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Potentiel cognitif et facteurs environnementaux

4. Vieillissement et effet Stroop: soubassements cérébraux 1 Plasticité cérébrale et potentiel cognitif

4.2 Potentiel cognitif et facteurs environnementaux

Des études ont mis en évidence l’influence possible de différents types de facteurs environnementaux sur les performances cognitives (Baltes & Kliegl, 1992; Hasher, Tonev, Lustig & Zacks, 2001; Kramer, Bherer, Colcombe, Dong & Greenough, 2004). Des interventions de « laboratoire » ont ainsi été développées dans le but d’avoir une idée plus juste du potentiel cognitif des personnes âgées. Une approche qui a parfois été utilisée en ce domaine, appelée

« testing the limits », s’est centrée sur l’examen de l’étendue de la réserve cognitive (Baltes, 1987; Baltes & Kliegl, 1992; Kliegl, Smith & Baltes, 1989; Lindenberger & Baltes, 1995; voir aussi Grigorenko & Sternberg, 1998; Pascual-Leone & Ijaz, 1989; Vygotsky, 1934/1997)23. Cette approche vise à établir les limites du développement potentiel de la personne ou l’étendue de sa plasticité cognitive. Pour ce faire, les performances sont évaluées dans trois conditions (Baltes, 1987). Dans un premier temps, un niveau de base des performances cognitives est mesuré dans une condition sans intervention spécifique (parfois considérée comme standard). Ensuite la performance est estimée dans des conditions optimales, construites afin de maximiser la motivation et les performances afin d’avoir une idée de l’étendue de la réserve de base, qui se

23 Les moyens utilisés et les buts poursuivis dans l’approche « testing the limit » sont très similaires à ceux de perspectives parallèles telles que le « dynamic testing » (Grigorenko & Sternberg, 1998; voir aussi Pascual-Leone & Ijaz, 1989) ou de « zone proximale de développement » (Vygotsky, 1934/1997).

réfère au potentiel maximal de performances cognitives pouvant être réalisé dans des conditions idéales (Baltes, 1987; Bherer, Kramer, Peterson, Colcombe, Erickson & Becic, 2006). Enfin, le niveau de performance est mesuré après un entraînement réalisé dans les conditions optimales utilisées pour estimer la réserve de base, afin d’évaluer la plasticité cognitive maximale ou le potentiel maximum d’un individu. Cela est appelé réserve développementale. Cette approche a été développée afin d’examiner de manière détaillée le potentiel de l’individu dans des conditions expérimentales « idéalisées » (« idealized ») (Bherer et al., 2006, p. 263). Baltes et collaborateurs supposent que cette approche peut conduire à l’identification du « véritable » (« genuine ») déclin cognitif avec l’âge, plutôt qu’à une surestimation des différences d’âge due à un manque de pratique ou à des conditions de test non optimisées (« non-optimized »). Ils font l’hypothèse que les différences d’âge dans la réserve de base sont mesurées de manière plus précise lorsqu’on est proche de la limite des performances (Lindenberger & Baltes, 1995; Bherer et al., 2006). En effet, l’intérêt de Baltes et collaborateurs (voir Lindenberger & Baltes, 1995) pour le potentiel s’inscrit en particulier en réaction aux nombreuses recherches sur le vieillissement cognitif qui se sont uniquement focalisées sur l’étude du déclin. Or, Baltes et collaborateurs considèrent que ces études ne donnent pas une bonne indication du potentiel cognitif des âgés, car les différences d’âge qui y sont constatées sont en partie le reflet de l’absence d’une « culture positive » (p. 351) envers le vieillissement et de différences de cohorte dans le niveau d’éducation en défaveur des personnes âgées (Lindenberger & Baltes, 1995). Ainsi, l’application d’une procédure « testing the limits » dans le domaine mnésique a permis de montrer que l’entraînement et l’enseignement de certaines stratégies24 permet aux personnes âgées d’améliorer leurs performances (e.g. Baltes & Kliegl, 1992).

Dans l’ensemble, les études du potentiel de ressources cognitives et de la plasticité montrent que l’entraînement permet une amélioration significative des performances mnésiques chez les adultes âgés. La plasticité des âgés reste néanmoins généralement limitée et inférieure à celle des jeunes (e.g. Baltes & Kliegl, 1992). Quelques travaux ont cependant montré un effet plus prononcé de l’entraînement chez les âgés par rapport aux jeunes (voir Bherer et al., 2006; Kramer

& Willis, 2002). Ces études ont pour caractéristique commune de fournir aux participants, de manière complémentaire à l’entraînement, un feed-back sur les performances afin d’encourager le développement de stratégies efficientes. Des recherches ont en particulier appliqué la

24 Une stratégie de mémorisation qui a souvent été enseignée est appelée « méthode des lieux » (Bower, 1970; cité par Lindenberger & Baltes, 1995, p. 352).

procédure d’entraînement « testing the limits » aux capacités attentionnelles en la combinant avec l’utilisation d’un feed-back sur les performances (e.g. Bherer, Kramer, Peterson, Colcombe, Erickson & Becic, 2005; Bherer et al., 2006). Par exemple, Bherer et collaborateurs (2006) trouvent un même effet d’amélioration du temps de réponse dans les deux groupes d’âge en situation de double tâche attentionnelle (c.-à-d. jugement auditif et dénomination visuelle à réaliser de manière simultanée). Ils trouvent un même niveau d’amélioration des performances entre jeunes et âgés dans la vitesse de réponse combinée avec une amélioration de la précision de réponse plus importante pour le groupe des personnes âgées. Fondés sur l’utilisation de feed-back et/ou d’instructions spécifiques, ces travaux (e.g. Bherer et al., 2005; Bherer et al., 2006) montrent ainsi une amélioration en matière de contrôle attentionnel. L’amélioration parfois plus forte des performances des personnes âgées relativement aux jeunes indique ainsi que l’ampleur des différences d’âge sur une tâche de contrôle attentionnel est susceptible de varier selon les conditions de test mises en place.

Pour résumer, l’hypothèse d’un déclin biologique global, de grande ampleur et surtout uniforme, apparaît trop simple. Si la plasticité cérébrale permet certaines compensations fonctionnelles, les différences d’âge au plan cognitif pourraient impliquer des facteurs encore négligés dans la littérature sur le vieillissement cognitif. Ainsi, les variations dans l’ampleur des différences d’âge au test de Stroop, qui ont généralement été justifiées par des caractéristiques des tests utilisés, pourraient être expliquées par des facteurs liés à l’environnement de test.

(Verhaeghen & de Meersman, 1998). Certains chercheurs (Baltes et al., 2006; Baltes & Singer, 2001; voir aussi Hasher & Zacks, 1988) suggèrent dès lors d’adopter un nouveau cadre théorique intégrant pleinement les interactions avec des facteurs environnementaux. Ces facteurs (enseignement de stratégies, feed-back, instruction) permettent d’entrevoir, chez les âgés, l’influence de la situation de test en tant que telle sur la régulation des performances cognitives.

Dans ce cadre, cependant, la situation de test n’est jamais appréhendée dans sa dimension éventuellement sociale. Or, d’autres travaux permettent d’apercevoir cette dimension et son rôle déterminant dans l’expression même des déficits cognitifs attribués par ailleurs au vieillissement biologique (Baltes & Staudinger, 1996; Dannefer, 1984; pour un constat similaire au sujet des recherches sur le développement de l’enfant voir aussi Doise & Mugny, 1997)25. En effet,

25 « En conclusion, les spécialistes du développement des connaissances sociales n’ont pas non plus élaboré des paradigmes et des procédures proposant une articulation satisfaisante entre le cognitif et le social. Ils n’étudient pas le cognitif comme une construction sociale et, de ce point de vue, ils ne se différencient pas de la pratique piagétienne. » (Doise & Mugny, 1997, p. 14).

certains travaux (cf. infra) forcent en particulier à intégrer le rôle des stéréotypes négatifs dont les personnes âgées font l’objet dans nos sociétés occidentales. Comme les travaux évoqués ci-après le suggèrent, ces croyances socialement partagées affaibliraient la performance individuelle, en accentuant et peut-être même en créant de toutes pièces les expressions typiques du vieillissement cognitif.

CHAPITRE 2