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Le pouvoir individuel bénévole au service de l'intérêt collectif

La mise en pratique de l'intelligence collective ne relève pas toujours de projets disposant de ressources financières énormes et de compétences de haut niveau comme dans le cas où des industriels mettent un satellite en orbite. Certains projets sont à la fois très importants pour l'intérêt collectif, très ambitieux par leur ampleur mais peu attractif pour les financeurs. Ces projets ont donc besoin d'organiser des actions bénévoles pour arriver à leurs objectifs. Ils ont comme point commun le besoin de récolter des informations de qualité dans des domaines où les technologies numériques ne sont pas suffisamment ou même pas du tout performantes. Un bon exemple de ce type de projet est celui de l'Observatoire des papillons des jardins (OPJ) développé par Néo conservation et le Museum National d'Histoire Naturelle (http://goo.gl/zHSdx) dans le cadre du programme de recherche vigie-nature qui consiste à mettre en place des protocoles collectifs d'observation des écosystèmes afin de récolter des données utiles aux scientifiques.

Samuel Szoniecky Université Paris VIII - Saint-Denis 2009 - 2012

Buts et moyens de l'intelligence collective - A quoi sert l'intelligence collective ? 136

Il est très important aujourd'hui de savoir comment la population des papillons évolue car en tant qu'insectes polinisateurs, les papillons sont un maillon essentiel de notre écosystème biologique. Comme le précise Romain Julliard, maître de conférences au Muséum National d’histoire naturelle, 35 % de notre alimentation provient de plantes fécondées par les insectes polinisateurs (http://goo.gl/7d3ms). Mais pour connaitre ces évolutions, les scientifiques disposent de très peu de données sur l'amenuisement de la diversité des insectes pollinisateurs. Il est très difficile, coûteux et les biologistes sont trop peu nombreux pour mener des enquêtes sur l'ensemble du territoire. Dès lors :

« Les réseaux d'amateurs sont plus que jamais indispensables pour alimenter en données les observatoires de la biodiversité, en étroite collaboration avec des scientifiques. » (http://goo.gl/zHSdx).

Pour mener à bien cette récolte de données l'Observatoire des papillons des jardins propose à des bénévoles un protocole expérimental permettant d'évaluer la population de papillon sur le territoire français. Ce protocole consiste tout d'abord à s'inscrire sur leur site Web puis à télécharger les fiches d'identification des papillons qui permettront de comptabiliser les observations mensuelles. Ces fiches sont ensuite renvoyées sur le site pour enrichir les bases de données qui serviront aux analyses des chercheurs.

Même si ce type d'expérience apporte de nombreuses satisfactions, on peut relever quelques limites. On remarque par exemple une implication moindre des contributeurs dans les pays de culture latine que dans les pays de culture anglo-saxonne à cause d'une méfiance plus importante liée à un engagement conditionné par trois questions :

« - est-ce que je ne risque pas d'être instrumentalisé ? - ce projet de suivi est-il utile ?

- est-ce que je suis utile pour le projet ? » (Gosselin & al., 2010, p. 76)

Une autre des difficultés principales concerne la fidélisation des contributeurs qui ont tendance à ne pas renouveler l'expérience d'une année sur l'autre :

« Il y a effectivement à la fois une forte mobilisation du public et une "usure" avec le temps : chaque année, 40 % des observateurs de l'OPJ abandonne le suivi. » (Ibid., p. 78)

Mais paradoxalement lorsque le contributeur pratique depuis un certain temps l'expérience, intervient une autre limite importante à ce genre de collecte d'information : l'observateur biaise l'expérience par une pratique particulière qui aura tendance à faire évoluer les chiffres dans un sens ou dans l'autre :

« Il y a un biais qui provient du fait que plus les observateurs sont sensibles à avoir des pratiques favorables aux papillons, plus ils seront attentifs à la détection des papillons. »

Buts et moyens de l'intelligence collective - A quoi sert l'intelligence collective ? 137

(Ibid., 2010, p. 78)

Mais comme nous l'avons montré avec l’ingénierie des connaissances, MCR et IEML, on ne peut de toute façon pas éliminer le « biais » de l'individu dans un processus de description ou dans la construction d'une signification. Les scientifiques qui analysent les données doivent donc prendre en compte ce type de biais dans la définition de leur protocole notamment en utilisant les théories d'intelligence collective que nous avons présentées (Trois outils théoriques pour l'intelligence collective p. 99)

Finalement, ce type d'intelligence collective n'est pas seulement utile pour récolter des données, générer de nouvelles connaissances et mieux modéliser grâce aux outils de l'intelligence collective les problématiques scientifiques par rapport à un champ de recherche, mais aussi :

« ils contribuent aussi à éveiller l’intérêt du public pour la nature, et participent, nous l’espérons, à une meilleure perception des sciences. Ils permettent de plus d’associer la société civile à l’accumulation de connaissances scientifiques indispensables à la conservation de la biodiversité. On peut espérer que cela donne davantage de légitimité aux décisions qui en découlent, qui auront ainsi une meilleure chance d’être mise en œuvre collectivement. » (http://goo.gl/JwyZz)

On retrouve ici l'importance de la dimension sociale des langages symboliques dont nous avons déjà parlé (Le symbole comme convention morale pour une construction sociale p. 29). Cet exemple d'intelligence collective bénévole au service d'un intérêt collectif montre que la pratique de ces protocoles expérimentaux apporte de nombreux avantages en termes de cohésion sociale et de construction d'un consensus collectif. On peut espérer qu'ils contribuent aussi à la construction d'une société plus apaisée et respectueuse. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que les différentes sphères publiques politiques, scientifiques et associatives puissent mettre en commun leur pourvoir d'agir à la manière du courant de gestion adaptative développé en Amérique du Nord (Gosselin & al., 2010, p. 83). C'est d'ailleurs l'objectif premier d'une vision de l'intelligence collective qui cherche avant tout l'optimisation de cette construction harmonieuse de la société par la participation active de chacun.