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Paradigme de la « menace du stéréotype » 1 Stéréotypes négatifs et situation de test

Stéréotypes sociaux et performances cognitives

3. Paradigme de la « menace du stéréotype » 1 Stéréotypes négatifs et situation de test

D’orientation psychosociale, les travaux dans ce cadre prennent quasiment tous appui sur ceux de Steele et Aronson (voir Steele, 1997; Steele & Aronson, 1995) dont l’intérêt majeur est d’avoir mis expérimentalement en évidence le rôle central des stéréotypes négatifs (c.-à-d.

réputation d’infériorité intellectuelle) dans les écarts de performance entre groupes sociaux. En l’occurrence entre étudiants blancs et étudiants noirs en matière de test d’intelligence.

Dans l’étude de Steele et Aronson (1995)31, des étudiants noirs confrontés à un test de raisonnement verbal montraient une performance inférieure à celle de leurs homologues blancs.

Lorsque ce même test était présenté de manière plus neutre (c.-à-d. n’était plus supposé diagnostiquer l’intelligence verbale), et donc lorsque le stéréotype d’infériorité intellectuelle des Noirs américains était de fait rendu non pertinent en regard de l’activité cible, cette différence de performance était éliminée (une fois contrôlé le niveau de réussite scolaire de base)32. Pour expliquer ce phénomène, Steele et Aronson invoquaient un « effet de menace du stéréotype » (« stereotype threat effect»): une fois rendus cognitivement accessibles, certains stéréotypes négatifs conduiraient ceux qui en sont la cible à craindre de confirmer, à leurs propres yeux ou aux yeux d’autrui, les faiblesses et autres traits négatifs supposés caractériser leur groupe d’appartenance. Cette crainte aurait pour effet, d’abord, d’interférer avec leur performance, ensuite, de renforcer le stéréotype en cause. Dans la continuité d’Allport (1954), ce phénomène est vu comme un mécanisme de confirmation du stéréotype (« self-fulfilling prophecy »). Une des

31 Cet article a été consacré comme un « classique moderne » de la littérature en psychologie sociale (Psychological Inquiry, 2003).

32 A un niveau méthodologique, il faut noter ici que, dans cette étude, la différence de groupe est supprimée si des ajustements statistiques appropriés sont effectués pour le niveau individuel de préparation académique des étudiants, tel que mesuré par le SAT score. D’autres études cependant obtiennent une suppression de la différence de groupe sans ce contrôle de la covariée (Blascovich, Spencer, Quinn & Steele, 2001; Croizet & Claire, 1998; Good, Aronson & Inzlicht, 2003). La question de l’utilisation de cette covariée et des interprétations qui peuvent en découler a fait l’objet d’un débat entre Steele et collaborateurs et Sackett et collaborateurs. Sur cette question, on se référera aux numéros de janvier 2004 et d’avril 2005 de l’American Psychologist.

originalités de l’explication de Steele et Aronson (1995) réside dans son insistance sur le rôle de la situation sociale de test. Elle n’exclut cependant pas, de manière complémentaire, l’intériorisation possible à long terme au travers de la répétition de telles situations qui peut conduire à de sérieuses conséquences identitaires (Steele, 1997). L’expérience de « menace du stéréotype » se distingue cependant de modèles théoriques (e.g. Allport, 195433; Levy, 2003) qui mettent l’accent principal sur le rôle de l’intériorisation (ou une adhésion) des stéréotypes négatifs par l’individu dans la manifestation des effets comportementaux (Wheeler & Petty, 2001). Steele et Aronson (1995) affirment à ce propos que: « This threat can befall anyone with a group identity about which some negative stereotype exists, and for the person to be threatened in this way, he need not even believe the stereotype. He need only know that it stands as a hypothesis about him in situations where the stereotype is relevant » (p. 798). Certaines situations vont alors constituer un danger pour l’individu dans son besoin de véhiculer une image positive de lui-même (Steele, 1988). Elles représentent une menace significative pour l’intégrité de l’identité, à savoir le sens de soi comme une entité cohérente et valorisée qui est adaptable à l’environnement. Dès lors, cette « menace » est liée à un état de « déséquilibre cognitif »34 entre la représentation de soi et de ses possibilités de succès qui entrent en conflit avec les stéréotypes sociaux négatifs suggérant des performances faibles. Cette situation va ainsi jouer un rôle de

« stresseur aigu » (Schmader, Johns & Forbes, 2008: voir aussi Steele, 1988). Dès lors, l’effet de

« menace » est en lien avec l’activation en situation de test d’une représentation du groupe d’appartenance (identité sociale), de soi (identité personnelle) et de sa compétence dans un domaine donné (Schmader et al., 2008; voir aussi Major & O’Brien, 2005) (cf. Figure 1).

33 Gordon Allport (1954) est souvent cité comme référence par les chercheurs mettant l’accent sur des explications en termes d’intériorisation (voir par exemple Levy, 2003). Une citation semble en particulier justifier cette filiation « One’s reputation, whether false or true, cannot be hammered, hammered, hammered into one’s head without doing something to our character » (Allport, 1954, p. 142). De plus, son utilisation du concept de « self-fullfiling profecy » (Merton, 1948) est prise comme une confirmation de cela. Ainsi les cibles des stéréotypes les intérioriseraient progressivement du fait de leur « martèlement » par exposition répétée. Cette intériorisation conduisant alors à des attentes plus faibles (Marx et al., 1999, p. 492). Comme suggéré par Marx et collaborateurs (1999), les travaux d’Allport du fait de leur richesse peuvent cependant également être pris comme base d’une vision plus situationnelle des effets des stéréotypes sociaux.

34 Cette idée est un classique de la littérature en psychologie sociale qui trouve en particulier son origine dans les travaux de Festinger (1957) sur la dissonance cognitive. Un des fondements de cette théorie est que lorsque deux cognitions sont dissonantes, l’individu est motivé à retrouver une certaine cohérence. Pour une discussion de l’influence de cette théorie sur la littérature ultérieure en psychologie sociale, on se référera à l’article d’Elliott Aronson (1992) et au débat à ce propos dans le même numéro de la revue Psychological Inquiry.

Figure 1. Modélisation intégratrice des mécanismes expliquant les effets de « menace du stéréotype » (repris et adapté de Schmader et al., 2008).

Comme le mentionnent Schmader et collaborateurs (2008), le développement d’un modèle théorique intégrant les effets de « menace du stéréotype », constatés dans les différentes recherches, requiert une prise en considération du type de capacité cognitive étudiée et de la nature de la situation de test induisant la menace. Dès lors, avant de faire une présentation des explications données, nous allons faire une description de ces deux aspects.

3.2.1 Groupes et capacités cognitives

Depuis l’article de Steele et Aronson (1995), plus d’une centaine d’études de laboratoire ont été consacrées à l’influence interférente des stéréotypes négatifs sur les performances de ceux qui en constituent la cible (pour des revues voir Desert, Croizet & Leyens, 2002; Maass &

Cadinu, 2003; Schmader et al., 2008; pour des revues voir Steele, Spencer & Aronson, 2002;

Wheeler & Petty, 2001). Pour l’essentiel, ces études ont mis en évidence la diversité des groupes pour lesquels cette influence peut être observée. Il en va ainsi, par exemple, et toujours dans le domaine de l’évaluation de l’intelligence, des étudiants d’origine sociale défavorisée (Croizet &

Claire, 1998), mais aussi des femmes et des filles dans le domaine des mathématiques (Huguet &

Regner, 2008; Spencer, Steele & Quinn, 1999). Spencer et collaborateurs (1999, études 2 et 3) ont, par exemple, montré que les différences de performance entre hommes et femmes dans un test de mathématiques difficile pouvaient être éliminées quand l’effet de « menace du stéréotype » était minimisé par la présentation du test à réaliser comme n’ayant pas montré de différences de genre par le passé. Cependant, quand le test était décrit comme ayant révélé des différences de genre, les performances des femmes étaient moins bonnes que celles des hommes.

Cet effet des stéréotypes véhiculés sur son groupe d’appartenance ne se limite pas aux groupes traditionnellement stigmatisés35. Ainsi, certaines recherches attestent qu’il est possible d’influencer les performances de groupes qui ne sont pas susceptibles d’avoir interiorisé l’idée de leur infériorité dans un domaine cognitif (Aronson, Lustina, Good, Keough, Steele & Brown, 1999; Leyens, Desert, Croizet & Darcis, 2000).

Aronson et collaborateurs (1999) ont, par exemple, montré qu’une activation d’un stéréotype négatif chez des hommes blancs, par une mention de la supériorité des étudiants asiatiques en mathématiques relativement à celles de leur groupe, diminuait leurs performances dans un test consécutif en ce domaine. Comme le soulignent ces chercheurs, l’effet obtenu peut ainsi difficilement être attribué à une intériorisation préalable d’un stéréotype négatif peu probable chez les participants blancs étudiés. Ainsi, les capacités cognitives de nombreux groupes sociaux peuvent donc être influencées par des stéréotypes négatifs. La création de situations de test qui renvoient les participants à l’infériorité de leur groupe d’appartenance dans un domaine cognitif est donc central pour que la « menace du stéréotype » se manifeste. Nous allons, maintenant, plus spécifiquement nous intéresser aux situations de test développées par les chercheurs dans l’étude de cet effet.

3.2.2 Situations de test (procédures)

Il est possible d’identifier dans l’importante littérature sur le sujet deux types de procédures le plus souvent utilisées. Un premier groupe d’études (Chasteen, Bhattacharyya, Horhota, Tam & Hasher, 2005; Davies, Spencer, Quinn & Gerhardstein, 2002; Desrichard &

Köpetz, 2005; Hess, Hinson & Statham, 2004; Inzlicht et al., 2006; Marx & Stapel, 2006; Marx,

35 Le terme de groupes minoritaires (c.-à-d. de bas statut social ou faible en nombre) est également utilisé dans la littérature (Maass & Cadinu, 2003; Perez & Mugny, 1993).

Stapel & Muller, 2005), directement inspirés de l’étude paradigmatique de Steele et Aronson (1995), va manipuler la dimension évaluative du test (« diagnosticité »). Cette manipulation est souvent faite de manière explicite suivant Steele et Aronson (1995, études 1 à 3) par la présentation du test, dans la consigne, comme permettant de faire une évaluation des capacités du participant36. Une variante de manipulation (Steele & Aronson, 1995, étude 4), plus implicite, fait simplement mentionner au participant son identité de groupe dans un questionnaire complété avant le test (Shih, Pittinsky & Ambady, 1999; Steele & Aronson, 1995, étude 4). Dans une étude avec des étudiantes américaines d’origine asiatique, Shih et collaborateurs (1999) procédaient, par exemple, à une activation de leur identité de genre (associée à des mauvaises capacités) ou de leur identité ethnique (associée à de bonnes capacités) au travers d’un questionnaire administré avant la réalisation d’un test de mathématiques. Il était ainsi attendu que les performances varieraient selon l’identité de groupe mobilisée par les participantes.

Un deuxième groupe d’études (Andreoletti & Lachman, 2004; Brown & Pinel, 2003;

Jamieson & Harkins, 2007; Keller & Dauenheimer, 2003; O’Brien & Crandall, 2003; O’Brien &

Hummert, 2006; Quinn & Spencer, 2001), inspiré de l’étude de Spencer et collaborateurs (1999), mentionne ou infirme explicitement l’existence d’une différence de groupe aux participants sur le test qui va être réalisé (c.-à-d. une simple mention de la différence et/ou du sens)37. Cela vise à rendre l’individu conscient des implications négatives du stéréotype par un accroissement de la saillance du stéréotype en situation de test. Dans leur revue de la littérature, Steele et collaborateurs (2002, p. 394) font occuper une place centrale à cette variante du paradigme et affirment que cette étude offre la « preuve directe la plus forte » que la menace est induite par les stéréotypes sur l’identité de groupe de l’individu. Or, comme nous l’avons précédemment mentionné, dans le paradigme de Steele et Aronson (1995), la crainte de confirmation de l’image négative de son groupe a un rôle essentiel. On notera enfin que d’autres recherches consistent en des variantes et des combinaisons de ces deux procédures classiques. Ainsi, certaines font une mention très appuyée de la différence de groupe en la soulignant oralement et en faisant lire aux participants des articles à ce propos (Aronson et al., 1999; Beilock, Rydell & McConnell, 2007;

36 Steele et Aronson (1995, étude 3) manipulent par exemple la diagnosticité avec les instructions écrites suivantes, dans la situation de test « diagnostique » il est dit: « Because we want an accurate measure of your ability in these domains, we want to ask you to try as hard as you can to perform well on these tasks. » Dans la situation de test « non diagnostique » il est dit: « Even though we are not evaluating your ability ont these tasks, we want to ask you to try as hard as you can to perform well on these tasks. »

37 Dans l’étude de Spencer et collaborateurs (1999), qui portait sur les différences de genre, la mention de la différence de groupe était faite de la manière suivante: « test had shown gender differences in the past. » Afin d’infirmer l’existence de différence de genre au test il était dit : «the test had never shown gender differences in the past. »

Cadinu, Maass, Frigerio, Impagliazzo & Latinotti, 2003; Cadinu, Maass, Rosabianca & Kiesner, 2005; Dar-Nimrod & Heine, 2006; Hess, Auman, Colcombe & Rahhal, 2003; Hess & Hinson, 2006; Pronin, Steele & Ross, 2004).

De notre présentation, on pourrait conclure que l’activation d’un stéréotype en situation de test est seule responsable de la diminution des performances de membres de groupes stigmatisés. Or, les recherches ont montré que cette condition nécessaire n’est souvent pas suffisante. Ainsi, les caractéristiques de la tâche à réaliser et des individus jouent également un rôle.

3.3 Différences entre tâche et entre individus

Les conditions d’expression situationnelles et individuelles des effets de la « menace du stéréotype » ont été identifiées. Nous présentons les principaux modérateurs38 dans cette partie.

3.3.1 Modérations situationnelles