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Médiations des effets de « menace du stéréotype »

Stéréotypes sociaux et performances cognitives

B) Identification au groupe stéréotypé

3.4 Médiations des effets de « menace du stéréotype »

Une spécificité du paradigme de la « menace du stéréotype » réside dans son explication des effets comportementaux par le sentiment conscient d’une menace par les individus. Cette insistance sur les variables émotionnelles et motivationnelles qui peuvent accompagner l’activation du stéréotype s’oppose alors à d’autres types d’approches qui mettent en avant l’intervention de processus plus automatisés. Nous allons donc maintenant présenter quelques-unes des explications plus spécifiques de la diminution des performances en situation de

« menace du stéréotype » qui ont été invoquées (c.-à-d. les médiations). Il faut toutefois préalablement relever que les explications données restent largement débattues et controversées (Steele et al., 2002; Wheeler & Petty, 2001). En effet, les variables médiatrices examinées (e.g.

l’anxiété) ont donné des résultats mitigés. Dans leur revue critique sur la question, Wheeler et Petty (2001) considèrent que la « recherche de médiateurs a donné des effets nuls ou inconsistants » (p. 806) pour l’ensemble des facteurs étudiés. Dans leur tentative récente d’intégration des différentes recherches, Schmader et collaborateurs (2008) optent cependant pour une vision plus « optimist » et affirment que: « This systematic dismantling of process is an unrealistic expectation that there is a single mediator of stereotype threat effects on performance » (p. 336).

Comme aucune des explications ne s’est imposée et que celles-ci sont nombreuses, nous avons ici choisi de nous centrer sur deux des explications complémentaires très souvent invoquées et mentionnées dès l’origine par Steele et Aronson (1995). L’une, plus émotionnelle en termes d’anxiété et l’autre plus cognitive qui se centre sur les ressources attentionnelles.

3.4.1 Anxiété et éveil (« arousal »)

Une des premières médiations42 proposées a été celle de l’anxiété. Steele et Aronson (1995) ont fait l’hypothèse d’une explication de l’effet de la « crainte de confirmation » par le participant d’un stéréotype véhiculé sur son groupe d’appartenance. Cela devait, selon ces deux chercheurs, se traduire par une augmentation du niveau d’anxiété en situation de menace forte (c.-à-d. de stéréotype activé). Cette hypothèse n’a cependant reçu qu’un soutien empirique mitigé et des données supplémentaires semblent nécessaires (O’Brien et Crandall, 2003; Steele et al.,

42« The mediator function of a third variable, which represents the generative mechanism through which the focal independent variable is able to influence the dependent variable of interest » (Baron & Kenny, 1986).

2002; Wheeler et Petty, 2001). En effet, le rôle de l’anxiété est mis en évidence dans certaines études (e.g. O’Brien & Crandall, 2003; Osborne, 2001; Spencer et al. 1999). Par exemple, Spencer et collaborateurs (1999, étude 3) ont en particulier utilisé une adaptation du questionnaire d’anxiété-état de Spielberger (STAI) (1983), complété juste avant la réalisation du test cible en mathématiques. A l’aide de la procédure d’analyse de médiation de Baron et Kenny (1986), ils trouvent un lien négatif et significatif entre le niveau de performances au test de mathématiques et celui de l’anxiété.

Le rôle de l’anxiété n’est cependant pas mis en évidence dans d’autres études (Aronson et al., 1999; Hess et al., 2003; Hess et al., 2004; Leyens et al., 2000; Stangor, Carr & Kiang, 1998;

Steele & Aronson, 1995; Stone, Lynch, Sjomeling & Darley, 1999). Steele et Aronson (1995, études 2 et 4) qui ont fait passer une version du questionnaire d’anxiété-état de Spielberger (STAI) (1983) après la réalisation du test ne trouvent pas de différences dans le niveau d’anxiété entre les différentes situations de test. Ces résultats relativement décevants ont été expliqués par des problèmes méthodologiques. Il se pourrait en effet que l’utilisation de questions autorapportées d’anxiété ne soient pas la meilleure manière de mesurer l’implication de cette dimension. Comme le montrent Bosson, Haymovitz et Pinel (2004), une distinction existe entre report verbal et manifestations non verbales de l’anxiété. Des recherches se sont ainsi intéressées à identifier des marqueurs physiologiques de l’anxiété potentiellement liés à l’activation du stéréotype. Dans ce sens, certains chercheurs ont utilisé des mesures physiologiques (e.g.

pression sanguine) lors de la passation du test. Ils ont alors remarqué un effet de l’activation du stéréotype sur la pression sanguine alors que les mesures d’anxiété autorapportées dans un questionnaire ne montraient pas de variation selon le niveau de la « menace du stéréotype » (Blascovitch, Spencer, Quinn & Steele, 2001). O’Brien et Crandall (2003) affirment ainsi que l’éveil (« arousal »43) pourrait être un mécanisme impliqué dans les effets explicites et implicites constatés.

3.4.2 Ressources attentionnelles

Nous accorderons une importance particulière à cette variable et aux explications en

43 Le terme d’« arousal », souvent utilisé dans la littérature est souvent défini de manière très générale et mélange les niveaux physiologique et psychologique. Il a été classiquement utilisé comme un équivalent du terme d’activation (Zajonc, 1965). La littérature de psychologie sociale fait très souvent référence au terme d’« arousal » alors que le terme d’activation est plus fréquent dans la littérature de psychologie cognitive. Ces deux termes semblent cependant très similaires et dans notre texte nous les utiliserons de manière indifférenciée.

termes de ressources attentionnelles, car nous considérons que cette perspective est porteuse pour expliquer les phénomènes du vieillissement cognitif. Ce facteur a été mentionné dès les premières études. Ainsi, Steele et Aronson (1995) en accord avec d’autres lignes de recherches proches (e.g. Seta, 1982), évoquent une interférence en lien avec une « attention redirigée » (p.

798) en situation de test vers d’autres préoccupations que celles nécessaires à la réalisation de la tâche. Dans le cas de la « menace du stéréotype » l’individu serait préoccupé par l’association possible entre sa performance et le stéréotype négatif véhiculé sur son groupe. Et cela consommerait une partie de ses ressources cognitives.

Schmader et collaborateurs (2008) font jouer un rôle central à cette dimension dans leur modélisation des effets de « menace du stéréotype » sur les performances cognitives. Bien que les tâches effectuées par les participants aux études semblent très différentes (par exemple test de mathématiques, test verbal, etc.), elles ont pour caractéristique commune d’exiger un certain degré de contrôle attentionnel. Les ressources attentionnelles ont alors plus de probabilité d’être mises en œuvre dans les tâches les plus complexes qui, comme nous l’avons vu, peuvent favoriser l’apparition d’effet de menace (Steele et al., 2002). Ainsi, Schmader et collaborateurs (2008) suggèrent que la « menace du stéréotype » dégrade la capacité à réguler l’attention lors de la réalisation de tâches complexes dans lesquelles il est nécessaire de « coordonner le traitement de l’information et d’inhiber des pensées, sentiments et des comportements contreproductifs pour les buts actuels » (p. 340). Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre précédent (cf. partie 2.1), la capacité qui est impliquée dans ce type de traitement est celle de mémoire de travail (voir par exemple Engle, 2002). Schmader et collaborateurs (2008) font ainsi l’hypothèse d’une dégradation temporaire de l’efficience de la capacité en mémoire de travail par la « menace du stéréotype » pour rendre compte de la diversité des déficits de performances rapportée dans la littérature. Ainsi, les résultats de Schmader et Johns (2003, voir aussi Schmader et al., 2008) permettent d’associer l’activation de stéréotypes négatifs à un affaiblissement temporaire de la capacité en mémoire de travail (cf. pour des résultats comparables Beilock, Jellison, Rydell, McConnell & Carr, 2006; Quinn & Spencer, 2001; Wraga, Helt, Jacobs & Sullivan, 2006; voir aussi Dutrévis & Croizet, 2005). En effet, Schmader et Johns (2003) ont adapté le test d’« Operation span » de Turner et Engle (1989). Ils montrent (études 1 à 2) que les performances dans cette tâche de capacité en mémoire de travail sont diminuées en situation de forte menace (e.g. dans l’étude 1, manipulant le stéréotype de moindre performance des femmes en

mathématiques, le test est décrit comme mesurant la « capacité quantitative » sensible aux différences de genre) pour certains groupes (c.-à-d. femmes et « latinos ») sur lesquels des stéréotypes sont véhiculés. Une troisième étude a de manière complémentaire montré, à l’aide d’analyses de médiations (Baron & Kenny, 1986), que la capacité en mémoire de travail expliquait l’effet de la « menace du stéréotype » sur les performances d’étudiantes dans un test mathématiques (c.-à-d. résolution de problèmes). Confrontés à l’activation de stéréotypes menaçants, les participants stigmatisés se montraient, dans ces études (Schmader & Johns, 2003), moins capables de retenir certaines informations cibles tout en traitant d’autres informations plus ou moins nombreuses (mémoire de travail per se). Des résultats comparables ont été obtenus avec un indicateur biologique (c.-à-d. le rythme cardiaque44) de la charge mentale (Croizet, Despres, Gauzins, Huguet, Leyens & Meot, 2004). Plus récemment encore, Cadinu et collaborateurs (2005) ont montré que l’activation de stéréotypes augmente l’accessibilité de pensées négatives en rapport à soi et à la situation de test elle-même; soit autant de pensées consommant des ressources attentionnelles au détriment de l’activité cible.

Enfin, en parallèle de cette charge proprement cognitive, il est par ailleurs bien admis que les états de stress et d’anxiété, qui en effet sont susceptibles d’accompagner l’intervention des stéréotypes en question (cf. Steele et al., 2002), sont eux aussi de nature à consommer des ressources cognitives et à affaiblir la capacité de la mémoire de travail (Ashcraft & Kirk, 2001;

Eysenck & Calvo, 1992; Gimmig, Huguet, Caverni & Cury, 2007; Klein & Boals, 2001, Wraga et al., 2006). En bref, les mécanismes cognitifs altérés par l’activation de stéréotypes négatifs sont précisément ceux invoqués pour rendre compte du vieillissement cognitif. Or, d’autres travaux montrent précisément que les personnes âgées sont elles aussi confrontées à l’intervention de stéréotypes menaçants. Mais avant de clore cette partie, il nous semble important d’examiner plus en détails les origines, très souvent oubliées dans la littérature, des recherches sur la « menace du stéréotype ». Cela afin d’examiner de manière critique le niveau d’originalité et de spécificité du paradigme que nous avons présenté.