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Nous résumerons ici l’effet des lois d’exception et leur résultat. Nous trouvons dans les cartons des archives nationales F/7/9073 à 77, dans ceux des archives départementales 1M/108-109 et 113, 146 individus suspectés d’avoir propagé des rumeurs ou d’avoir eu un comportement séditieux entre septembre 1815 et octobre 1817. Nous n’avons pas compté les affaires dans lesquelles on ne connaît pas le nombre de personnes impliquées. C’est particulièrement le cas en août 1815, où plusieurs groupes d’individus, à Saint-Malo et à Rennes, font du tapage et insultent le roi. La critique du roi et de son autorité se double le plus souvent d’une louange à l’empereur. Il arrive que certains prévenus cumulent toutes les fautes possibles. À Amanlis (arrondissement de Vitré), le maçon Morselles a dans un cabaret « proféré des cris séditieux, tenu des propos contre le Roy, et menacé au retour prochain de bonaparte, d’égorger de sa main le curé et les royalistes du Bourg »16.

D’octobre 1815 à mars 1816 a lieu l’essentiel des affaires, avec un pic conséquent en janvier, lorsque l’affaire de l’école de droit de Rennes survient17. Un écrit séditieux y circule et le préfet,

sachant de quel bois est fait ces jeunes têtes qui étaient déjà présentes lors de l’émeute de janvier 1815, décide de l’éloignement des plus dangereux en vertu de la loi du 29 octobre 1815. L’ex- commandant du département Mayer, plusieurs fédérés et l’ex-juge de paix Loysel, sont également au nombre des exilés. Après cette purge, le nombre d’affaires diminue jusqu’à une remontée en décembre 1816, où quatre étudiants de cette même école de droit inscrivent des propos anti-royaux sur des tablettes. Le préfet demande alors à une commission de statuer sur le sort de cet établissement et de l’esprit séditieux qui y règne. La loi du 29 octobre est ensuite abrogée mais celle du 12 février 1817 s’y substitue, à cette date seules 77 personnes ont été atteintes par la première. Qui sont les coupables ? Une proportion d’étudiants en droit, d’artisans et d’ouvriers et de militaires semblable (une quinzaine individus par catégorie), une poignée d’avocats et de

août 1815, signé du préfet de Police de Paris Decazes.

15 PETITEAU Nathalie, « Violence verbale et délit politique, 1800-1830 », Revue d’histoire du XIXème siècle, 2008, n°

36, p. 87.

16 ADIEV 1/M/109 : lettre du maire d’Amanlis au préfet d’Allonville, 27 mai 1816. 17 Lire Jean Cherbonnel pour le détail de l’affaire, op. cit., p. 215-216.

fonctionnaires révoqués. 23 fédérés sont dans le lot. Le délit a lieu très majoritairement à Rennes. Le sexe masculin l’emporte lui aussi très largement. Lorsque des femmes apparaissent, le tapage survenu est en général grand, à l’exemple de Couceau, prostituée « de la plus basse classe »18 qui

provoque un scandale terrible lors de son arrestation. Le délit a le plus souvent lieu dans un cabaret puis sur la place publique, les propos tenus dans l’intimité du foyer entre gens du même bord étant difficilement repérables. L’ivresse des prévenus est une donnée extrêmement importante et nombre de suspects disent ne se souvenir de rien lors de leur interrogatoire, tel le menuisier Bouller arrêté le 25 décembre 1815 pour avoir crié vive l’empereur dans une auberge à Liffré19.

Faute de témoignages accablants et sans preuves matérielle, les autorités sont généralement circonspectes. D’ailleurs, plusieurs accusateurs se retrouvent devant les tribunaux pour avoir délibérément menti à la justice. Comme pour l’épuration, le préfet se méfie des accusations que l’on peut facilement porter. Tout dépend encore une fois des circonstances, l’exemple particulièrement délicat de l’iconoclasme le prouve.

Il est facile de prêter une intention subversive au nommé Diret qui, à Messac (arrondissement de Redon), insulte publiquement un particulier pour son royalisme, lui arrache sa cocarde blanche et la piétine20 ; à ce couvreur de Piré (arrondissement de Rennes) arrêté par les gendarmes alors qu’il

portait en état de récidive un gilet dont les boutons représentent des aigles21 ; de ces trois militaires

qui, dans un cabaret vitréen, ont déballé devant deux personnes un aigle pour l’embrasser ou de ce particulier ayant dans une rue de cette même ville déchiré une gravure de Louis XVIII qu’il venait d’acquérir22. Mais dans le domaine de la dissidence visuelle la preuve n’est pas toujours aussi

manifeste. Sa liberté est ainsi rendue à un couvreur de Chauvigné (arrondissement de Fougères) soupçonné sans qu’on ait pu le prouver d’avoir arboré une cocarde tricolore23. Même dans le cas

d’un flagrant délit, on relâche ces trois jeunes gens de Dol (arrondissement de Saint-Malo) ayant arboré des œillets rouges car « la préférence donnée à telle ou telle fleur n’est véritablement punissable que lorsqu’elle se rattache à des intentions malveillantes ou qu’elle est suivie d’actes séditieux »24.

Du côté des rumeurs, elles se font moins nombreuses : en septembre 1816, le nommé Lebon a dit 18 AN F/7/9076 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 14 décembre 1816.

19 AN F/7/9075 : copie de l’interrogatoire de Boullier par le personnel du tribunal de première instance de Rennes. 20 AN F/7/9076 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 1er mars 1816.

21 AN F/7/9077 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 17 juin 1817.

22 ADIEV 1/M/110 : lettre du ministre de la Police au préfet d’Allonville, 16 septembre 1817. 23 AN F/7/9076 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 20 août 1816.

« qu’on serait trois ans sans payer de contribution » après l’arrivée de l’empereur25 ; en avril 1817,

c’est au tour du colporteur Jamet d’affirmer que Napoléon « reviendrait en France, le 15 mai prochain au plus tard »26 aidé des turcs et des anglais. Quelques grandes affaires troubles viennent

aussi réveiller l’espoir ou l’inquiétude. Après l’échec de la conspiration de Grenoble au début du mois de mai 1816, les malveillants disent que le meneur Didier n’était qu’un homme de paille, l’insurrection repartira de plus belle et déjà la garde nationale de Rouen allume des feux et fait « des vœux perfides »27 pour soulever le royaume. La découverte de l’affaire du lion dormant, du nom de

la loge maçonnique parisienne autour de laquelle sa trame un complot visant à tuer le roi28, est

connue par des commérages venus de la capitale et effraie cette fois les bons royalistes de l’arrondissement de Saint-Malo. Enfin des bruits locaux surgissent de nouveau. Des hommes armés, tels les cinq qu’on a vus en février 1816 à Romagné (arrondissement de Fougères), sont encore aperçus. Ils sont dix à porter la cocarde tricolore dans la forêt de la Guerche le mois suivant, l’on dit également que cinq autres déguisés en femmes sont près de celle du Pertre29. En janvier 1817 un

militaire de passage à Vitré jure qu’il existe dans la forêt de Fougères un rassemblement d’hommes armés et décorés de la cocarde verte, signe de ralliement des partisans du comte d’Artois porté par les tueurs lors de la Terreur blanche. Ces nouvelles obligent parfois à faire intervenir les forces armées : en août 1816, des gendarmes sont de la sorte envoyés dans l’arrondissement de Vitré où l’on affirme que des troubles vont éclater à la frontière mayennaise. Des écrits sont encore trouvés. C’est le temps fameux des placards incendiaires collés aux murs, lesquels reproduisent anonymement ce que murmurent tout bas les bouches : on y insulte l’autorité30, le roi31 ou les

chouans32, le tout en annonçant le retour de l’Empereur. On remarquera que derniers disparaissent

quasiment durant l’année 1817.

Responsable de plus des deux tiers des arrestations, le préfet rend compte de chaque affaire au ministre de la Police, de manière sensée et en reproduisant scrupuleusement les avis des magistrats. Il ne cherche aucunement à faire condamner coûte que coûte. Mais des suspects relâchés et mis hors de prévention connaissent néanmoins la prison, le temps de clore l’affaire. « L’effet » que 25 AN F/7/9077 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 18 septembre 1816.

26 AN F/7/9077 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 5 avril 1817. 27 AN F/7/9076 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 26 juin 1816.

28 NAGY Laurent, D'une Terreur à l'autre. Théories du complot et nostalgie de l'Empire, Paris, Vendémiaire, 2012, p. 70-86 sur le personnage de Richard-Lenoir, maître à penser de cette conjuration qui n’advient pas.

29 AN F/7/9076 : lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 23 mai 1816. 30 La lire p. 294-295

31 « Vive la liberté, vive Napoléon, à bas le gros cochon » peut-on lire le 2 juin sur deux pilastres de la mairie de Rennes. Lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 26 juillet 1816, AN F/7/9076.

32 « Vive l’empereur et la liberté, chouans et assassins, bientôt vous mourrez » lit-on aussi sur deux affiches collées dans la nuit du 16 au 17 juillet dans la même ville. Lettre du préfet d’Allonville au ministre de la Police, 18 juillet 1816, AN F/7/9076.

produisent en soi les mesures d’exception suffisent à d’Allonville et les résultats départementaux lui donnent raison puisqu’à son départ, la sédition a été sévèrement comprimée. Pour voir dans le détail les affaires politiques qui devraient théoriquement être les plus fameuses, penchons maintenant sur la cour prévôtale du département.

C.II. Nombre d’individus impliqués dans des affaires politiques (septembre 1815-octobre 1817) Octobre Septembre Août Juillet Juin Mai Avril Mars Février Janvier Décembre Novembre Octobre Septembre Août Juillet Juin Mai Avril Mars Février Janvier Décembre Novembre Octobre Septembre 0 5 10 15 20 25 30 35 40 Opposition au gouverne- ment/indésirables Violences politiques Nouvelles alarmantes Cris/écrits/signes séditieux

A.VI. Affaires politiques : lieux de délit ou d’arrestation dans le département (septembre 1815-octobre 1817)33

33 Cris, écrits et port de signes séditieux ; diffusion de nouvelles alarmantes ; danger pour la sûreté de l’État. Le numéro correspond au nombre d’individus impliqués. Lorsque le lieu de l’arrestation n’est pas connu ou qu’il n’y a pas eu d’arrestation, nous avons mentionné le lieu du délit supposé. Les arrestations hors du département pour des délits commis par des brétiliens et les arrestations effectuées dans le département pour des faits qui lui sont extérieurs ne sont pas recensées.

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