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Interventions implicites vs interventions explicites

Vieillissement cognitif et stéréotypes sociaux

2. Effet des stéréotypes sociaux sur les performances intellectuelles des âgés

2.3 La « menace du stéréotype »: une explication d’ensemble ?

2.3.2 Interventions implicites vs interventions explicites

Les stéréotypes peuvent intervenir dans la situation de test avec différents degrés de

« subtilité », fournissant aux participants différents niveaux de conscience du lien entre l’amorçage et leur comportement (Higgins, 1996; cité par Shih et al., 2002; Moskowitz &

Roman, 1992). De manière assez schématique, trois niveaux de conscience et de traitement des stéréotypes, correspondant à trois types de paradigmes expérimentaux, peuvent être distingués.

La présentation des stéréotypes négatifs peut en effet être faite de manière subliminale (sans conscience du contenu des mots présentés), supraliminale (aucun lien explicite n’est effectué entre l’amorçage et la tâche à réaliser mais le participant a une certaine conscience) et consciente (un lien explicite entre la tâche cognitive à effectuer et l’amorçage des stéréotypes est fait). Ainsi, l’activation des stéréotypes peut avoir une influence sur le traitement de stimuli par les individus qui en sont la cible à différents niveaux, plus ou moins conscients (ou explicites)68, ainsi que sur leurs performances.

Les approches de Levy et celles en termes de « menace du stéréotype » se distinguent par l’importance accordée au niveau de conscience dans le traitement réalisé. Elles se différencient par la prépondérance attribuée à des mécanismes essentiellement conscients pour l’une (Steele et al., 2002) et essentiellement automatiques pour l’autre (Levy, 2003). L’approche de Levy et collaborateurs se centre ainsi sur l’intervention de cognitions dite « froides » (« cold cognition ») qui ne sont pas censées être influencées par la motivation consciente ou les sentiments des individus. L’approche de Levy et collaborateurs s’inscrit ainsi dans une tradition de recherche

68 Par ces termes, nous nous référons ici à la plus ou moins grande conscience par les individus du traitement de l’information effectué.

qui fait un lien direct entre l’activation du stéréotype et les effets sur les performances (cf.

Wheeler & Petty, 2001). Ainsi, les stéréotypes exerceraient leur effet d’assimilation sur le comportement par l’intermédiaire de processus cognitifs non conscients (c.-à-d. automatiques) qualifiés d’« idéomoteurs » (cf. Wheeler & Petty, 2001). Un lien associatif entre stéréotypes et comportements implique que l’activation de stéréotypes (e.g. stéréotype de la lenteur des âgés) va rendre plus probable l’apparition d’un comportement cohérent avec le contenu de celui-ci (e.g.

ralentissement de la vitesse de marche) (cf. Dijksterhuis, 2001; cité par O’Brien & Hummert, 2006). Dans cette explication, le niveau explicite n’a ainsi pas vraiment de rôle.

Dans ce sens, une des hypothèses de Levy est que pour modifier les stéréotypes négatifs d’une personne sur le vieillissement, l’intervention la plus efficace passe par un niveau implicite (ou inconscient) afin de contourner les effets de l’intériorisation de stéréotypes négatifs consécutive à une exposition répétée à ceux-ci (Levy & Banaji, 2002, p. 58). En effet, Levy (2003) se centre sur les effets non conscients des stéréotypes négatifs qui caractérisent une forme d’«âgisme implicite » (voir Levy & Banaji, 2002). Ce concept se veut un recouvrement des stéréotypes et attitudes implicites en lien avec l’âge. En accord avec toute une littérature sur l’influence non consciente des stéréotypes (e.g. Devine, 1989), cette forme d’âgisme est vue comme la plus « insidieuse » (Levy & Banaji, 2002, p. 50; cf. aussi Levy, 1996, p. 1106), car les stéréotypes sur les âgés peuvent devenir des confirmations par le comportement (Levy, 1996, p. 1106) sans « attention consciente, contrôle ou intention de nuire » (p. 50).

Au niveau le plus explicite, un lien direct peut être fait entre la connaissance stéréotypée et la tâche cible. Les chercheurs s’inscrivant dans un paradigme d’amorçage relèvent souvent les faiblesses des interventions explicites (cf. en particulier Levy, 1996, étude 1). A ce propos, on notera que l’étude de Levy (1996) est l’une des seules à également réaliser des interventions explicites pour deux tiers des participants (n = 60) entre les tests de mémoire effectués en prétest et post-test (c.-à-d. en particulier la version modifiée du test 7/24 de Lezak, 1983). Ainsi, à la suite de l’amorçage des stéréotypes, les participants s’attendaient à être confrontés à une lumière présentée comme bénéfique à la mémorisation et qui permettrait de ce fait de limiter certains des symptômes de la maladie d’Alzheimer. La crédibilité de cet effet était justifiée par la présentation de faux résultats de recherches. Ensuite, les participants lisaient une histoire et devaient répondre à des questions sur celle-ci. Cette tâche était alors le support d’une manipulation de l’attribution des performances. Ensuite, un « faux feed-back positif » sur leurs performances en mémoire leur

était donné (il leur était signifié que leurs résultats étaient dans le 1% des meilleurs de leur groupe d’âge et dans les 10% des meilleurs tous groupes d’âges confondus). Leurs bonnes performances étaient alors soit attribuées à des raisons internes («leur effort ») soit à des raisons externes (« l’effet de la lumière » bénéfique à la mémorisation). Contrairement aux effets implicites constatés, une modulation des performances en mémoire par cette manipulation explicite n’était pas attendue69 et n’a pas été trouvée.

A la suite de cette étude, Levy s’est exclusivement centrée sur des manipulations à l’aide d’un paradigme d’amorçage. D’autres recherches conduisent cependant à des conclusions plus optimistes sur les effets potentiels d’un feed-back. Les travaux menés par West et collaborateurs montrent l’importance de l’effet possible de telles manipulations explicites, à l’aide d’un feed-back, sur les performances des âgés (West, Bagwell & Dark-Freudeman, 2005; West, Thorn &

Bagwell, 2003). Dans une étude de 2005, West, Bagwell et Dark-Freudeman font, par exemple, l’hypothèse d’un possible effet de diminution des doutes sur ses capacités du feed-back positif (cf. aussi Elliott & Lachman, 1989; cités par West et al., 2005). Cet effet bénéfique se justifie selon eux par les doutes possibles, en lien notamment avec l’« acceptation des stéréotypes sur la mémoire » des âgés sur leurs capacités, ce qui rend nécessaire de les réassurer sur leurs capacités (West et al., 2005, p. 196). Dans ce sens, Avorn et Langer (1982; cités par Nelson, 2005, p. 211) ont trouvé qu’à la suite d’un simple encouragement (plutôt qu’une aide active) dans la réalisation d’un puzzle, des résidents d’établissements de soin évaluaient la tâche comme plus facile, se percevaient comme plus capables et leurs performances dans la réalisation du puzzle étaient meilleures.

De manière complémentaire, les travaux réalisés dans le cadre de la « menace du stéréotype » mettent en évidence l’importance des manipulations explicites possibles. Ainsi, le paradigme de Steele et Aronson (1995) se focalise sur des explications en termes de sentiments et processus motivationnels (voir Wheeler & Petty, 2001). Ce cadre présuppose donc que les stéréotypes exercent leur influence principale par le biais d’une expérience consciente de la menace associée à l’activation du stéréotype, ce qui implique que les effets de la menace sur les performances sont « médiatisés » par des facteurs reflétant une expérience subjective et en

69 A un niveau méthodologique, on notera cependant que la nature du plan expérimental mis en œuvre rendait plus probable la mise en évidence d’effets des manipulations implicites (c.-à-d. amorçage des stéréotypes) qu’explicites (c.-à-d. feed-back sur les performances) pour des raisons de puissance de test liée à la taille de l’échantillon dans chacune des conditions. En effet, les tests statistiques sur les manipulations explicites étaient faits sur un nombre moins important de participants que les manipulations implicites.

grande partie consciente, telle que l’anxiété.

Bien que s’inscrivant dans des traditions « théoriques » très différentes, les chercheurs s’accordent sur la possibilité d’une combinaison des mécanismes explicatifs (Disjerkuis &

Bargh, 2001; Schmader et al., 2008; Steele et al., 2002). Schmader et collaborateurs (2008) considèrent que le débat sur la nature des mécanismes en jeu dans les effets des stéréotypes souligne la nécessité d’un modèle intégrateur de ces différentes dimensions. C’est un moyen, selon ces auteurs, d’éviter la réduction de la complexité des processus sous-tendant le comportement social à une des deux alternatives du débat (Schmader et al., 2008; Wheeler &

Petty, 2001).

En résumé, lorsqu’elles impliquent les capacités visées par le stéréotype, les situations de test donnent typiquement lieu à des performances plus faibles chez les participants stigmatisés (e.g. Noirs, femmes, âgés, etc.) que chez les autres (Blancs, hommes, jeunes, etc.), créant ainsi de toutes pièces des différences que l’on attribuerait donc à tort aux seules aptitudes individuelles.

Au total, les travaux présentés suggèrent de lier les différences de performance jeunes-âgés, au moins en partie, à des stéréotypes défavorables au groupe d’appartenance, et dont la mobilisation affaiblirait de manière temporaire les ressources générales de traitement; précisément celles évoquées dans le premier chapitre de cette thèse en référence aux différences jeunes-âgés dans le paradigme de l’effet Stroop. Quels vont être les effets qui peuvent être attendus pour la capacité d’attention sélective ? C’est à cette question que nous allons maintenant nous intéresser.

CHAPITRE 4