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Pour le dernier point de ce chapitre nous résumerons la définition du symbole que nous avons construite en empruntant à Jean Lassègue la notion de forme symbolique qu'il définit ainsi :

« j'ai retravaillé la notion de "forme symbolique", emprunté à Cassirer, dans une direction à la fois sociale et pratique en partant de l'idée que toute situation perceptive est perçue comme champ dans lequel se mêlent inextricablement la strate morphologique à celle de l'institution du sens, dans toutes ses facettes. » (Lassègue, 2010, p. 5)

Dès les premiers pas dans l'exploration des définitions du symbole, on voit que deux thèmes apparaissent, à savoir, celui de la dimension sociale et celui de l'interaction entre une matière qui prend forme et une expression de sens. Notons que notre hypothèse de placer le social et plus encore l'individu au cœur de la relation entre ces deux pôles, nous permet de

Samuel Szoniecky Université Paris VIII - Saint-Denis 2009 - 2012

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comprendre en quoi les relations entre formes et sens sont inextricables. En effet, comment expliquer pourquoi l'individu donne un sens à une forme alors qu'il est extrêmement difficile de répondre à cette question pour soi-même ?

Face à ce champ dans lequel se mêlent inextricablement les deux pôles du symbole, on pourrait dire, à la manière de Leibniz, que ce champ constitue un « tissu de l'âme » ou pour prendre un vocabulaire plus imagé, comparer ce champ d’interaction à un « Nœud Gordien », c'est-à-dire un nœud qui n'ayant ni début, ni fin, est extrêmement complexe voir impossible à dénouer. Sauf à suivre l'exemple mythique d'Alexandre le Grand qui nous a appris que plutôt que dénouer, il fallait mieux trancher. A travers cette légende, le Nœud Gordien permet d'expliquer comment dépasser une des limites du symbole en ne cherchant pas à dénouer l'inextricable et par là-même tomber dans un abîme indéfini, mais au contraire à trancher en dehors de toute considération logique par le vide à l'intérieur du vide comme nous le propose les philosophes baroques, Turing ou comme le fait le boucher de Tchouang Tseu (http://goo.gl/67F16, Baudrillard, 1976, p. 187).

Ainsi, sans remettre en cause l'utilité et l'efficacité de l'analyse formelle, gardons toujours à l'esprit qu'en dernière instance pour avancer, il faudra trancher, il faudra agir. Lassègue insiste d'ailleurs sur ce point :

« C'est en rapport à la notion d'activité que se comprend la nature de la forme symbolique : une activité est symbolique quand elle élabore sa propre norme régissant son effectuation et qu'elle développe des marques spécifiques de sa reconnaissance par les acteurs qui se trouvent, de ce fait, institué dans des rôles. » (Lassègue, 2010, p. 5)

Tout comme Alexandre le Grand qui sut ne pas subir les commandements de l'oracle attaché au Nœud Gordien qui avait permis jusque là d'empêcher quiconque de le dénouer, prenons la mesure du symbole dans une pratique de celui-ci en confrontant notre humanité à une forme que Lassègue définit ainsi :

« on entend par forme ce qui est susceptible d’être formalisé par le biais de symboles univoques, déployant, au moyen d’une grammaire explicite, une générativité propre, indexable sur le calcul et permettant l’élaboration de modèles dont l’adéquation avec la réalité empirique peut faire l’objet d’une estimation via des protocoles expérimentaux. » (Lassègue, 2010, p. 7)

Le symbole possède l'immense avantage de permettre la génération de nouveaux symboles au fur et à mesure que s'empilent les couches de complexités qui naissent de ces interactions et qui entraînent la constitution de pratiques sociales qui en retour conditionnent le

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comportement des individus :

« On doit alors concevoir les formes symboliques comme les formes médiatrices stabilisées qui émergent des foyers d’activités collectives et qui contraignent en retour les protagonistes humains, conçus comme des agents cognitifs d’emblée en interaction. » (Lassègue, 2010, p. 24)

En bref, le symbole permet par un contrat social de définir une forme concrète en correspondance avec une idée abstraite, et par là-même les conditions d'émergence de nouvelles pratiques s'appuyant sur ces formes pour passer d'autres contrats générant de nouvelles formes.

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Chapitre 2.

« Il faut que les similitudes enfouies soient signalées à la surface des choses ; il est besoin d'une marque visible des analogies invisibles. [...] Elle [la marque] serait donc sans critère, s'il n'y avait en elle - ou au-dessus ou à côté - un élément de décision qui transforme son scintillement douteux en claire certitude. »

Michel Foucault

Les langages symboliques ont pour objectif premier de représenter des connaissances et de définir les règles qui permettront de les manipuler. Pour élaborer ces systèmes de représentation, les langages symboliques spécifient des conventions et de règles selon un processus que Gilbert Paquette définit en plusieurs étapes : «

La définition d'un lexique, soit l'ensemble des symboles de base qui seront utilisés dans la représentation. [...]

La définition d'une grammaire décrivant l'ensemble des expressions acceptables, obtenue en combinant les symboles de base du lexique. [...]

La définition d'une sémantique, soit une méthode pour donner un sens aux expressions de la grammaire, ce qui revient à associer celles-ci à une représentation mentale intelligible, et, inversement, une méthode pour associer une ou plusieurs expressions de la grammaire à des connaissances faisant partie du modèle mental de la personne qui s'exprime à l'aide du langage. » (Paquette, 2002, p. 15)

On remarquera que dans cette description, les deux premières étapes correspondent aux processus de définition d'un langage formel (Jussien, 2006, p. 116 ; Bachimont, 2007, p. 32) ou d'un « système notationnel » (Goodman & Morizot, 1990, p. 191). En revanche, la dernière étape conduit vers une problématique toute autre, celle de la sémantique. En effet, comment peut-on définir cette sémantique qui permettra d'associer un des items du langage formel à une représentation mentale ?

Comme nous l'avons vu dans le précédent chapitre, l'efficacité des langages symboliques réside justement dans leurs capacités à s'abstraire de toute dimension sémantique pour ne

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privilégier que l'aspect formel du langage. Toutefois, cette dimension sémantique ne peut être négligée, elle est même fondamentale dans un système de représentation des connaissances comme le remarque avec insistance Jacques Bertin dans son ouvrage de référence sur la sémiologie graphique :

« ... il ne suffit pas d'avoir "passé ses données à l'ordinateur" pour avoir fait œuvre scientifique. Ils [les mathématiciens] découvrent et écrivent que les étapes les plus importantes ne sont pas celles qui sont automatisables mais bien celles qui précédent et celles qui suivent les traitements automatiques. » (Bertin, 1999, p. VII)

La représentation des connaissances avec un langage symbolique se heurte à cette difficulté de la traduction d'un langage formel dans une représentation mentale intelligible. Pour répondre à cette difficulté de nombreuses tentatives d'écritures philosophiques (Rabouin, 2010, p. 55) ou de langues parfaites (Eco, 1994) ont vu le jour avec pour visée principale de transformer la langue naturelle ambiguë et imprécise en langue artificielle univoque et précise (Bachimont, 2007, p. 111 ; Wittgenstein, 2001, p. 46). Parmi ces pasigraphies, celles mise en place dans les bibliothèques sont particulièrement intéressantes pour affiner notre analyse de l'utilisation des langages symboliques.

Au cours de ce chapitre nous aborderons des exemples de mise en pratique des symboles. Nous montrerons comment des langages symboliques ont vu le jour pour répondre à des problématiques d'organisation de la connaissance, de définition d'un langage scientifique et de construction d'un réseau du partage d'information. Enfin, nous aborderons la notion d'écosystème d'information pour montrer comment les langages symboliques évoluent aujourd'hui vers des univers informationnels dans lesquels les symboles sont des existences autonomes.

1.

L'organisation commune des connaissances dans les