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Même lorsqu'on maîtrise à la fois les données et leurs structures, il est parfois difficile de prédire quel sera le résultat d'une expérience. Ce problème est particulièrement sensible dans l'utilisation d'un outil de création de folksonomie comme Delicious ou Diigo dont nous avons

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déjà parlé (Exploration du champ sémantique de l'intelligence collective p. 78). Ces outils permettent de choisir à la fois les URLs qui feront partie d'une base d'informations et la description de celles-ci par des mots-clefs (tags). L'expérience montre qu'avec le temps et la multiplication des URLs et des descripteurs, les requêtes sur un simple tag renvoient des informations que même le créateur de la base ne pourra prédire. D'autant plus, si la requête prend en compte le jeu des co-occurrences de tags et des interactions entre les membres d'un réseau social.

Figure 26 : Moteur de visualisation d'une folksonomie

D'un seul tag utilisé par quelques personnes, il est possible de produire un nombre astronomique d’états mettant en relation des tags, des documents et des personnes. Comme en témoigne le moteur de représentation que nous avons développé pour explorer graphiquement une folksonomie25 (présenté ci-dessus : Figure 26 p. 110 et détaillé plus loin : Diagramme de Venn pour la visualisation des co-occurrences de tag p. 151).

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Figure 27: Distribution du nombre de visualisation

En partant de l'hypothèse que chaque visualisation est une réponse graphique à un questionnement, on peut calculer le nombre de réponses que le moteur peut fournir en additionnant les paramètres de représentation. Ceux-ci sont distribués sur quatre échelles : nombre d'utilisateurs ayant utilisé le tag, nombre de co-occurrences du tag, nombre de liaisons entre ce tag et les autres et nombre de documents liés au tag. A chaque choix d'un des paramètres dans une échelle, la visualisation change ainsi que les paramètres des autres échelles. On obtient alors le diagramme précédent26 (Figure 27: Distribution du nombre de visualisation p. 111) qui montre combien les capacités de calcul des outils informatiques créent des potentialités qui dépassent largement les possibilités humaines, puisque même en ne passant qu’une seconde à observer une visualisation, il nous faudrait plus de 100 milliards de secondes pour les regarder toutes, soit plus de 3000 ans !

Dans cet exemple, l'outil d'annotation n'est plus uniquement un moyen de retrouver a posteriori une URL par les tags qui la décrivent, mais plutôt un moyen de définir des structurations d'informations pour obtenir une potentialité documentaire représentée par une

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liste d'URL. En ce sens, les outils de folksonomie sont des outils de cartographie de l'information permettant à la fois de construire et d'explorer un potentiel d'interrogation, ils sont en ce sens des « appareils de capture sémantique » (ACS). En fait, ce qui est en jeu, dans leur utilisation, c'est notre capacité à gérer ici et maintenant l'actualisation d'un potentiel de connaissances par l'intermédiaire de nos questions, requêtes et interrogations. Or nous avons montré qu'il est humainement impossible d'analyser de façon exhaustive l'ensemble des actualisations possibles. Toutefois, les choix que nous faisons pour sélectionner, annoter ou conserver l'information qui nous est proposée peuvent servir à construire un point de vue qui nous sera propre et que nous serons donc plus aptes à maîtriser. Ces choix que nous faisons face à ces actualisations, pourront aussi être confrontés à d'autres points de vue dans la mesure où ils respectent un formalisme commun. Il faut dès lors s'interroger sur les moyens de modéliser ces points de vue et leurs interactions avec les écosystèmes d'informations. Ensuite, il faudra concevoir les interfaces graphiques qui auront pour rôle :

« de rendre visible les structures essentielles sous-jacentes et les restituer dans une configuration de sens à géométrie aussi variable que celle de la nature dynamique de l'information ou que celle des profils amenés à interagir. En les rendant visibles elles amplifient la signification et les inférences indispensables à chaque usager pour tisser et extraire ses propres et vitales configurations d'informations. » (Chauvin, 2005, p. 63)

Nous l'avons dit, il existe une infinité de formes graphiques pouvant être générées à partir des données brutes issues des folksonomies. Face à la potentialité absolue de ce triptyque informationnel : signe (signifiant-visualisation), être (interprétant-sens) et chose (référent- données brutes) ; il convient de définir des règles de cohérence qui vont créer les conditions de mise en relation entre les données brutes et de visualisation et permettre à l'utilisateur de donner du sens à ce qui ne serait qu'un chaos sémantique.

Ces règles de cohérences sont par exemple celles que propose MCR et que nous allons mettre en pratique dans cette étude sur les folksonomies. Cette méthode se compose basiquement de trois phases qui se résument ainsi :

« 1) La première phase est la génération, par un fonctionnement-conscience, de "l’entité- objet", c’est-à-dire la capture de fragments de substance purement factuels, encore a- conceptuels, obtenus par une découpe volontaire dans la densité du réel, et qui par la suite sont traités comme une matière première pour des sémantisations progressives.

2) Emergent ensuite des aspects, ou dimensions de qualification, au travers desquels s’élaborent des vues-aspect de l’entité-objet.

3) Alors, une grille de qualification qui consiste en un nombre arbitrairement grand, mais fini, de vues-aspect, est dénommée un regard ou une vue, qui définit une représentation (parmi une infinité de possibles) de l’entité-objet dans le volume du conceptualisé » (Leleu-Merviel, 2010 p. 6)

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Dans l'exemple que nous traitons à savoir la catégorisation de pages Web avec des tags par un collectif d’utilisateurs, la méthode se décompose ainsi :

• la première phase correspond au choix par un utilisateur (fonctionnement- conscience) d'une page (entité-objet) dans l'ensemble du Web (densité du réel) qui a pour conséquence de générer une URL,

• la deuxième étape consiste en la qualification ou l'étiquetage de cette page Web par un tag (aspect) ce qui crée une perspective particulière (vues-aspect) de cette page par rapport à ce tag,

• la troisième phase correspond à la multiplication des relations entre la page Web et les différents tags qui forment une grille de qualification qui pourra elle même devenir une entité-objet à part entière sur laquelle le processus de description pourra être appliqué.

Le moteur de visualisation que nous avons présenté (Figure 26 : Moteur de visualisation d'une folksonomie p. 110), illustre parfaitement cette succession de phases puisqu’il utilise les grilles de qualification construites à partir d’une première description des données brutes, pour produire de nouvelles entités-objets sous la forme de visualisations qu'un utilisateur pourra qualifier par de nouveaux tags qui serviront de données brutes pour de nouvelles grilles de qualifications et ainsi de suite, sans perdre la cohérence globale du processus.

Ainsi, itération après itération, un tissage des connaissances se met en place par des boucles de rétroactions dont la structure élémentaire toujours identique permet de conserver la cohérence du développement tout en permettant un accroissement de la complexité. Toutefois, pour que le système puisse fonctionner pleinement, MCR doit respecter un postulat méthodologique important, celui d'une relation « un-a-un » entre une opération de génération d'entité-objet et ce qui est étiqueté. En d'autres termes, la relation qui existe entre la page Web et le tag doit pouvoir se décrire de façon unique « comme dans le cas d'une écriture algébrique » (Mugur-Schächter, 2006, p. 63). Or c'est justement ce que propose le langage IEML que nous allons présenter maintenant comme :

« une solution qui peuple un tranchant de l'espace des conceptualisations, une arête entre l'impossibilité de construire et l'impossibilité d'éviter un réalisme naïf, sur laquelle on doit impérativement se maintenir sans glisser ni d'un coté ni de l'autre. » (Mugur-Schächter, 2006, p. 64)

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