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Attitude négative envers les âgés (âgisme)

Vieillissement cognitif et stéréotypes sociaux

1. Vieillissement: stéréotypes sociaux et âgisme 1 Contenu des stéréotypes sociaux

1.2 Attitude négative envers les âgés (âgisme)

Des différences de traitement entre les personnes âgées et les plus jeunes se constatent, par exemple, dans la manière parfois infantilisante de communiquer avec elles (Nelson, 2002).

Un autre exemple est le diagnostic moins fréquent, par les soignants, de certains troubles de santé psychique, tels que la dépression (Bizzini & Rappin, 2007; Nelson, 2002; voir aussi Botwinick, 1970), vus comme un effet « normal » de l’âge. Dès lors, ces stéréotypes négatifs tendent, en définitive, à réduire le vieillissement aux troubles ou maladies qui lui sont parfois associés. On aurait tort de croire que les chercheurs en ce domaine, « produits de la société dans laquelle ils vivent et travaillent» échappent à l’influence des stéréotypes (Schaie, 1993, p. 49; voir aussi Bideaud et al., 1994). Dans ce sens, Schaie (1988a, 1993; voir aussi l’American Psychological Association, 2004) critique la manière d’élaborer certains plans de recherche ou/et la manière de rendre compte des résultats. Il indique que des biais se reflètent, par exemple, dans la manière de décrire la thématique de recherche comme relevant du « problème du vieillissement » (1993, p.

49) et/ou, de manière congruente, dans la formulation d’hypothèses de recherche, biologiquement fondées, qui se centrent exclusivement sur la description d’un pattern de déclin moyen ou la détérioration moyenne53 (pour un exemple détaillé voir notre description de l’étude de Comalli et collaborateurs (1962) dans la partie 2.2 du chapitre 1). Comme nous l’avons mentionné, cela néglige en particulier le rôle de compensation que peut jouer le contexte ainsi que la forte variabilité interindividuelle (voir Neisser et al., 1996; Horn & Cattell, 1967). Dans des directives à propos de la pratique psychologique avec les âgés, l’American Psychological Association (2004) incite dans ce sens les chercheurs à une prise de conscience du rôle de leurs croyances et attitudes envers le vieillissement en situation de test54, car elles peuvent devenir des

« prophéties autoréalisantes » (American Psychological Association, 2004, p. 239). En effet, comme le montrent les nombreuses recherches sur l’effet de « biais d’expérimentateur » (Rosenthal & Fode, 1963; cités par Rosenthal, 2002; voir aussi Wilkinson et al., 1999), les

53 La perspective unidimensionnelle insistant sur le déclin n’est pas nouvelle. Dans les années 70, certains ont critiqué cette vision problématique du fait de sa trop grande homogénéité, calquée sur l’idée d’un âge moyen déclinant de manière uniforme, d’un

« mythe du déclin universel » (Schaie & Baltes, 1977). Par cette idée de « mythe », entendu par eux comme « une croyance ou un ensemble de croyances dont la réalité est acceptée de manière non critique », Schaie et Baltes (1977) reprochent le manque de nuance dans la vision du vieillissement chez « l’homme de la rue mais également les professionnels » qui voient que beaucoup ou une grande partie du développement de l’intelligence à l’âge adulte et chez l’adulte âgé est en déclin. Ils signalent que cette

« vision stéréotypée est un mythe […] qui dans son aspect universel ne trouve pas de support dans des données empiriques » (Schaie & Baltes, 1977).

54 « Guideline 2. Psychologists are encouraged to recognize how their attitudes and beliefs about aging and about older individuals may be relevant to their assessment and treatment of older adults, and to seek consultation or further education about these issues when indicated » (American Psychological Association, 2004, p. 239).

hypothèses des chercheurs influencent leur récolte de données et peuvent conduire à une vérification « artificielle » de leurs hypothèses. Bideaud et collaborateurs (1993) soulignent également l’importance de cette problématique dans l’étude du vieillissement et indiquent: « Le premier travail d’une recherche sur le vieillissement consiste à tenter de se départir des préjugés, des contre-attitudes, qu’ils soient personnels, culturels ou théoriques » (p. 145).

Les différents exemples que nous venons de mentionner illustrent le fait que les adultes âgés sont souvent traités d’une manière cohérente avec les stéréotypes négatifs véhiculés sur eux.

Il paraît dès lors difficile de nier la réalité de comportements parfois discriminatoires envers les personnes âgées. Cette forme de discrimination n’a cependant fait l’objet que d’un nombre limité d’études comparé à celles liées à la race et au genre (Nelson 2002, 2005). Comment expliquer cette différence alors que certains considèrent que les comportements négatifs envers les personnes âgées sont assimilables à ceux envers les femmes ou les Noirs (cf. Nelson, 2002, 2005) ? Cela peut se comprendre par le caractère « atypique » de l’attitude discriminatoire liée à l’âge. Premièrement, de nombreux auteurs soulignent l’acceptation sociale dont ces manifestations font l’objet. Cette forme de discrimination se distingue ainsi de celles du racisme et du sexisme (Nelson, 2002, 2005; Levy & Banaji, 2002). Deuxièmement, dans leur méta-analyse, Kite et collaborateurs (Kite & Johnson, 1988; Kite et al., 2005) notent que l’attitude envers le vieillissement varie selon le contenu (ou domaine) évalué. Ainsi, l’attitude est la plus négative lorsque les compétences, notamment cognitives, sont mesurées mais l’est en revanche moins en ce qui concerne les variables de personnalité (Kite & Johnson, 1988; voir aussi Kite et al., 2005). Les personnes âgées ne font ainsi pas l’objet d’une évaluation globalement négative.

On rejoindra à ce propos la position de Hess (2006) qui considère, dans sa revue de la question, que les cas extrêmes de ces comportements peuvent être perçus, de manière cohérente, comme relevant de l’« âgisme » (Hess, 2006).

En définitive, cette attitude négative des plus jeunes envers les membres les plus âgés de nos sociétés est souvent vue comme le reflet d’un phénomène identitaire classique de

« favoritisme intragroupe » (cf. par exemple Tajfel, 1982) qui renvoie à un souci de valorisation de soi (ou de son groupe) allant de pair avec une tendance à la dépréciation de l’« exogroupe » perçu au travers du prisme des stéréotypes négatifs (Allport, 1954; Tajfel, 1982). Plusieurs origines ont été mentionnées à propos de ce regard négatif porté sur les membres les plus âgés de notre société, qui représentent pourtant un futur probable pour les jeunes adultes. Deux approches

ont reçu une attention particulière (voir Nelson, 2002, 2005). Tout d’abord, dans la continuité des études de Tajfel sur l’identité sociale, Fiske (1998) lie l’organisation du contenu des différents traits caractérisant le contenu des stéréotypes à une logique de rapports sociaux. Le modèle développé, appelé « stereotype content model » (Fiske, Cuddy, Glick & Xu, 2002; voir aussi Tajfel, 1982), suggère que la perception de la relation sociale structurelle avec les autres groupes sociaux prédit où un groupe va être situé dans la « carte » (c.-à-d. sa nature et son contenu) des stéréotypes (Nelson, 2005).

Ainsi, le stéréotype de l’âgé chaleureux mais incompétent est en grande partie le reflet de la structure des rapports sociaux entre groupes d’âge (Cuddy & Fiske, 2002). Il peut, par exemple, motiver la mise à l’écart du monde du travail d’une personne âgée du fait de son incompétence supposée et justifier ainsi une inégalité de traitement fondée sur l’âge. Dès lors, les aspects négatifs des stéréotypes d’âge peuvent servir à se distancier du groupe cible, mais aussi à justifier la domination sociale des personnes d’âge moyen et des jeunes dans la société55 (Cuddy

& Fiske, 2002; voir aussi Schaie, 1974). De manière complémentaire, la « Terror Management Theory » (Greenberg, Schimel & Martens, 2002; Martens, Goldenberg & Greenberg, 2005), appliquée aux âgés, offre un regard plus centré sur la composante émotionnelle de notre attitude envers le vieillissement. Différentes « menaces » identitaires liées au vieillissement ont ainsi été identifiées par Martens et collaborateurs (2005). On insistera en particulier sur le fait que l’inévitable anxiété de la mort qui lui est associée peut contribuer à expliquer le rapport au vieillissement (Martens et al., 2005). Dès lors, on comprend que l’âgisme puisse être pour les jeunes, mais également pour les âgés, un mécanisme de distanciation vis-à-vis de sa mort et de déni de la réalité de son vieillissement. Ainsi, les stéréotypes peuvent servir à une fonction de protection de l’identité (voir Snyder & Miene, 1994; cités par Fiske, 1998). Enfin, à un niveau individuel, les stéréotypes sur les personnes âgées, à l’instar de ceux sur les femmes ou les Noirs, ont une fonction d’économie cognitive en permettant le regroupement de l’information sur un groupe social (cf. Fiske, 1998). Ces raisons ont été traditionnellement utilisées pour expliquer l’attitude des jeunes. Mais cette attitude négative est-elle uniquement partagée par les membres les plus jeunes de notre société ? Ceux-ci sont-ils dans une même tentative de valorisation de leur

55 On notera à ce propos les positions très tranchées de Schaie: « There may well be a conspiracy on the part of the middle aged to remove the old from active participation in society […] it is quite true that in a primitive society cumulative trauma will lead to loss of energy level and functions with increasing age, such that old age and increasing pathology, and therefore deficits, are virtually synonymous. But this relationship has in the main been broken, and we can assume that in our present highly automated society, age differences intellectual performance, while statistically significant, may in absolute magnitude be so small as to have virtually no social consequences » (Schaie, 1973; cité par Schaie, 1974, p. 3).

catégorie d’appartenance ? C’est à ces questions que nous allons maintenant nous intéresser.