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Un autre point sur lequel les écosystèmes d'informations se différencient des systèmes symboliques traditionnels concerne l'importance des dynamiques socio-spatio-temporelles. En effet, un système symbolique comme l'ISBN renvoie toujours au même livre, du même éditeur quels que soient l'endroit sur Terre, le moment de la journée et l'individu qui consulte le livre. A l'inverse, les écosystèmes d'information possèdent une plasticité qui fait évoluer leur contenu à la fois en lecture et en écriture suivant des dynamiques interactives propres à chaque système. En ce sens, les éléments qui composent les écosystèmes d'information

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correspondent aux « appareils de capture sémantique » (ACS) que Manuel Zacklad définit ainsi :

« Les appareils de capture sémantique possèdent deux composants, l'un dédié à la description (écriture), l'autre à la recherche (lecture). Le premier est un dispositif d'aide à l'écriture codifiée (ou écriture automatique) qui contient notamment, dans le cas de la description manuelle, un langage de codification (ou système d'organisation des connaissances) et dans le cas d'une capture automatique, des algorithmes logiciels. [...] Le second est le dispositif d'aide à la recherche ou d'aide à la lecture, qui doit permettre d'accéder à la description préalablement réalisée des situations et des documents. Dans les dispositifs technologiques il offre d'une part, un système de "requêtes" et d’autre part, un système d'affichage de l'ensemble des résultats potentiellement pertinents. » (Zacklad, 2010, p. 190)

Il est aujourd'hui possible grâce aux ACS comme Layar (http://goo.gl/gFnr1) de fournir une information parfaitement localisée dans l'espace et le temps par exemple pour prévenir du commencement imminent d'un concert proche de l'endroit où l'on se trouve ou pour annoncer une promotion exceptionnelle dans un magasin proche. Nous montrerons dans un chapitre consacré à GEVU, un outil pour le diagnostic et l'évaluation de l'accessibilité pour les personnes handicapées (GEVU : expérimentation d'intelligence collective pour le diagnostic de l'accessibilité p. 161), comment les problématiques de modélisation et de diffusion de cette information géolocalisée en temps réel posent de nombreux problèmes, notamment pour valider la saisie des informations et surtout pour la cibler par rapport à un individu. Toutefois, ces problématiques doivent être contrebalancées par le fait que les ACS permettent la saisie des langages symboliques fortement structurés de façon complètement transparente. Par exemple, lorsque l'on prend une photo celle-ci garde en mémoire la position en longitude et en latitude de la prise de vue grâce au GPS intégré dans l'appareil de prise de vue et grâce au langage symbolique EXIF (EXchangeable Image File Format) qui permet de stocker directement dans le fichier numérique de la photo ces informations. Dès lors, on peut envisager des dispositifs pour une ville numérique qui gère en temps réel les informations produites par des ACS comme par exemple le projet City Pulse de l’équipe CiTU du laboratoire Paragraphe (http://goo.gl/MRzEE).

On sait aujourd'hui d'où vient l'information, quand elle a été produite et par qui. Cette précision dans les informations a notamment fait le succès de Twitter qui, en plus du contenu textuel du message, encapsule des informations spatio-temporelles et par croisement avec le profil de l'auteur, ajoute des informations sur un réseau social particulier. La production de ces flux immenses de données structurées (Big Data) laisse envisager de nombreux traitements socio-statistiques. Mais cela soulève des problèmes épistémologiques et

Samuel Szoniecky Université Paris VIII - Saint-Denis 2009 - 2012

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méthodologiques importants (Boyd & Crawford, 2011 ; Rieder & Röhle, 2010) ; notamment concernant la représentativité et l’exhaustivité des données ou la multiplication des « micro- interprétations » nécessaires aux traitements statistiques et à leur représentation.

Bien que construis à partir de langages symboliques, les écosystèmes d'informations possèdent des caractéristiques qui les différencient des langages symboliques comme ceux utilisés dans les bibliothèques. Cela est dû notamment à la grande complexité engendrée par la multiplication des couches symboliques utilisées pour leur mise en place et aussi aux nombreux outils qui rendent complètement transparente l'écriture de ces informations très structurées et donc facilement utilisable par de nouveaux outils. Cette boucle vertueuse qui permet la production d'informations toujours mieux structurées et reliées les unes aux autres, n'élimine toutefois pas complètement les problèmes intrinsèquement liés aux langages symboliques que nous allons maintenant analyser.

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Chapitre 3.

« Il y a le jour, il y a la nuit, et l'on s'aperçoit qu'existe l'aube aussi, qui tient du jour et de la nuit. La logique naturelle est pleine d'ombres elle argumente ; la logique mathématique, de clartés, elle démontre. Qui a donc raison ? Celui qui cherche ce qui les sépare ou celui qui cherche ce qui les unit ? »

J.B. Grize « La complexité sauve la logique comme hygiène de la pensée et la transgresse comme mutilation de la pensée. » Edgar Morin

Le dernier chapitre de cette première partie de thèse est consacré aux limites épistémologiques des langages symboliques. L'objectif est de reprendre ce que nous avons déjà exploré pour définir les langages symboliques afin de savoir jusqu'où il ne faut pas aller trop loin pour rester dans ce que Pierre Boulez appelle « le pays fertile » (Boulez, 1989), c'est- à-dire un usage de la technique où l'utilisateur ne perd pas son pouvoir de discernement au profit de la machine. Nous aborderons les limites de ce pays fertile en traçant dans un premier temps une filiation historique entre la Grèce Antique et notre époque en partant de Zénon pour arriver à Turing, puis nous nous interrogerons sur les limites révélées par les tentatives d'écritures d'une langue parfaite, enfin nous terminerons par une interrogation sur la fragmentation du sens.