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Le Groupe de Recherche sur la Culture et la Didactique de l'Information (GRCDI) a récemment édité un rapport qui présente un état des lieux de la réflexion de ce groupe sur la culture informationnelle et la didactique de l'information (Serres & al., 2010). Dans ce rapport, on trouve notamment les travaux de Pascal Duplessis (http://goo.gl/reA74) sur la définition des enjeux de l'éducation à l'information et les objectifs pédagogiques qui leur sont liés (Figure 28 : Enjeux de l'éducation à l'information et objectifs pédagogiques p. 115). Ce tableau très détaillé montre à quel point l'éducation à l'information fait partie aujourd'hui des briques fondamentales de l'enseignement comme en témoignent les douze propositions du GRCDI pour l'élaboration d'un « curiculum info documentaire » et plus particulièrement la quatrième proposition :

« Intégrer l’éducation aux médias, l’enseignement info-documentaire et la maîtrise des TIC dans le cadre d'une culture informationnelle globale » (Serres & al., 2010)

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Figure 28 : Enjeux de l'éducation à l'information et objectifs pédagogiques

Le programme IEML se place directement dans cette perspective en tentant de relever les trois grands défis de l'intelligence collective liés à cette maîtrise de l'information et visant l'augmentation de la connaissance humaine individuelle et collective :

« celui de la modélisation scientifique de la cognition symbolique, celui d'un perfectionnement de la production collaborative de connaissance à partir des données du Web et finalement celui d'une augmentation des capacités personnelles autonomes d'organiser ses apprentissages et de naviguer dans les flux d'information. » (Lévy, 2011, p. 51)

Vu la quantité toujours grandissante d'informations et le niveau de complexité qu'elles atteignent notamment à cause de leurs interconnexions, les outils de gestion symbolique de l'information que l'humanité a mis en place ne sont plus suffisamment efficace. Comme nous l'avons montré précédemment avec l'exemple des langages symboliques utilisés dans les bibliothèques (Expérimentation des langages symbolique dans les bibliothèques p. 44), ceux- ci ne sont pas adaptés à des ressources documentaires qui évoluent constamment et qui ne sont pas uniquement composées de texte mais aussi de sons, d'images, de films. De plus, les langages symboliques des bibliothèques ne prennent pas en compte la multiplication des points de vue comme c’est le cas des folksonomies. Enfin, les chaînes symboliques qui sont

Samuel Szoniecky Université Paris VIII - Saint-Denis 2009 - 2012

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utilisées pour organiser la connaissance dans les bibliothèques ne sont pas ni interopérables ni calculables, ce qui est un des enjeux majeurs du programme de recherche IEML.

A cet enjeu de calculabilité, s'ajoute celui de la responsabilité scientifique dans l'élaboration de ces nouvelles technologies symboliques. Comme le remarque Olivier Le Deuff dans son article sur l'éventualité d'une science de l'intelligence collective, il ne faut sans doute pas attendre que seules les entreprises marchandes développent ces technologies sous peine de n'avoir à disposition que des outils dont on ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants comme c'est déjà le cas avec les moteurs de recherche :

« Le web et l’Internet mérite bien une analyse plus ambitieuse, en effet sans quoi les sphères marchandes ne tarderont pas à y imposer également leurs manières de voir vers une économie de la déformation. Le projet de P. Lévy est donc celui aussi de mettre un peu d’autorité scientifique face à la montée en puissance des mécanismes de popularité » (goo.gl/tLtMO)

Car ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est bien la recherche d'une convergence de la modélisation scientifique et de l'organisation individuelle des connaissances, pour parvenir à la production collaborative de connaissances. Enjeu que Pierre Lévy n'est pas le seul à défendre puisqu'il y a déjà plus de 10 ans, Yves Jeanneret exprimait cette nécessité d'un travail méthodique sans doute ingrat mais producteur de connaissance :

« On ne peut pas se contenter de regarder de loin les controverses, de parler plus ou moins métaphoriquement de médiation, de convention ou de traduction, il faut aller y regarder de près : vers les objets, les pratiques documentaires, les acteurs, et - j'insiste particulièrement sur ce point - les formes d'expression. Cet examen n'est pas un aspect marginal, ou secondaire, ou externe, de l'analyse culturelle, mais un moment primordial. Ce type de travail, méthodique et assez ingrat dans son principe, produit des connaissances. » (http://goo.gl/RN4V2)

Nous devons aux travaux d'Edgar Morin d'avoir mis à disposition, avec sa Méthode, des cadres fertiles pour la pensée. Mais aujourd'hui nous devons sans doute aller plus loin pour aboutir à une compréhension profonde de phénomènes sociaux en donnant aux recherches en sciences humaines des outils plus efficaces pour exprimer précisément des concepts et ainsi calculer :

« les lois de transformations qui régissent la transmutation des différentes espèces de capital symbolique » (Bourdieu, 2001, p. 210)

Le projet d'élaborer un programme scientifique pour l'intelligence collective va pleinement dans ce sens. Il projette la réalisation d'un « hypercortex » ayant pour vocation d'utiliser les ressources numériques de stockage et de calcul que fournissent les écosystèmes d'information afin de créer un miroir de l'activité symbolique permettant de l'observer scientifiquement. Projet dont Pierre Lévy résume ainsi les ambitions :

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entre langues, classifications, ontologies et plate-formes commerciales, un hypertexte dont les nœuds ne sont en fin de compte que des adresses physiques. Si nous voulons utiliser le Web pour coordonner nos intelligences collectives et partager nos mémoire culturelles à une nouvelle échelles ; si nous voulons nous représenter plus clairement qu'aujourd'hui les opérations de nos processus de cognition sociale, repérer les zones aveugles de nos savoirs et augmenter nos capacités de questionnement critiques ; si nous voulons avancer vers une meilleure intercompréhension culturelle et cultiver l'efficacité de nos conversations créatrices ; si nous voulons enfin démultiplier nos capacités de construire et d'interpréter les récits à support numérique en utilisant la puissance de calcul disponible, alors il nous faut compléter le médium numérique par une nouvelle couche d'adressage et de calcul sémantique. » (Lévy, 2011, p. 324)

De nombreuses initiatives vont déjà dans ce sens notamment pour aider les coopérations multidisciplinaires nationales et internationales à créer des plates-formes structurées de stockage de données et de documents. On pense notamment aux initiatives autour de l'Open Archive Initiave (OAI http://goo.gl/3yFGc), à tous les travaux du W3C pour développer les « linked data » (http://goo.gl/RW80K), ceux autour de Dbpedia (http://goo.gl/XXPw6) ou encore la mise à disposition de macro thésauri gouvernementaux (Hudon, 2005). Toutefois, ces initiatives proposent des formats de données interopérables mais ne s'affranchissent pas des notations avec des caractères alphabétiques issus du langage naturel (souvent l'anglais) qui entraîne l'inconvénient majeur de rester « sémantiquement opaque par construction » (Lévy, 2011, p. 228 et 321).

En effet, ces suites de caractères peuvent toujours être comparées ou liées avec d'autres chaînes de caractères, ce qui a pour conséquence de faire tomber le traitement sémantique ; soit dans la tautologie où le concept est décrit par une chaîne de caractères qui décrit le concept ; soit dans une boucle sans fin où le concept est décrit par une chaîne de caractères, elle-même décrite par une autre chaîne de caractères et ainsi de suite. D'où la nécessité de trouver un langage qui s'affranchisse de ces problèmes pour construire la sphère sémantique nécessaire au projet d'observation scientifique de l'intelligence collective dans le sens où :

« Le rapport entre la sphère sémantique et l'Hypercortex se présente donc comme une relation entre un instrument scientifique d'observation (l'hypercortex) et le système de projection qui l'organise (la sphère sémantique) » (Ibid. , p. 205)