actuel qui prône une dynamique relationnelle qui peut s’avérer conflictuelle » (Registre expérientiel).

Par voie de ces divers registres, nous avons identifié les relations d’intersignification80 (Ricoeur, 1977) et pouvons maintenant interpréter les résultats. Qu’avons-nous appris sur les compétences émotionnelles exercées en situation professionnelle par les directrices et les directeurs généraux des cégeps au Québec ? Selon nous, les résultats de la présente étude témoignent d’une propension importante de la place de l’IE en administration scolaire, soit au cœur des situations professionnelles que les directrices et les directeurs généraux ont a géré.

Après la présentation des résultats, nous faisons la discussion de ceux-ci qui émergent de l’étude. Il sera question d’établir des liens explicites avec le cadre conceptuel qui sous-tend l’étude. Les concepts théoriques et la revue de littérature intégrée à la recherche viendront enrichir les commentaires formulés (Pourtois, Desmet et Lahaye, 2001). Au cours de cette discussion, nous relevons de surcroît les apports scientifiques nouveaux de notre étude en regard aux compétences émotionnelles. La discussion et l’interprétation des résultats permettent donc de répondre de manière structurée selon les deux objectifs spécifiques de la recherche : 1) repérer les situations professionnelles dans

80 Ces concepts entretiennent entre eux des liens d’intersignification qui ont fait dire à Ricoeur (1977) qu’ils fonctionnent en réseau : « Une manière efficace de procéder à la détermination des notions appartenant à ce réseau de l’action, écrit-il, est d’identifier la chaîne des questions susceptibles d’être posées au sujet de l’action : qui fait ou a fait quoi, en vue de quoi, dans quelles circonstances, avec quels moyens et quels résultats […]. Des relations d’intersignification régissent ainsi leurs sens respectifs de telle sorte que savoir se servir de l’un d’entre eux, c’est savoir se servir de manière significative et appropriée du réseau entier » (Barbier, 2000, p. 95).

lesquels sont impliqués les directrices et les directeurs généraux de cégeps et les classifier par axe de compétences ; et 2) identifier les compétences émotionnelles qui soutiennent un agir compétent par la directrice ou par le directeur général. Enfin, nous abordons l’interrelation qui existe entre la recherche, la pratique et la formation dans le champ de l’éducation.

1. RÉFLEXION SUR LA RÉDACTION D’UN RÉFÉRENTIEL DE COMPÉTENCES

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