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Les positions du préfet vis-à-vis du vaincu politique 1 : Du devenir professionnel des fonctionnaires ex-fédérés.

2 : Conjoncture politique et déclin du cycle épuratoire.

B. Les positions du préfet vis-à-vis du vaincu politique 1 : Du devenir professionnel des fonctionnaires ex-fédérés.

Les fédérés sont ce que le département compte de plus coupables et de plus suspects au yeux des autorités, à cause de leur engagement volontaire au service de l'empereur, ou du moins d'idées libérales que Napoléon avait stratégiquement encouragées et qui auraient pu selon leurs vœux advenir s'il avait triomphé. Le bon sens voudrait donc qu'ils fussent éjectés les premiers de leur emploi. Un bilan établi le 16 décembre 1815 par le préfet23 permet de mesurer les répercussions

professionnelles de l'adhésion au pacte fédératif. À l'arrivée de d'Allonville, 6024 des fédérés ont

travaillé comme fonctionnaires dans un ministère, une direction générale ou une administration durant l'interrègne. 11 d'entre-eux ont disparu (fuite, déménagement) et ne sont pas comptabilisés puisque ne relevant plus de notre département. Il en existe 10 autres dont le sort n'est pas statué, principalement parce qu'ils sont issus de l'arrondissement de Vitré, où le sous-préfet de la Plesse fut assez peu enclin à faire remplacer les hommes et dont le successeur du Fougerais n'était pas encore arrivé sur les lieux pour transmettre les renseignements demandés. Sur les 39 restants, 27 sont destitués et 4 mis à la retraite : 80% d'entre-eux subissent une sanction, de la plus terrible qui soit, la révocation, à une forme plus atténuée, la retraite anticipée, moins infamante et dont bénéficient les fonctionnaires les plus âges. 8 fédérés sont épargnés et restent en place, ce qui n'est pas négligeable et prouve que l'assainissement de l'administration n'est pas totale, même chez ceux qui sont alors les 21 ADIEV 1/M/101 : lettre du ministre de la Police au préfet d'Allonville, 4 novembre 1816.

22 Lire le compte-rendu de l’affaire Turin (chapitre sur l’iconoclasme politique) p. 157-159.

23 AN F/7/9664 : tableau de notes sur les ex-fédérés et fonctionnaires du département, dressé par le préfet d'Allonville, 16 décembre 1815.

plus ciblés.

Le document dont nous disposons comporte des détails sur le degré d'influence de l'individu au sein de la fédération et sa dangerosité actuelle supposée. On peut donc corréler l'échelon de subversion supposé de l'individu avec la perte ou non de son emploi. Pour les 22 individus les plus impliqués, très influents, dangereux, immoraux etc., aucune clémence n'est admise. Pour les 10 autres qui le sont moins et disposent parfois de circonstances atténuantes, on compte deux exceptions : l'assez ardent directeur du dépôt de mendicité rennais Faciot et le médecin des dépôts de mendicité du département le Fort, dont les principes sont sévères, sont sauvés par d'Allonville. Les 6 autres fonctionnaires épargnés sont vus comme peu dangereux. La correspondance n'est cependant pas parfaite, des fonctionnaires décrits comme inoffensifs (Servine, contrôleur de la régie des droits réunis) ou dont le comportement est inconnu (le percepteur bréalais Lancelot-Duplessis) sont destitués.

Les quelques miraculés doivent leur fortune à leurs talents, leurs liens familiaux et les appuis dont ils bénéficient dans l'entourage du préfet. Le directeur de l'école d'équitation Duchesnes est le beau- frère de Sol de Grisolles, il s'est fédéré par faiblesse écrit le préfet. Louis, receveur de Rennes, est gardé car bon professionnel et tranquille. Du reste son fils a été destitué, la punition est en quelque sorte déjà tombée pour un Louis père atteint par la punition infligée à sa progéniture. Sous- inspecteur des Ponts et Chaussés, Boulemer est sauvé de la révocation par les chefs et officiers de « l'excellente garde nationale de Rennes »25, le préfet emploie le terme indulgence à son propos.

Certains cas montrent encore mieux à quel point les avis peuvent diverger : le receveur de l'enregistrement Anne-Duportal est un bonapatiste, mais « assez doux » écrit le maire de Rennes. Le sous-préfet de Chabre ajoute à la suite de cette note que le receveur « est un des hommes les plus dangereux, et les plus acharnés de ce pais contre la cause royale »26 et continue avec passion sur sa

lancée. Morel Desvallons ayant sa confiance, et connaissant l'ignorance de De Chabre et son goût pour les hécatombes, d'Allonville fait conserver Anne-Duportal. Quant au chef de la fédération, Blin, il est destitué contre l’avis du préfet, qui fit du personnage un bel éloge et ne demandait pour lui qu’un déplacement27.

Ailleurs, du côté des édiles, le déficit de candidats oblige aussi à quelques concessions. Androuin maire de Châteaubourg (arrondissement de Vitré) depuis l'an VIII et ex-fédéré échappe à la purge de l'hiver 1815 et au renouvellement quinquennal de l'année suivante. Administrateur précieux ayant fait amende honorable et profil bas, Androuin est poursuivi dans ses fonctions jusqu'après le départ 25 Ibid.

26 Ibid.

de d'Allonville.

Il y a donc pas d'écartement systématique des fédérés bien qu'ils soient fauchés très majoritairement par l'épuration, et également touchés pour plusieurs d'entre eux par la répression politique, on y reviendra.

2 : Les murmures des épurés : quels dédommagements ?

Les victimes de l'épuration elles-mêmes firent globalement silence. Souvent compromises au plus haut point, elles se retirèrent en silence sans chercher à trop plaider leur cause28. C'est

particulièrement vrai pour les peu défendables sous-préfets mis en place durant les Cent Jours. Teulon revint timidement sur sa position de père de famille auprès du ministre de la Police29 et seul

Ropert adressa un vrai manifeste dans laquelle il s'afficha en conciliateur apprécié de l'arrondissement de Redon30. Suggérant qu'on pourrait peut-être lui conserver sa place de sous-

préfet, le funambule Ropert échoua à l'instar de bien d'autres à faire ployer les autorités. L'ex-sous préfet Bayme n'apparaît plus nulle part à la suite de sa destitution, idem pour Baron, Teulon et de Séguinville. La question de la réintégration est certes timidement avancée par quelques juges de paix et commissaires mais la peur empêche alors de trop d'appesantir sur son sort et gare à celui qui verse dans l'invective, l'audacieux Loysel en fait les frais. L'ex-conseiller Robinet écrit :

« Au mois de 7bre 1815, les papiers publics m'apprirent mon remplacement auquel ma conduite n'avait, à coup

sur, pas donné lieu. La crise étoit violente alors, je m'abstins de réclamer ma réintégration quelque juste qu'elle eut été. J'avois un successeur et il étoit loin de ma pensée de vouloir déplacer personne [...] »31

Jusqu'au départ de d'Allonville en octobre 1817, de réintégrations il n'est que très peu question, du moins à un poste similaire. Le seul cas du juge de paix Leblanc est assez exceptionnel, ailleurs la 28 On a reproduit p. 286-287 une lettre anonyme dans laquelle l’auteur se plaint de l’épuration mais sans dire s’il est

directement concerné par elle.

29 « On vient de me dire que je suis remplacé par M. de la Plesse de Vitré. Si la chose est vraie, je vous prie de prendre, Monseigneur, sous votre protection un père de famille qui s’est depuis dix huit ans son pays et qui peut le servir encore ». Lettre du sous-préfet de Vitré Teulon au ministre de la Police, 30 juillet 1815, AN F/7/9073.

30 « Ma tâche principale était d'y maintenir la paix intérieure et je l'ai remplie avec courage et succès. Je m'y suis conservé l'estime de tous les partis, et je suis maintenant, depuis vingt jours, au milieu des armées Royales, entourées des mêmes égards et de la même considération que je l'étais auparavant au milieu des troupes impériales. Des 46 communes qui composaient cet arrondissement, aucune ne s'est insurgée, quoique peuplées de bons royalistes, aucune arrestation n'y a eu lieu, aucune atteinte n'y a été portée aux personnes ou aux propriétés et pas une goutte de sang français n'y aurait été versée, si monsieur de Sol ne s'était mis dans la tête de venir infructueusement faire le siège de ce chef-lieu ». Lettre du chef d'escadron Ropert au ministre de la Police, datée du 3 juillet (vraisemblablement du 3 août puisque Ropert fait mention d'un courrier du préfet d'Allonville en date du 29 juillet), AN F/7/9073.

31 AN F/1BII/Ille-et-Vilaine/5 : lettre de l'ex-conseiller de préfecture Robinet au ministre de l'Intérieur, 22 décembre 1816.

chose est également très minoritaire. En prenant comme exemple la direction des douanes de Saint- Malo, les conclusions sont assez semblables. 51 administrateurs de tous grades (commis, receveur, contrôleur etc.) ont été sanctionnés politiquement au sein de la direction des douanes de Saint-Malo. Sur les 44 qui sont révoqués (quatre ont aussi été « changés », deux autres mis à la retraite, un rétrogradé), un seul a été réintégré et quatre replacés, dont au moins deux à des postes inférieurs, en octobre 1816. À chaque fois, c'est l'intervention de tiers qui a fait commuer la peine.

Toutefois, lorsque l'exclusion est tombée et que le gouvernement ne semble pas disposé à redonner la place méritée, les épurés peuvent aussi prétendre à une pension pour compenser la perte bien affligeante d'un emploi. Le préfet est interrogé sur la question et là aussi son avis apparaît décisif.

Des quatre conseillers de préfecture révoqués, deux d'entre-eux, Lorin et Robinet, réclamèrent au ministre de l'Intérieur une retraire de compensation. Le préfet leur fit mauvaise presse, soutenant pour le premier qu'il s'était exposé à de grands risques en acceptant la mairie de Rennes ; et que le second fut trop partisan convaincu de Bonaparte, et désormais trop bassement carriériste par ses flagorneries : « c'est un de ces hommes, dont il existe trop, qui servent toujours leur place »32.

Refusant pour sa part leur supplique, la lettre de d'Allonville met dans un premier temps fin aux espoirs des intéressés33.

D'Allonville n'est pourtant pas uniforme dans ses avis. Même au plus fort de la phase épuratoire, il ne demande pas systématiquement la révocation : les sous-préfets Bayme et Maudet auraient dû être conservés ailleurs si le ministère de l'Intérieur avait suivi l'exposé exact du préfet. Bien que motivé par quelque manigance, le remplacement du commissaire Macé ne consiste pas en une révocation mais bien en une nomination ailleurs. Intransigeant sous bien des rapports, d'Allonville demande et obtient que le sous-préfet de la Plesse reçoive de nouveau la pension octroyée par le régime impérial en 1813. Il plaide même pour de plus coupables personnages, tels Quilleau de Vallieucq et Bigot de Préameneu, les deux conseillers restants qui eurent le bon goût de n'émettre aucune plainte auprès du ministère :

« M. Quilleau de Vallieucq est dans le besoin ; c'est un homme peu estimable à la vérité ; mais l'humanité m'engage à demander qu'il lui soit accordé une retraite. M. Bigot de Préameneu en a moins besoin, mais c'est au fond un homme de bien et estimé quoique s'étant montré le partisan de Bonaparte [...] ; j'oserai demander comme récompense de sa probité ce que l'humanité seule réclame en faveur de m. Quilleau de Vallieucq ».

32 AN F/1BII/Ille-et-Vilaine/4 : lettre du préfet d'Allonville au ministre de l'Intérieur, 5 octobre 1815.

33 Voir p. 215 le changement de position du préfet vis-à-vis de Robinet, dans le contexte des élections législatives de septembre 1817.

Il demande même la réintégration de l'ex sous-préfet Maudet dans une sous-préfecture du Morbihan, de la Manche ou du Calvados. Malgré sa défense, celle de Corbière34 et de Sol de

Grisolles35, Maudet n'obtint aucune place dans les années suivantes. À la mort de Postel de

Martigny en 1820, une ultime tentative eut lieu pour récupérer son fief monfortais, c'est un nouvel échec.

D'Allonville est donc capable, parce qu'ils les estiment ou les sait talentueux, de conserver des hommes théoriquement indignes de leur place. Mais ses réactions à ce sujet dépendent de l'attitude des notables, quand ils existent, investis dans la cause des suspect. Quant aux épurés, certaines réparations assurent une contrepartie à une sortie illégitime mais pressée par des dénonciateurs en nombre. Tous les hommes changés n'étaient pas de vrais napoléonistes et dangers potentiels pour le pouvoir monarchique. Beaucoup n'ont prêté serment que pour assurer leurs moyens d'existence et auraient regagné le giron royaliste avec la même aisance. Plus qu'à leurs actes véritables, c'est bien à leurs contempteurs qu'ils doivent bien souvent leur déchéance. Ces derniers comptaient bien accéder à quelque reconnaissance plus que jamais méritée.

C. Se bousculer au portillon : les réclamations des royalistes.

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