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Bref, intense et confus, l’interrègne ne permet pas de donner corps à un mouvement ferme de retour en arrière. De Grenoble où il devient prince selon son mot, Napoléon arrête le 9 avril le

5 « 1. Que tous les emblêmes, chiffres, armoiries qui ont caractérisé le Gouvernement de Bonaparte seront supprimés et effacés partout où ils peuvent exister. 2. Que cette suppression sera exclusivement opérée par les personnes déléguées par les autorités de police ou municipales, sans que le zèle individuel d’aucun particulier puisse y concourir ou les prévenir […] ». Arrêté du gouvernement provisoire, 4 avril 1814, imprimé à Rennes le 19 avril, ADIEV 1/M/96.

6 ADIEV 1/M/93 : lettre du maire de Vitré Lemoine de la Borderie au préfet Bonnaire, 19 avril 1814.

7 ADIEV 1/M/96 : lettre du directeur de correspondance au département de l’Intérieur au préfet Bonnaire, 5 novembre 1814.

8 « Il n’a été sous le dernier gouvernement donné aucuns cachets aux maires de mon arrondissement, il n’en existe avec des fleurs de lys qu’à la s.-préfecture ». Lettre du sous-préfet de Montfort Maudet au préfet Méchin, 11 avril 1815, ADIEV 2/Z/14.

renouveau des couleurs tricolores et la suppression de la cocarde blanche et de la décoration du lys9.

La mesure est prudente, la suppression pouvant consister en une simple occultation et non à à une destruction pure et simple. C’est bien en ce sens qu’elle est comprise en Ille-et-Vilaine car aucun des sous-préfets ne fait état de brûlements de drapeau blanc lors de la substitution. On craint bien trop le soulèvement du peuple pour procéder à des saccages qui ne feraient que l’offusquer. Car le blanc du roi est aussi devenu le blanc du clergé et le peuple royaliste n’aime pas que l’on touche à la religion. « Pourquoi l’aigle impériale n’est elle pas replacée sur nos tours ? Pourquoi notre ville montre-t-elle une nonchalance impardonnable 10? » se plaignent de jeunes patriotes et futurs fédérés.

Ils n’ont pas tort : d’une part on remise au placard les signes royalistes sans y porter atteinte publiquement, d’autre part on se contente souvent de hisser modestement le pavillon tricolore. Et encore faut-il ajouter que toutes les communes ne l’arborent pas11. Le bonapartiste Méchin sait

pertinemment qu’une démonstration trop poussée effrayerait davantage le peuple méfiant et aviverait les tensions. L'émeute du 4 avril à Rennes ne s’est-elle pas soldée par la destruction d'un aigle sur la devanture d'une enseigne de tabac ? Lorsque la défaite de Waterloo est connue à Rennes, le préfet, de peur qu'on ne le saccage, ordonne de rentrer le buste de Napoléon trônant sur la place d' l'hôtel de ville. Outrés d'une telle absence qui flatte la morgue des royalistes, les fédérés et la garde nationale le remettent à sa place et en font la garde comme ils le feraient d'une relique.

L’iconoclasme des opposants au régime, craint à Rennes-même, s’exprime avec plus de facilité hors les murs de la ville. Le va-et-vient des volontaires royaux dans les campagnes est ainsi marqué de gestes sacrilèges plus nombreux. La fusillade du 24 avril entre impériaux et royalistes a pour motif la descente du drapeau tricolore par ces deniers12 . Le 4 juin d’autres drapeaux sont subtilisés

dans plusieurs communes aux environs de Rennes13. Après l'abdication de l'empereur, les

volontaires prennent le temps de donner un peu plus de solennité à la descente du pavillon tricolore du mât où on l'a hissé, rite immuable qui précède ou suit les réquisitions et ordres de désarmement. Le 12 juillet ils ôtent ainsi du clocher le drapeau de Livré pour le brûler et le remplacer par celui du roi, sous le regard de la population venu dans le calme assister à la crémation14. Qu'ils soient dans 9 « Art. 1. La cocarde blanche et la décoration du lis sont supprimées. Art. 2. La cocarde nationale aux trois couleurs sera sur-le-champ arborée par les troupes de terre et de mer, les gardes nationales et les citoyens de toutes les classes. Art. 3. Le pavillon tricolore sera arboré à la maison commune des villes et sur les clochers des campagnes [...] ». décret impérial du 9 mars 1815. DUVERGIER Jean-Baptiste, Collection complète…, op. cit., vol. 19, Paris, A. Guyot, 1836 (2ème édition), p. 374.

10 AN F/7/9664 : lettre des jeunes gens de Rennes au ministre de l’Intérieur, 15 avril 1815.

11 Lire p. 267-268 la lettre du sous-préfet de Montfort Maudet à propos de deux maires n’ayant pas arboré le drapeau tricolore.

12 AN F/7/9073 : lettre du préfet Méchin au ministre de la Police, 25 mai 1815. 13 AN F/7/9664 : lettre du préfet Méchin au ministre d'Intérieur, 4 juin 1815.

l’expectative ou la crainte, les édiles n'ont donc pas nécessairement le choix de la bannière sous laquelle ils placent leur commune.

Après les tergiversations des autorités, Rennes s’est revêtu de blanc le 16 juillet et le mouvement prend dès lors une tournure légale. Le maire de Hédé suit l'exemple rennais le jour même, bien qu'aucun ordre formel ne lui soit encore parvenu. On n'hésite plus ensuite à décrocher les couleurs de la discorde pour en substituer d'autres qui ont le mérite de l’apparence légale. La tâche semble s'être accomplie partout sans trop de difficulté mais le préfet par intérim Robinet eut beau dire servilement que le 19 juillet« le drapeau blanc flott[ait] sur tous les points du département »15, on

compte au moins deux édiles récalcitrants qui à la fin du mois du décembre 1815 n'avaient toujours pas arboré la couleur voulue. Pour une telle faute les maires de Sainte-Colombe et de Coësmes, communes voisines de l'arrondissement de Vitré, risquent sans surprise la destitution. Le sous-préfet de la Plesse gourmande les deux maires tout en tempérant l’affaire auprès du préfet. On ne sait, écrit-il, s’il s’agit d’une mauvaise volonté ou de la simple négligence, de plus on aurait du mal à remplacer ces hommes compétents16. L’intervention du sous-préfet sauve les deux maires, mais

assoit un peu plus de la Plesse dans la posture d’homme conciliant qui lui coûtera sa place un mois plus tard.

Ce cas reste tout à fait exceptionnel et les maires font généralement état de belles fêtes populaires. De la sorte, Bourdase envoie au ministre de la Guerre le procès-verbal des festivités tenues en sa commune de Saint-Servan. Il peut se targuer d'avoir dès le 8 juillet au soir arboré la cocarde blanche quand d'autres doutaient de l'authenticité de la dépêche, les militaires au premier chef. À le lire ce ne sont pas moins de dix mille personnes qui ont exprimé leur liesse devant les fonctionnaires, conseillers municipaux, gendarmes et gardes nationaux réunis à la hâte. Le discours de l'édile est retranscrit, discours dans lequel il loue Louis XVIII dont le retour procure son bonheur et celui de ses administrés. On note que ce rapport circonstancié de trois pages est imprimé. Fait inhabituel qui renforce son aspect officiel et indique bien la volonté de Bourdase de mettre en avant la conduite qu'attend de lui la monarchie restaurée. On comprend mieux pourquoi il est le seul maire d’une ville nommé durant les Cent Jours à avoir été conservé au retour du roi.

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