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Paradigme d’« amorçage » de Levy et collaborateurs

Vieillissement cognitif et stéréotypes sociaux

2. Effet des stéréotypes sociaux sur les performances intellectuelles des âgés

2.1. Paradigme d’« amorçage » de Levy et collaborateurs

Levy et collaborateurs (cf. en particulier Levy, 2003) ont été les premiers à examiner la question de l’influence des stéréotypes sociaux sur les comportements des personnes âgées. Leur programme de recherches est poursuivi selon des méthodologies variées: interculturelles, expérimentales et longitudinales (Levy, 2003). Leurs études montrent que des domaines aussi variés que la mémoire (Levy, 1996; Levy & Langer, 1994), la santé (Levy, Slade & Kasla, 2002), l’écriture (Levy, 2000), le rythme cardiovasculaire (Levy, Hausdorff, Hencke & Wei, 2000) et la vitesse de marche (Hausdorff, Levy & Wei, 1999) peuvent être influencés par les stéréotypes sociaux négatifs.

L’examen du domaine cognitif, et en particulier de la mémoire, occupe dans ce cadre une place prépondérante. Dans une première étude interculturelle à ce sujet, Levy et Langer (1994) ont mis en évidence un effet important de l’environnement culturel sur les performances mnésiques. Leur recherche indiquait une capacité mnésique mieux préservée chez les âgés de culture asiatique, chez qui les stéréotypes en question sont globalement positifs, que chez les âgés nord-américains pour lesquels le côté sombre du vieillissement l’emporte largement. De manière plus surprenante, le niveau de performance des premiers était similaire à celui des jeunes de même culture. Une réplication plus récente de Yoon, Hasher, Feinberg, Rahhal et Winocur (2000) confirme pour l’essentiel l’impact de l’appartenance culturelle sur la tonalité évaluative des stéréotypes du vieillissement. Cette réplication met toutefois en évidence d’importantes différences dans les effets constatés en fonction du type de tâches de mémoire utilisées (Yoon et

al., 2000). En effet, l’égalité de performance entre jeunes et âgés de culture asiatique n’est retrouvée que pour deux des quatre tâches utilisées (mémoire pour des dessins abstraits). Au total, les résultats de ces études interculturelles, en contradiction avec la vision dominante d’un déclin biologiquement fondé, soulignent l’importance de l’influence sociocontextuelle sur la mémorisation. Ces travaux suggèrent que la détérioration des performances peut être, au moins en partie, le résultat de l’influence des stéréotypes sociaux plutôt que d’un déclin biologique inévitable (Levy, 2003). Ces résultats ne permettent cependant pas de déterminer la nature exacte du rôle joué par les stéréotypes. On peut en effet se questionner sur le sens des effets constatés.

Les stéréotypes sociaux négatifs influencent-ils directement la mémoire ? Ou est-ce en revanche les meilleures performances en mémoire des personnes âgées, dans certaines cultures, qui influencent la représentation de ce groupe d’âge ? Une combinaison de ces deux effets est également envisageable. Afin de pouvoir distinguer les différentes explications possibles, Levy et collaborateurs ont réalisé des études de laboratoire dans le cadre d’un paradigme expérimental original reposant sur l’amorçage subliminal de stéréotypes.

Dans la première étude expérimentale à ce propos, Levy (1996) soumettait une centaine de participants âgés de 60 à 90 ans à cinq tests de mémoire explicite60 réputés sensibles aux effets du vieillissement. Cette série de tests était exécutée deux fois, soit avant et après que les participants aient été exposés à l’amorçage subliminal de traits positifs (e.g. sage, prudent) ou négatifs (e.g. malade, décrépit) liés au vieillissement. Dans chacune des conditions, la procédure d’amorçage des stéréotypes était similaire (pour les origines de la procédure voir Bargh et Pietromonaco, 1982; Devine, 1989). Les mots négatifs (vs positifs) étaient présentés, de manière informatisée, dans 5 blocs de 20 items. Chacun des mots apparaissait à l’écran pendant environ 55 ms. Tandis que la performance après amorçage augmentait généralement en condition de traits positifs, elle diminuait en condition de traits négatifs, donnant lieu à une interaction (c.-à-d.

avant/après amorçage x valence des traits amorcés) statistiquement significative pour quatre des cinq tests de mémoire et pour l’ensemble de l’échantillon. Dans une seconde étude, identique à la première mais conduite auprès de jeunes adultes (âgés de 18 à 35 ans), aucune de ces interactions n’était significative. Cependant, comme le notent Yoon et collaborateurs, dans toutes ces études, dont celle de Levy (1996), les conditions de test associées à des stéréotypes positifs

60 Les mesures consistaient en une version modifiée du test 7/24 (voir Lezak, 1983; cité par Levy, 1996) qui mesure la mémoire visuo-spatiale et comporte trois parties dont une de rappel immédiat, une de rappel avec apprentissage et une de rappel différé. Un test de rappel d’association entre la photo du visage d’une personne et de l’activité qui lui est associée. Ainsi qu’une tâche de rappel auditif reprise de Hertzog, Dixon et Hultsch (1990).

n’empêchaient pas les participants âgés de se montrer inférieurs aux plus jeunes; ce qui a priori invalide l’hypothèse d’une causalité d’ordre essentiellement culturel s’agissant des différences jeunes-âgés.

Dans l’ensemble des études de Levy et collaborateurs, on retiendra que les activations implicites influençaient non seulement la performance des âgés, mais aussi, et de manière congruente avec la valence des traits amorcés, leur sentiment d’efficacité mnésique et leur perception du vieillissement en général (cf. Hess et al., 2004; Stein, Blanchard-Fields & Hertzog, 2002, pour des réplications au moins partielles). Mais comment ces résultats ont-ils été interprétés ?

Dans les explications données de leurs résultats par Levy et collaborateurs, l’identité de groupe va avoir un rôle central. On notera dans ce sens que le groupe d’âge de la cible est lié à des patterns de résultats différents entre jeunes et âgés. Les effets obtenus sur les performances (détérioration ou amélioration) n’étaient, en effet, pas attendus pour le groupe contrôle de jeunes dont les performances ne subissaient que peu de variations. L’implication identitaire des stéréotypes est donc à l’origine de la différence de réponse comportementale entre groupes qui est expliquée par la différence de niveau de sensibilité (en lien avec l’intériorisation des stéréotypes) des individus aux stimuli présentés de manière « subtile ». Plus spécifiquement, Levy (2003), qui reprend une hypothèse de Shih, Ambady, Richeson, Fujita et Gray (2002), postule que les cibles des stéréotypes, pour qui les stimuli amorcés sont applicables self-relevant »), sont plus sensibles à ces stimuli et montrent « un seuil d’activation plus bas » (p.

207) pour ces stimuli que des personnes qui n’en sont pas la cible. Les explications données posent cependant problème. Elles permettent en effet difficilement de comprendre les effets de détérioration des performances des jeunes mis en évidence dans une recherche très influente de Bargh, Chen et Burrows (1996). Ces chercheurs ont amorcé des stéréotypes négatifs liés au vieillissement de manière « supraliminale », à l’aide du Scrambled Sentence Test61 (Srull &

Wyer, 1979) avec une population de jeunes adultes. Ils ont constaté que l’activation de stéréotypes négatifs ralentissait la vitesse de marche de leurs participants, conduisant ainsi à un effet d’assimilation au stéréotype similaire aux personnes âgées. A l’inverse des travaux de Levy et collaborateurs, le fait d’appartenir au groupe visé par le stéréotype ne semble pas ici jouer un

61 Dans cette procédure de présentation « supraliminale », les participants doivent former des phrases qui leur sont présentées dans le désordre. Cette procédure d’amorçage a été classiquement utilisée dans la littérature (Srull & Wyer, 1979). Cependant, contrairement à la procédure de présentation « subliminale » utilisée par Levy (1996), le participant peut avoir une certaine conscience des mots à traiter.

rôle majeur. Des résultats similaires à ceux trouvés avec une population âgée (pour une réplication des effets avec une population âgée voir Hausdorff et al., 1999), pour laquelle le contenu du stéréotype est pertinent, posent la question de la nature des mécanismes en jeu dans la manifestation d’effets sur les performances. Ces différences de résultats ne manquent pas de faire débat. Dans leur revue de littérature, Wheeler et Petty (2001) constatent ainsi qu’avec des buts similaires, les recherches sur l’impact des stéréotypes sur les groupes cibles (ou stigmatisés) et ceux non stigmatisés ont développé une théorisation de leurs effets sur le comportement

« dramatiquement » différente (Wheeler & Petty, 2001, p. 803). Comment comprendre dès lors le rôle de l’identité de groupe ?

Deux facteurs ont été proposés pour expliquer les différences de résultats entre les études de Bargh et Levy. Premièrement, la nature de la tâche cible choisie (Stein et al., 2002, p. 179; cf.

aussi Hess et al., 2004). Stein et collaborateurs (2002) affirment que l’applicabilité à soi du stéréotype ne va pas jouer de rôle quand le comportement mesuré est peu dépendant d’une composante motivationnelle (e.g. la marche dans l’étude de Bargh). Cependant, lorsque la variable dépendante implique une mesure de la compétence (donc une influence plus forte de la motivation, comme dans l’étude de Levy), la pertinence aura plus d’importance (e.g. une tâche de mémoire) (Stein et al., 2002, p. 179). Deuxièmement, la nature du paradigme d’amorçage utilisé (Shih et al., 2002). En effet, le paradigme de Bargh et collaborateurs (1996) utilisait une présentation des stéréotypes supraliminale alors que celle de Levy (1996) était subliminale. Dès lors, avec une procédure plus « flagrante » (c.-à-d. supraliminale ou plus explicite) de présentation des stéréotypes, des effets différents sont attendus, et cela en particulier pour ce qui est des stéréotypes positifs (cf. Shih et al., 2002). Shih et collaborateurs (2002) indiquent, par exemple, qu’une présentation plus explicite de stéréotypes positifs ne va pas provoquer d’amélioration des performances chez les cibles des stéréotypes.

Malgré leur divergence quant à l’effet constaté pour les groupes de jeunes, Bargh a plus récemment soutenu une position qui s’accorde avec celle de Levy dans l’attente d’effets plus importants des stéréotypes négatifs pour les participants âgés (effet de seuil d’activation) pour lesquels le contenu des stéréotypes est directement pertinent. En effet, dans une revue de la question, Dijksterhuis et Bargh (2001) suggèrent ainsi que les effets comportementaux liés à l’activation des stéréotypes applicables à soi peuvent être plus forts car ils fournissent deux moyens d’activation par un mécanisme commun (le stéréotype activé perceptuellement), à savoir

le stéréotype activé ainsi que l’identité sociale de l’individu. A un niveau méthodologique, on notera enfin que l’absence de groupes de personnes âgées dans la recherche de Bargh et collaborateurs (1996) ou l’absence d’un groupe contrôle de jeunes adultes dans d’autres études (Hausdorff et al., 1999) rend la comparaison entre études délicate. Dès lors, le débat reste assez ouvert et il paraît difficile, à l’heure actuelle, d’intégrer dans une explication d’ensemble les différentes recherches. Nous allons maintenant décrire la seconde ligne de recherche qui s’est intéressée aux effets des stéréotypes négatifs sur les performances cognitives des personnes âgées.

2.2 Paradigme de la « menace du stéréotype » et