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Eveil (« arousal ») et attention sélective

Vieillissement, stéréotypes et effet Stroop

1. Influences sociales sur l’effet Stroop

1.1 Effet Stroop et facilitation sociale

1.1.2 Eveil (« arousal ») et attention sélective

Une théorie classique de Zajonc (1965) suggère que dans certaines situations sociales, dont celle de test, la présence d’autrui peut être une menace du fait qu’il soit une source d’incertitude et nécessite une attention constante. Cela conduit à une élévation du niveau d’éveil (« arousal ») et devrait faciliter l’émission de comportements bien appris (dominant) alors que l’acquisition de nouveaux comportements devrait être altérée. Zajonc (1965) souligne que, lors de l’apprentissage d’une tâche (ou entraînement), la réponse dominante75 (réponse la plus probable) est généralement l’erreur, mais dès que le participant maîtrise la tâche la réponse correcte devient dominante. Cette distinction dans les niveaux d’apprentissage a ainsi été utilisée

75 Dans son article original, Zajonc (1965) ne fait pas de différenciation entres les tâches. Ce constat s’applique cependant aux tâches pour lesquelles le taux d’erreurs est supérieur à 50% (voir Muller, 2002).

pour comprendre les effets de l’éveil (« arousal ») aux différentes étapes de réalisation d’un test mais également sur des tâches de complexité différentes. Ainsi, dans les tâches simples (automatisées), le traitement est facilité alors que dans les tâches plus complexes76 les performances sont détériorées (cf. Bond & Titus, 1983). Dans les années 70, le développement des modèles cognitifs de traitement de l’information a conduit à préciser la nature des mécanismes impliqués en situation de stress. Kahneman (1973) suppose ainsi que le niveau de stress va influencer l’allocation de ressources dans un système cognitif contraint par une capacité de traitement limitée. Kahneman (1973) établit une distinction entre les dimensions traitées en mode automatique et celles qui exigent un traitement contrôlé (« effortful »). Ainsi, le stress consomme alors une partie des ressources nécessaires à un contrôle attentionnel efficace (Keinan, Friedland, Kahneman & Roth, 1999, Keinan, Friedland & Even-Haim, 2000; Wells & Matthews, 1994; cités par Chajut & Algom, 2003), alors que l’activation de dimensions dont l’accès est automatique peut se faire en l’absence d’un effort attentionnel. L’attention sélective sera ainsi perturbée par l’intrusion de dimensions non pertinentes dont l’accès est automatique. Dès lors, si la dimension plus automatisée est justement celle qui est distractrice, alors la focalisation de l’attention sur la dimension pertinente (réponse correcte) échouera. Ainsi, en situation de stress seule, la dimension automatique serait facilitée (e.g. la lecture du mot dans le cas du Stroop).

Une autre perspective, la « théorie du conflit-distraction » (ou priorité attentionnelle) de Baron (1986; cf. aussi Baron, Moore & Sanders, 1978; Cohen, 1978), s’est particulièrement intéressée au stress induit par les situations sociales. Elle offre une vision alternative qui, de manière contre-intuitive, fait jouer un rôle positif à la réduction de ressources. La présence sociale (du moins quand on y est attentif) est vue comme une source de distraction qui entre en conflit avec les demandes de la tâche. En effet, dès qu’ils sont placés dans une situation nouvelle pour eux, les participants auraient tendance à se comparer avec la personne présente. Cette activité de comparaison qui n’est pas liée directement à la réalisation de la tâche créerait un conflit attentionnel entre la recherche d’informations de comparaison et l’exécution de la tâche elle-même (Muller, 2002). Cela devrait accroître le stress, l’éveil (« arousal ») et/ou la surcharge cognitive. Cette perspective amène tout comme la précédente à envisager une restriction, dans des conditions de stress et d’éveil (« arousal »), des ressources attentionnelles allouées à la tâche à réaliser.

76 La détermination du niveau de complexité de la tâche pose cependant, dans cette littérature, quelques problèmes et se fait parfois a posteriori en fonction des résultats obtenus. Dans leur méta-analyse à ce propos, Bond et Titus (1983) notent la difficulté de classification des tâches en termes de complexité et se contentent de reprendre les définitions, parfois divergentes, données dans les études analysées.

Cependant, la réduction se conjugue dans cette approche avec une allocation prioritaire des ressources à la réalisation de la tâche cible. Les individus vont alors être plus attentifs aux indices qui sont les plus centraux à la tâche (Cohen, 1978; Dumas et al., 2005; Huguet et al., 1999) ou/et centraux spatialement (Kahneman, 1973) aux dépens d’indices plus périphériques77. Dès lors, cette restriction du focus attentionnel peut avoir deux types d’effets: d’une part, donner lieu à une facilitation des performances par le rejet des stimuli non centraux quand la tâche est simple ou requiert l’attention d’un petit nombre d’indices centraux; d’autre part, une diminution des performances par la négligence de certains stimuli cruciaux quand la tâche est plus complexe ou demande de l’attention pour une large étendue d’indices. Ainsi, la réponse face à la surcharge (consommation des ressources) est de définir une priorité attentionnelle (Chajut & Algom, 2003;

Huguet et al., 2004; Huguet et al., 1999). Ce raisonnement est comparable aux hypothèses classiques d’Easterbrook (1959) sur la réduction de l’étendue de l’utilisation des indices (« cue utilization ») de la tâche cognitive en situation de stress. Easterbrook prévoit, en effet, qu’un éveil (« arousal ») accru réduit la gamme des indices utilisés par la personne. Cette réduction mène à ce que les indices non pertinents soient éliminés avant ceux centraux pour la réalisation de la tâche. Un bas niveau d’éveil (« arousal ») conduit à l’utilisation simultanée des indices pertinents et de ceux qui ne le sont pas. Un haut niveau d’éveil (« arousal ») va amener à l’utilisation d’une partie des informations permettant de fournir une réponse correcte. Ce qui donne lieu à une focalisation volontaire ou involontaire de l’attention par laquelle les ressources restantes vont être utilisées pour le traitement de la tâche cible. Ainsi, le stress a une influence positive sur les tâches d’attention sélective qui nécessitent l’exclusion d’indices non pertinents.

Au test de Stroop, les théories présentées amènent donc à des hypothèses différentes (cf. Baron, 1986; Huguet et al., 1999).

Comme nous l’avons précédemment mentionné, au test de Stroop la lecture des mots la plus habituelle ou automatisée est la tendance dominante78 (MacLeod, 1991; Melara & Algom, 2003). Par conséquent, une augmentation de l’éveil (« arousal ») induit par une situation sociale devrait renforcer l’automatisme (c.-à-d. la lecture du mot) et ainsi augmenter le niveau de

77 Contrairement aux tests d’attention divisée, dans les épreuves d’attention sélective (telles que le Stroop), la centralité pour la tâche et celle spatiale sont confondues. Une distinction du rôle de ces deux types de centralité n’est donc pas possible (à ce propos cf. Chajut & Algom, 2003).

78 En condition standard et chez le bon lecteur, la reconnaissance des mots est plus habituelle et automatisée que la dénomination de couleur et interfère ainsi avec la tâche à réaliser (MacLeod, 1991). Comparativement à la dénomination, la lecture est donc la réponse dominante (la plus probable). Les erreurs étant peu fréquentes au test de Stroop, il est cependant possible d’affirmer que les deux modes de réponses sont « bien appris » et ainsi, en suivant la théorie de Zajonc (1965) attendre un effet de facilitation sociale.

l’interférence au Stroop. Au contraire, si l’éveil (« arousal ») se traduit par une augmentation de la focalisation sur les indices centraux (c.-à-d. la couleur des mots), aux dépens des indices périphériques (c.-à-d. l’aspect sémantique des mots), l’interférence devrait être réduite (Baron, 1986). Or, nous avons vu que la réduction des ressources dans certaines situations sociales menaçantes (e.g. comparaison sociale ascendante) facilitait les performances de jeunes adultes au test de Stroop. Cela est associé à une suppression des indices sémantiques incorrects et à une centration sur la dénomination de la couleur. Ce qui améliore le temps de latence des réponses pour les mots incongruents et réduit l’interférence au Stroop (Dumas et al., 2005; Huguet et al., 1999; cf. aussi Chajut & Algom, 2003). A un niveau général, ces résultats soutiennent ainsi une vision en termes de priorité attentionnelle.

On peut alors se questionner sur les mécanismes attentionnels plus spécifiquement impliqués dans la réduction de l’effet Stroop. Il faut tout d’abord relever la spécificité des mécanismes impliqués dans le cas de l’attention sélective et du test de Stroop en particulier. En effet, cette tâche regroupe dans une même localisation spatiale la dimension pertinente (couleur) et celle qui ne l’est pas (mot). Dès lors, la réduction de l’effet ne peut être reliée à un changement dans le traitement spatial qui a été souvent mis en avant: à savoir un traitement favorisé des stimuli spatialement centraux et un traitement détérioré des stimuli périphériques (Chajut &

Algom, 2003; voir aussi Posner, Snyder & Davidson, 1980; Easterbrook, 1959).

Ainsi, la focalisation attentionnelle en situation de stress, qui facilite les performances au test de Stroop, est, par exemple, susceptible de dégrader celles de tâches d’attention divisée (Chajut & Algom, 2003). Dans ces dernières, l’absence de traitement des stimuli périphériques diminue au contraire les performances. Mais quel va être exactement le type de traitement de la dimension interférente (mot) au test de Stroop ? Les recherches suggèrent que la réduction de l’interférence au Stroop peut avoir deux origines: un changement dans le niveau de traitement sémantique ou perceptif du mot79. Dès lors, un moyen de vérifier si la réduction (ou l’élimination) de l’effet Stroop est associée à un changement du traitement sémantique du mot est de voir si l’amorçage négatif est préservé malgré la réduction de l’effet Stroop (Besner, 2001;

Long & Prat, 2002; Maria-Beffa et al., 2000). Les chercheurs ont ainsi constaté une réduction de

79 Une stratégie de réponse peut être de supprimer le traitement visuel des stimuli (floutage de la vision, centration sur une partie du mot, etc.). La mise en place d’une telle stratégie au test de Stroop permet par un traitement de l’information plus superficiel d’obtenir des résultats équivalents (voire supérieurs). Ce mode de traitement est considéré par MacLeod comme une « tricherie » et comme éloigné de ce que doit être la « condition standard » de test (MacLeod, 1991; MacLeod & Sheehan, 2003; Raz et al., 2003). Les caractéristiques de la condition standard ne sont cependant pas clairement définies.

l’effet Stroop lors de manipulation du contexte de la tâche alors même que l’amorçage négatif était préservé. Ce qui va à l’encontre de l’hypothèse d’une suppression de la lecture des mots par les participants à l’aide de stratégies visuelles (Long & Prat, 2002; Maria-Beffa et al., 2000). De leur côté, les études des effets de la situation (ou contexte) sociale n’ont jamais utilisé de condition d’amorçage négatif. Cependant, une partie des recherches a utilisé une version de test de Stroop intégrant des mots colorés dont le niveau de traitement était inféré à partir d’une tâche de reconnaissance réalisée dans un second temps (Huguet et al., 2004; Huguet et al., 1999;

MacKinnon et al., 1985). Huguet et collaborateurs (2004) ont ainsi constaté que, lorsqu’un feed-back de comparaison sociale ascendante était donné sur les performances, la reconnaissance des mots restait inchangée alors même que l’effet Stroop était réduit. Ce qui, de manière congruente avec les études présentées, va dans le sens d’un traitement sémantique préservé (pour des résultats similaires voir Chajut & Algom, 2003) 80.

D’autres études suggèrent cependant, à l’aide de cette même version du test, que la réduction de l’effet Stroop s’accompagne parfois d’une diminution, lors d’une phase précoce, du traitement sémantique des mots (cf. MacKinnon et al., 1985; Huguet et al., 1999). Les différences observées entre études peuvent difficilement être attribuées à des variations dans les caractéristiques des situations de test qui ont pu induire des traitements divergents. En effet, dans certains cas des traitements distincts ont été trouvés pour des situations qui étaient très similaires81. La disparité dans les versions du test de Stroop utilisées pourrait également jouer un rôle. En effet, toutes les variantes de ce test ne conduisent pas au même type de traitement cognitif et ne sont pas de complexité équivalente (Kane & Engle, 2003; voir aussi MacLeod, 1991; Besner & Stolz, 1999). Par exemple, les études ont montré qu’une modification du ratio d’items incongruents et congruents sollicitait de manière différente la capacité d’inhibition des participants (Kane & Engle, 2003; voir aussi MacLeod, 1991). Une majorité d’items congruents tendait à renforcer la réponse de lecture et à augmenter ainsi l’interférence sur les items incongruents du test. Kane et Engle (2003) suggèrent que la forte proportion d’items congruents (qui encouragent la lecture) tend à faire perdre aux participants le but du test et en augmente sa complexité. On peut ainsi penser qu’une stratégie de suppression de la lecture des mots est plus

80 Pour éviter l’adoption de ce type de stratégies visuelles, Chajut et Algom (2003) varient légèrement l’emplacement des stimuli présentés.

81 L’étude Huguet et collaborateurs(2004) était une réplication et extension de l’étude de Mackinnon et collaborateurs (1985).

rarement mise en place lorsque les mots congruents sont présentés relativement à un test qui n’inclut pas de tels items (voir Besner & Stolz, 1999).

Dans l’ensemble, ces études montrent qu’une réduction de l’effet Stroop est possible sans que le traitement perceptif (automatique) des mots soit touché. Mais quels sont les mécanismes qui rendent compte de la résistance à l’interférence au test de Stroop ? Et quelles vont être les conséquences cognitives de la définition d’une priorité attentionnelle en situation de stress ? Chajut et Algom (2003; voir aussi Huguet et al., 2004) suggèrent que la capacité des individus à décomposer le stimulus dans les dimensions qui le constituent serait améliorée. Ce mécanisme serait activé d’une manière inconsciente et ne ferait pas intervenir la motivation ou l’effort des individus. Cela devrait ainsi conduire à l’amélioration simultanée du traitement des deux dimensions du test de Stroop (mot et couleur). Ainsi en parallèle d’une réduction de l’interférence, un effet de facilitation devrait être présent sur les items congruents. Cette explication peut être rapprochée du modèle de Melara et Algom (2003) qui attribue un rôle central au contexte de présentation des stimuli dans la capacité de discrimination des individus entre la dimension cible et distractrice du test. Certains contextes locaux (tâche) favorisent alors la discrimination des stimuli présentés au Stroop. Chajut et Algom (2003) suggèrent par ailleurs que cette capacité pourrait également être améliorée en situation de stress. Or, dans leur modèle, Melara et Algom (2003) accordent une place centrale à l’inhibition. On peut donc supposer que l’efficience de cette capacité devrait être améliorée en situation de stress. D’autres chercheurs ont souligné le rôle central de l’inhibition comme explication de la résistance aux changements dans le niveau d’interférence en lien avec des variations du contexte local (proportion d’items congruents dans le test) (voir Long & Prat, 2002; Kane & Engle, 2003). Les approches de Kane et Engle (2003) et de Melara et Algom (2003) s’accordent dès lors sur le rôle central attribué à l’inhibition et sa sensibilité à des modifications du contexte.

Au total, certaines situations de test, notamment celles de comparaison sociale avec des membres de son groupe d’appartenance, peuvent favoriser les performances des participants. On peut alors se demander dans quelle mesure les effets facilitateurs d’une menace identitaire associée à la comparaison ascendante avec des personnes de son groupe d’appartenance (endogroupe) sont similaires à la menace associée à la comparaison, pour les individus stigmatisés, avec un groupe réputé plus performant (exogroupe) ? C’est à ces situations de test

utilisées dans le cadre du paradigme de la « menace du stéréotype », que nous allons maintenant nous intéresser.