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Le travail d’un orchestre est un très bon exemple de gestion du pouvoir d'agir et

Samuel Szoniecky Université Paris VIII - Saint-Denis 2009 - 2012

Buts et moyens de l'intelligence collective - A quoi sert l'intelligence collective ? 132

d’organisation de l’intelligence collective car il présente un groupe humain qui s’organise et même plus qui s’harmonise dans l’optique d’une expression cohérente dans un lieu et à un moment précis. Cet exemple est d’autant plus intéressant pour nous qu’il met en jeu un langage symbolique, celui de la partition. En effet, à la vue d’une partition d’orchestre symphonique et à l’écoute de la musique qui en découle, ne pas s'interroger sur comment l’un provient de l’autre ?

Notre but n’est pas de rentrer dans une analyse précise du codage symbolique de la production musicale à travers la partition, ni des évolutions de ce codage dans des pratiques de plus en plus graphiques visant à faire émerger une « intuition » musicale comme le souligne Anthony Braxton dans son projet de recherche musicale :

« Combiner le connu, l'inconnu et l'intuition. En clair : la partition, l'improvisation et le symbolique. » (http://goo.gl/z3Bvh)

Même si cette problématique nous semble particulièrement intéressante et au cœur de notre sujet, nous n’avons pas les compétences nécessaires pour faire le travail d’un musicologue. En revanche, du point de vue de l’organisation humaine du phénomène nous pouvons analyser l'expression musicale collective et la partition musicale comme un exemple de langage symbolique pour l’intelligence collective.

Une première chose est frappante : c’est le processus cognitif lié à ce langage symbolique. En effet, les principes de base du langage sont très simples à comprendre : la hauteur du symbole sur la portée indique la hauteur du son entre l’aigu en haut et le grave en bas, la forme du symbole indique la durée du son. Par contre, il faut une pratique assidue pour que la lecture de ce langage se transforme en geste fluide et en production harmonieuse. La maîtrise de l’outil est bien plus longue que la maîtrise des principes du langage qui permet de l’utiliser en harmonie avec d’autres utilisateurs. Nous retrouvons ici ce que Pierre Rabardel présente comme une potentialité qu'un sujet va pouvoir agir dans le double sens de :

« "je suis en capacité de" et "j'en ai la puissance", je le peux effectivement. » (Rabardel, 2005, p. 12)

La temporalité dans l'apprentissage de la mise en pratique du langage symbolique est très importante à souligner dans le domaine de la musique car dans le domaine du « marketing » des technologies numériques prédominent souvent les idées que la rapidité est un gage de qualité, que la connaissance et sa maîtrise doivent être instantanées et que, en d’autres termes, l’apprentissage peut se faire sans effort. Ce qui est une absurdité pour un musicien qui se doit de pratiquer son instrument chaque jour, pour au bout de quelques années commencer à

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maîtriser les potentialités expressives du langage.

Notre deuxième remarque concerne la place du chef d'orchestre dans la conduite du projet musicale. Le chef d’orchestre est un acteur important du processus d’intelligence collective liée à la partition musicale car il est celui qui est censé créer la cohérence rythmique et harmonique entre les différents musiciens de l'orchestre. Or là aussi, cet élément semble absent dans le numérique. Point de chef d'orchestre pour harmoniser les pratiques de chacun devant son écran. Dans les écosystèmes d'information, pour que le collectif joue ensemble, il suffit de respecter les normes techniques où d'utiliser les mêmes outils, par exemple dans le cas d'un jeu massivement multi-joueurs. Mais dans ce cas, ce qui est coordonné c'est le contexte dans lequel un utilisateur va effectuer une action, pas l'action en elle-même.

En revanche, parmi les autres exemples de coordination d'une pratique collective à travers les écosystèmes d'information numériques, les « flashmob » consistent quant à eux à rassembler des personnes pour leur faire exécuter des actions précises (http://goo.gl/dvlUQ). Dans ce cas, les actions à effectuer sont extrêmement simples même si elles peuvent occasionner des catastrophes comme les apéritifs géants que l'état français a interdit en raison de l'ampleur que de tels rassemblements pouvaient occasionner. Que dire alors du premier « flashmob » mondial organisé le 20 juillet 2006 qui consistait à faire sauter à une heure bien précise 600 millions de personnes pour changer l'orbite de la Terre (http://goo.gl/9GUvI) ? Même si cet exemple relève de la blague, on peut s'interroger sur les conséquences engendrées par ce type de pratiques de l'intelligence collective...

A travers l'exemple de la partition musicale, nous voyons que les langages symboliques pour l'intelligence collective ne sont pas obligatoirement des langages numériques même s'ils correspondent à la définition des langages formels. De plus, cela nous a permis de mettre en avant deux points importants concernant la pratique de ces langages qui ne le sont pas forcément lorsque l'on parle de l'intelligence collective par le biais des langages numériques : le temps nécessaire à l’apprentissage et l’importance du chef d’orchestre. Nous reviendrons plus loin sur l'importance de la temporalité et du temps nécessaire à la pratique mais examinons maintenant plus en détail la question de l'importance du chef d'orchestre dans le processus de management du pouvoir d'agir.