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L’euphorie existe pourtant mais elle est renfermée essentiellement dans l’espace étriqué des villes et limitée à un petit pourcentage de la population. Parmi les particuliers qui se réjouissent de l’arrivée de Bonaparte, certains dénoncent au nouveau gouvernement les menaces que font peser sur les libertés les ennemis de l'empereur24, à la suite de quoi une riposte plus générale est concrétisée.

C'est à Rennes que naît aux alentours du 20 avril la Fédération bretonne. Ravivant les souvenirs du pacte fédératif de 1790, ses membres entendent préserver les acquis révolutionnaires contre les Bourbons, les nobles et le rigorisme religieux25. Des habitants de Nantes, Vannes, Brest, Saint-

Brieuc, Lorient rejoignent la cause mais l'Ouest n'a pas l'apanage de ces rassemblements : ils essaiment à Paris et dans l'est et le nord-est de la France, régions dont la mémoire est marquée par l'occupation étrangère de l'été précédent. En Bretagne, les fédérés s'échangent des adresses et des délégations, se congratulent et, dans une sorte d’exaltation patriotique, vibrent d'une même espérance pour un avenir radieux. Le préfet Méchin décrit un mélange de jeunes étudiants et d'individus plus âgés, qui ont connu et soutenu la Révolution. En travaillant sur un échantillon rennais fort de 637 individus, Jean Cherbonnel a montré la prédominance de la classe moyenne libérale, bourgeoisie éclairée (juristes, médecins, fonctionnaires divers, étudiants) mais il ne faut pas négliger le poids des militaires militaires (75 individus) et des artisans et ouvriers (101 individus)26.

Volontaire dans la campagne de 1792, le populaire et maître des postes rennais Joseph Blin est choisi pour prendre leur tête. Ce levain enthousiaste est une aubaine pour le régime, encore faut-il pouvoir convenablement le canaliser. Si les fédérés manifestent l'hostilité la plus profonde pour l'expérience de la première Restauration, ils ne se jettent pas aveuglément dans les bras de Napoléon. L'empereur incarne le moyen de parvenir à un horizon plus digne mais les fédérés 24 « Veillez au salut de la patrie, éclairez S.M. et prenez les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour déjouer les intrigues affreuses des ennemis de notre Belle et juste Révolution. Ils s'organisent en hommes sans honneur et sans patrie, ils appellent sur nous par leurs discours et leurs écrits tous les malheurs de la guerre civile. Ils correspondent avec l'étranger, ils leurs envoyent des émissaires, tout se prépare pour le moment dans l'ombre […] ils n'attendent, comme ils disent, que le moment de l'entrée des troupes étrangères. Prenez donc, Monseigneur, des mesures de Salut public sans quoi un crêpe funèbre couvrira bientôt celle belle France notre chère patrie et fera disparaître pour jamais ces principes libéraux qui font notre gloire et l'admiration des braves gens de toutes les nations. Que cette apathie que je vois avec chagrin dans les administrations soit réchauffée par le feu sacré de la liberté. Que les chouans, les émigrés et tous ceux qui n'ont pas donné de gages suffisants soient remplacés dans les fonctions qu'ils occupent, ils découragent et perdent l'esprit public ». Lettre anonyme, signée un ami de la Liberté, un jacobin, au ministre de l'Intérieur, datée du 14 mars 1815 (14 avril vraisemblablement, accusée le 20 avril), AN F/1CIII/Ille-et-Vilaine/12.

25 LE GALLO Émile, Les Cent-Jours. Essai sur l'histoire intérieure de la France depuis le retour de l'île d'Elbe

jusqu'à la nouvelle de Waterloo, Paris, Alcan, 1923, p. 287-292.

récusent les dérives mégalomanes de l'homme au bicorne. Le préfet s'immisce donc immédiatement dans les premières discussions entre les fédérés rennais et les délégués venus de Nantes et de Vannes. À le lire, il n'est ni plus ni moins que le maître d’œuvre du pacte fédératif, heureusement délesté des scories anti-nobles trop violentes et de l'indépendance d'esprit qui affleuraient dans le premier jet :

« Après un murs examen et ne pouvant me défendre d'être touché des bonnes intentions qui l'avaient dicté, j'y reconnus néanmoins que cette première rédaction ne pouvait être tolérée […]. Pour éviter des disenssions qui eussent été interminables et une controverse épineuse, je m'appropriai la pensée de la réunion et rédigeai un nouveau projet de Pacte fédératif. Le lundi à la pointe du jour, je fis appeler M. Blin et les principaux commissaires, je leur lus mon travail en le fesant précéder de tous les ménagemens que commande l'amour- propre en pareil cas. Il n'éprouva aucune contradiction, fut reçu avec les expressions de la plus vive reconnaissance et adoptée avec enthousiasme par l'assemblée qui s'était grossie d'une manière surprenante »27.

Récit peut-être enjolivé, particulièrement sur la réception de l'écrit auprès des fédérés28, mais la

participation effective de Méchin n'est pas contestable. Les termes du manifeste sont sans ambiguïtés et consacrent Napoléon comme le sauveur de la nation : « Napoléon paroît, la nation est affranchie, l'armée reprend son attitude, et la gloire plane avec l'aigle impérial et la liberté, sur la France dans l'ivresse ». Arrivé à Rennes le 25 avril, au moment de la publication du pacte, le commissaire extraordinaire Caffarelli est très satisfait de la tournure que prennent les événements et écrit au ministre de la Guerre Davout qu'il « serait extrêmement utile et important d'adopter et exécuter sans délai cette utile réunion patriotique »29. Chapeauté de la sorte, le mouvement devient

une force de propagande puisque la Fédération projette de rallier à elle un maximum de personnes. Des commissaires sont envoyés dans les villes du département afin de prolonger les ramifications de la Fédération. À Saint-Malo et Vitré, ils sont « accueillis avec transport »30 et parcourent les

campagnes afin de rassurer les populations. Avant tout urbain, le mouvement ambitionne de gagner la classe populaire rurale au moyen d'écrits persuasifs jouant sur la peur de l'ordre nobiliaire31.

Méchin stimule les fédérés tout en prenant ses ordres du gouvernement. Ainsi chacune des initiatives doit-être avalisée du ministre de la Police, qui accepte ainsi la tenue d'assemblées 27 AN F/1CIII/Ille-et-Vilaine/12 : lettre du préfet Méchin au ministre de l'Intérieur, 25 avril 1815.

28 « Le nouveau préambule fut assez mal accueilli par les commissaires, qui objectaient qu'à l'adopter « c'était prendre la couleur d'un parti ». Après un débat assez vif, un vote l'accepta « à une très faible majorité » ». LE GALLO Émile, Les Cent-Jours…, op. cit., p. 294.

29 AN F/1A/555 : rapport du commissaire extraordinaire dans la 13ème division militaire Caffarelli au ministre de la

Guerre, 26 avril 1815. Cité dans ALEXANDER Robert , Bonapartism and Revolutionnary Tradition in France : the

Fédérés of 1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 26.

30 AN F/7/9073 : extrait d'une lettre particulière de Rennes, non datée.

31 « [Les fédérés] pensent qu'il serait essentiel que par des proclamations multipliées, rédigées d'une manière simple, claire, à la portée des moins lettrés, les autorités annonçassent que le gouvernement ne veut exercer contre les ecclésiastiques aucune espèce de persécution […] ; il faudrait aussi développer ces vérités si puissantes qu'avec les Bourbons reviendraient la dîme, les corvées, les rentes féodales, qu'avec les Bourbons, les fils des laboureurs et des artisans seraient condamnés à rester toujours laboureurs et artisans [...] ». Lettre de l'avocat Colombel au ministre de la Police, 25 avril 1815, AN F/1CIII/Ille-et-Vilaine/12.

générales : « Point de doute que cette faculté ne doive leur être accordée. Vous devez même, d'après la connaissance que vous avez de leurs bons sentimens, exciter et et favoriser ces dispositions de tout votre pouvoir »32. La marge de manœuvre est donc limitée pour les fédérés, que Méchin nomme

« nos » fédérés, l''adjectif possessif disant bien ce qu'il en est de l'autonomie du mouvement.

Si le gouvernement trouve en la personne des fédérés des alliés utiles, ailleurs l'excitation est de manière générale bien moins palpable et ne cesse de décroître. La découverte de l'Acte additionnel douche l'optimisme des ralliés au régime et le développement de la chouannerie paralyse l'administration et occupe bientôt tout l'esprit des autorités.

B. L’enthousiasme qui périclite et la tétanie qui vient.

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