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L'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire paraît le 22 avril 1815. Complément aux constitutions de l'an VIII, l'an X et de l'an XII, il est le fruit du travail du libéral Benjamin Constant et de Napoléon lui-même, qui n’entendait pas se laisser dicter les fondements politiques du nouveau régime. Par la suite, l'Acte fut soumis au plébiscite du peuple, soit tous les individus de sexe mâle, jouissant de leurs droits civiques et âgés de 21 ans révolus. Produit de deux cerveaux, on sait trop bien quelle déception ces 67 articles inspirèrent : trop dépouillés pour les uns des accents jacobins adoptés par Bonaparte lors de son vol jusqu'à Paris, insuffisamment libéraux malgré quelques belles avancées pour les autres (renouvellement total de la Chambre tous les cinq ans, contre renouvellement annuel par cinquième sous la Charte, éligibilité à 25 ans et non plus 40, élection du président etc.) ou monstrueusement progressistes aux yeux des royalistes. Les circonstances politiques troubles des Cent Jours, la perspective de la guerre, et la méfiance entretenue à l'égard de l'empereur malgré ses proclamations légalistes comptent aussi dans la retenue observée à propos de l'Acte33.

À Saint-Brieuc, une adresse de protestation est envoyée par les citoyens et fédérés de la ville à l'empereur34. « Cette démarche irréfléchie a affligé ici les hommes raisonnables et les bons citoyens. 32 AN F/7/9073 : brouillon d'une lettre du ministre de la Police à l'attention du préfet Méchin, 2 juin 1815.

33 BLOQUET Josée, « L'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire du 22 avril 1815 : une bataille perdue d'avance ? », Napoleonica. La Revue, 2012, n° 13, p. 36-37.

34 Le texte en question s'intitule Représentations respectueuses à S.M. L'Empereur. Ses auteurs « se présentaient comme amis de l'Empire et demandaient qu'on fit nommer des députés pour travailler spécialement, avec des commissaires de l'empereur, à une constitution ». LAMARE Jules, « Histoire de la ville de Saint-Brieuc », Société

Je ne pense pas qu'elle trouve beaucoup d'imitateurs »35 dit le préfet Méchin. Pourtant, de Saint-

Malo, où il sert maintenant le pouvoir impérial en tant que lieutenant extraordinaire, Pierre Pierre indique que des fédérés rennais sont au nombre des signataires et que l'adresse circule et fait des remous36. La tiédeur l'emporte franchement partout et l'avocat Colombel exprime la voix des déçus :

« L'acte additionnel aux constitutions de Empire a paru, et le refroidissement a gagné presque tous les cœurs. Je suis affligé d'entendre répéter autour de moi, dans une ville où les habitants sont en général si dévoués à S.M. l'empereur, que la constitution n'est pas aussi libérale qu'elle avait été annoncée devoir l'être ; qu'elle est même en opposition avec les promesses du chef de l'État »37. Si

un bastion libéral tel que Rennes connaît un tel mouvement d'humeur, il va sans dire que les campagnes plus royalistes ne sont pas plus enthousiastes. Surtout que l'on sait la suspicion des ruraux pour l'écrit, « toutes les fois qu'il s'agit de signer, le paysans est défiant, et si Louis dix-huit l'eût appellé à voter sur la constitution, il aurait montré le même éloignement »38 dit le sous-préfet

de Redon Bayme.

Frédéric Bluche a montré toute la complexité du vote, son délai ridiculement court de 10 jours (certes rallongé au besoin) ; les pressions gouvernementales comme royalistes ; la mainmise des administrateurs qui tenaient le registre (maire, juge de paix, notaire) et ont pu influencer le plébiscite, en usant de leur poids pour inciter ou non à voter, en répandant de fausses vérités sur la signification de l'Acte, en guidant même à leur insu la main des analphabètes. Aux occupations diverses qui monopolisent l'attention des travailleurs s'additionne la timidité des administrateurs. Les premiers remous de la chouannerie sont évidemment un facteur pénalisant pour la tranquillité du plébiscite. La perspective de plus en plus probable de la guerre civile nuit au bon déroulement du scrutin, en effrayant ses garants ou en les confortant, s'ils sont des opposants, dans une attitude passive. Sans même l'action des chouans, la bonne volonté manque. Dans le seul cas des municipalités étudiée en seconde partie, le problème du choix des maires est tel qu'on comprend aisément que le vote de l'Acte additionnel ait été très compliqué.

Le 24 avril, les membres des collèges électoraux de département et d'arrondissement sont invités à l'assemblée du Champ de Mai afin de procéder au dépouillement des registres et du recensement des votes. Mais la pompe voulue par l'empereur pour la cérémonie se heurte aux problèmes de 35 AN F/7/9073 : lettre du préfet Méchin au ministre de la Police, 6 mai 1815.

36 « Je sais que l'adresse imprimée est arrivée dans cette ville [Saint-Malo] et qu'elle paroit affermir les habitans dans le projet qu'ils avaient de ne pas voter en faveur de l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire ». Dépêche télégraphique envoyé par Pierre Pierre au ministre de la Police, 3 mai 1815, AN F/7/3647.

37 AN F/1CIII/Ille-et-Vilaine/12 : lettre de l'avocat Colombel au ministre de la Police, 28 avril 1815.

terrain. Quatre jours plus tard, un correctif est apporté, par lequel sont dispensés les préfets et sous- préfets membres des collèges : « L'importance des fonctions que MM. les Préfets et Sous-préfets ont à remplir en ce moment, ne permet pas qu'ils s'absentent de leur département ; c'est-là le poste où ils ont plus d'occasions et de moyens de servir la Patrie »39. Les autres membres sont très

réticents à entreprendre le voyage jusqu'à la capitale, voyage les obligeant à délaisser leurs affaires et lequel ne donne même pas droit à une indemnité. Une poignée seulement part40 et l'assemblée,

qui a lieu le 1er juin, n'est pas à la hauteur de l'espérance des plus optimistes. Bizarrement accoutré,

tel un empereur romain quand on espérait voir le chef militaire, Napoléon est de surcroît seul, la retenue de son fils et de l'impératrice en Autriche annonçant l'absence d'alliance avec François II41.

Et que dire des résultats du vote ? Le plébiscite a été particulièrement peu suivi : 1 552 942 citoyens ont voté oui et 5740 non, soit un taux de participation de l'ordre de 21% à l'échelle nationale. Si le nombre de refus peut paraître risible, il n'en est pas moins, proportionnellement au vote positif, le plus élevé jamais observé de tous les plébiscites napoléoniens. La Bretagne se distingue par son taux d'abstention record. Tout en ayant les meilleurs résultats régionaux, l'Ille-et-Vilaine n'a vu voter que 5% de sa population malgré les exhortations du préfet et des sous-préfets42 : 6069 individus se

sont déplacés dans tout le département, 5927 ont voté oui contre 142 non43 . À Rennes, seuls 736

citoyens ont signé (709 en faveur du oui, 27 pour le non), soit 11% des électeurs de la ville44. Les

royalistes se sont abstenus en masse et les hommes plus bienveillants envers le régime n'ont pas tous voté oui, la faute à l'Acte lui-même dont on désapprouve les tics autoritaires et les limites libérales.

Décidées avant même les résultats du plébiscite45, les élections à la Chambre des représentants

sont également une déconvenue pour le pouvoir impérial. Les royalistes ne font même pas acte de 39 ADIEV 1/M/97 : lettre du ministre de l'Intérieur aux préfets, 28 avril 1815.

40 Sans avoir effectué le décompte exact, on peut en juger à vue d’œil d'après les bulletins positifs (un minuscule tas) et négatifs (une pile) contenus dans le carton 1/M/97 des archives départementales.

41 TULARD Jean, « Jeudi 1er mai 1815, le Champ de Mai », Revue du Souvenir Napoléonien, 2006, n° 463, p. 10-11.

42 « Le bon esprit qui règne dans votre commune et le zèle particulier qui vous anime me donnent la persuasion qu'il y aura un grand nombre de votants […]. Je compte sur votre zèle et votre dévouement, et je ne doute pas que S.M. l'Empereur ne distingue particulièrement les communes et les Maires qui, dans cette circonstance, auront donné des preuves de leur attachement au Gouvernement ». Lettre du sous-préfet de Saint-Malo de Séguinville aux maires de l'arrondissement, 6 mai 1815, ADIEV 5/Z/7

43 Ce sont les chiffres donnés par Frédéric Bluche. Nous avons de notre côté trouvé 6046 votants : 5907 oui et 139 non. Cette petite différence, peu significative, ne change rien aux conclusions départementales. Acte additionnel, 1815, registres par oui et non, AN F/1CI/53-69.

44 BLUCHE Frédéric, Le plébiscite..., op. cit., p. 71.

45 « La guerre civile du midi à peine terminée, nous acquîmes la certitude des dispositions hostiles des puissances étrangères, et dès-lors il fallut prévoir la guerre et s'y préparer. Dans ces nouvelles, nous n'avions que l'alternative de prolonger la dictature dont nous nous trouvons investi par les circonstances et par la confiance du peuple, ou d'abréger les formes que nous nous étions proposé de suivre pour la rédaction de l'acte constitutionnel. L'intérêt de la France nous a prescrit d'adopter ce second parti ». Extrait des minutes de la secrétairerie d'État, 30 avril 1815, ADIEV 1/M/97.

présente : 65,19% des électeurs ne paraissent pas à la séance du collège électoral du département46,

ce qui est légèrement supérieur à la moyenne nationale47. Dix hommes sont élus, parmi lesquels les

juristes dominent : le rennais Malherbe, ex-président de la cour d'appel de Rennes et député du département au conseil des Cinq-cents ; le fougerais Loysel, président du tribunal de première instance de la ville ; Bigot de Préameneu, avocat devenu conseiller de préfecture ; Le Graverend, chef de la division des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice ; l'avocat et ex- conventionnel régicide vitréen Beaugeard ; Defermon, conseiller d'État durant le Consulat et l'Empire. On compte aussi des des négociants : les malouins Godefroy et Thomas, ce dernier étant maire de la ville ; un ex-recteur député du clergé aux états généraux et député en 1811 en la personne de Garnier ; le militaire Bigarré et le préfet Bonnaire. La députation départementale est représentative des résultats nationaux : les libéraux triomphent tandis que les bonapartistes sont minoritaires : Defermon, un des fers de lance du parti, Bonnaire ainsi que Bigarré, ces deux derniers ne siégeront même pas, retenus par les troubles de l’Ouest.

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