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Situons le sort de nos neuf exilés par rapport à celui de leurs compagnons d'infortune. En définitive, 455 ex-conventionnels sont désignés comme régicides64. À la promulgation de la loi

d’amnistie, 241 d'entre eux vivent encore. 202 sont appelés à partir (≈ 84%) car jugés coupables d'avoir accepté l'Acte additionnel ou d'avoir accepté une fonction sous les Cent Jours, 31 y échappent, principalement par l'effet de la grâce royale ou pour des raisons médicales et 171 sortent donc effectivement du royaume65. Nous avons eu l'occasion de le voir, ces 171 personnes sont celles

qui ont voté la mort du roi mais sont aussi comptés ceux qui l'ont votée avec sursis et ceux n'ayant pas voté la mort mais refusant le sursis. Parmi ces régicides, plusieurs ne sont pourtant pas relaps au le sens où la loi l'entend et ces individus abusivement sortis du royaume sauront le faire savoir, sans toujours avoir gain de cause. Où se rendirent tous ces régicides ? Une seule destination leur était initialement interdite, Bruxelles. Mais le 29 février, le gouvernement est informé que les Pays-Bas dans leur ensemble, la Suisse, l'Italie et l'Angleterre sont à leur tour proscrits. En théorie, seules les monarchies russes, prussiennes et autrichiennes ouvrent leurs portes pour y recevoir les exilés. Immédiatement, les préfets sont informés de ces nouvelles dispositions mais la démarche se révèle tardive car la quasi-totalité des régicides est déjà passée de l'autre côté de la frontière. Certains d'entre-eux, Siéyès en tête66, avaient pris les devants et quitté le royaume avant même que la 62 ADIV 1M103 : lettre du ministre de la Police au préfet d'Allonville, 29 février 1816.

63 Op. cit. BERNARD Daniel, « Mémoire du conventionnel Guezno... », p. 350. 64 AN F/7/6707 : tableaux des régicides, 29 juillet 1818.

65 Les chiffres qui suivent sont issus du tableau récapitulatif établi par Raymond Huard, reprenant lui-même les données établies par Kuscinski dans son Dictionnaire des Conventionnels (« Les conventionnels " régicides " après 1815 : aperçu historiographique et données historiques » dans BOURDERON Roger (dir.), Saint-Denis ou le

jugement dernier des rois, Saint-Denis, Éditions PSD Saint-Denis, 1993, p. 299).

66 DUVIVIER Paul, L'exil du comte Sieyès à Bruxelles (1816-1830), d'après des documents inédits, Malines, L. et A. Godenne, 1910, p. 6.

commission n'ait statué de leur sort. Les autres le firent essentiellement durant les mois de janvier et février67 et n'eurent aucun mal à se transporter où ils le désiraient, en l'occurrence là où les

monarchies alliées ne souhaitaient pas qu'ils aillent68. La liste de passeports délivrés fait foi : la

première des destinations est les Pays-Bas, où l'ex-conventionnel Marc-Antoine Baudot estima à une cinquantaine le nombre de ses anciens confrères venus s'y retirer69 ; la seconde la Suisse ; une

poignée de régicides part pour les États-Unis et quelques autres pour les États allemands, la Prusse ou l'Angleterre. L'évacuation prompte et définitive prévaut et les foudres des autorités touchent en priorité ceux qui ont le tort de retarder leur départ, de demeurer cacher, voire de revenir illégalement dans le royaume70. Les régicides ont donc pu dans l'ensemble se rendre là où ils le

voulaient mais comment furent-ils accueillis par les autorités des territoires proscrits ? La question est importante, primordiale même pour les exilés car à quoi bon sortir d'un État pour se faire refouler aux frontières de celui que l'on rejoint ?

Les rares aspirants à l'air anglais n'eurent guère le temps d'en humer tous les bienfaits. À peine débarqué, Jean-Baptiste Le Carpentier est pressé par le gouvernement britannique de repartir là d'où il vient. Caché en France, il est capturé et meurt en captivité au Mont-Saint-Michel. Edouard Léonard Havin connaît la même désillusion en arrivant à Portsmouth. On sait ce qu'il advient de nos quatre régicides jersiais, ils doivent leur départ à leurs propres compatriotes, c'est à dire aux insulaires français qui firent le forcing nécessaire auprès des autorités compétentes. C'est cette obstination qui est le facteur premier de leur émigration. On remarquera d'ailleurs que la situation est pour le moins absurde : quittant un territoire défendu, les ex-conventionnels gagnent un pays lui aussi interdit. La volonté des Alliés n'est pas respectée ici car Corbel, Guezno, Champigny-Clément et le Malliaud naviguent vers les Pays-Bas à la fin du mois de mars, alors que nul n'est plus censé ignorer la résolution du 29 février. À notre connaissance, Charles-François-Jean Pérard fut le seul à 67 Dès le 17 janvier, Beaugeard et Duval avaient obtenu à Paris leur passeport. État des conventionnels atteints par l'article 7 de la loi du 12 janvier 1816 qui ont demandé aux autorités de leur département des passeports pour l'étranger, non daté, AN F/7/6707.

68 « Aucun inconvénient ne semble attaché au séjour dans les Pays-Bas de ces individus, la plupart d'un âge avancé, sans influence, sans fortune, et marqué dans l'opinion européenne d'une réprobation trop prononcée pour les rendre collectivement dangereux ». Lettre du ministre de la Police à monsieur de Fagel, ambassadeur de sa majesté le roi des Pays-Bas près la cour de France, AN F/7/6707.

69 BAUDOT Marc-Antoine, QUINET Hermione (éd. scientifique), Notes historiques sur la Convention nationale, le

Directoire, l'Empire et l'exil des votants, Paris, Megariotis, 1893, p. 179.

70 Ayant voté l'Acte additionnel, Pierre Ribéreau prit un passeport pour la Prusse mais ne partit pas. Il fut capturé dans la capitale le 8 février 1817 et expulsé manu militari aux Pays-Bas. ROBERT Adolphe, BOURLOTON Edgar, COUGNY GASTON (dir.), Dictionnaire des parlementaires..., t. 5, op. cit. p. 132-133. D'autres partirent d'abord et rejoignirent la France clandestinement. Jacques Monnot s'était installé en Suisse avant de revenir loger la nuit du 11 au 12 avril 1816 dans la commune Franc-Comtoise de Verrières-de-Joux. Aussitôt découvert, il dut retourner d'où il venait. DALLOZ Désiré, Jurisprudence du XIXe siècle ou recueil alphabétique des arrêts et décisions des cours de

pouvoir vivre à Londres le temps de sa peine71.

En Suisse, la Diète accepte d'abord l'arrivée des régicides mais, conformément aux exigences des Alliés, elle ne leur octroie que des passeports temporaires qui doivent les conduire à terme dans une des trois monarchies admise. Le problème étant que nombre de passeports français ne font pas état des raisons du départ72, d'autres spécifient que le point de chute n'est autre qu'une ville suisse. Et

cela, sans compter les ex-conventionnels qui, ayant passé la frontière, rentrent immédiatement dans la clandestinité. Les autorités expulsent tant bien que mal les réfractaires dont elles sont sûres de la culpabilité, les plus malades (ou feignant de l'être) bénéficient de sursis tandis que les autres se retirent, parfois pour revenir ultérieurement73. À ces difficultés internes s'ajoutent les desiderata de

la France. Conscient que la présence des régicides transgresse la volonté des cours Alliées, l'ambassadeur Auguste de Talleyrand dresse le 10 juillet 1816 une liste des proscrits à expulser du canton de Vaud, peine dont il dispense quatre individus. Choix censément politique : les exemptés ne sont pas les plus âges ni les plus malades mais trois d'entre-eux, François-Joseph Gamon, Étienne-Joseph Ferroux et Julien Souhait, avaient voté pour le sursis à l'exécution du roi74. Durant

l'été 1817, la Diète est rappelée à l'ordre par les Cours Alliées car douze à treize régicides vivent encore dans le seul canton de Vaud. On veut les y déloger mais la mesure est très partiellement appliquée, résultat qui doit autant à la mansuétude occasionnelle des autorités qu'à la ruse des régicides. Armistice oblige, ils ne sont plus que sept au début de l'année 1819 mais les autorités permettent à sept de leurs homologues de venir séjourner dans le canton75, encore quatre autres

viennent les rejoindre l'année suivante76. De cette décision découle en 1823 une nouvelle sommation

des Alliés, à laquelle se joignent pour l'occasion la Sardaigne, Naples... et la France qui connaît alors un tournant réactionnaire. Deux régicides seulement sont appelés à partir pour... les Pays-Bas ! Les autres sont jusqu'au bout laissés en paix. Terre d'élection prisée, la Suisse offre donc un refuge temporaire qui devient pour beaucoup définitif. Par sa proximité géographique avec la France, par la profusion des régicides qui s'y trouvait et aussi à cause de son esprit réputé révolutionnaire, le canton de Vaud fut la cible privilégiée des Alliés. La Diète se rangea systématiquement de leur avis

71 ROBERT Adolphe, BOURLOTON Edgar, COUGNY GASTON (dir.), Dictionnaire des parlementaires..., t. 4, op.

cit., p. 580.

72 Il leur était alors facile de ne pas se dire touchés par l'article 7 de la loi du 12 janvier.

73 DELHORBE Cécile-René, « Les deux exils vaudois de François-Joseph Gamon, conventionnel " régicide " et mari d'une vaudoise », Revue historique vaudoise, 1963, vol. 71, p. 33.

74 À l'inverse, l'ambassadeur n'épargnait pas les plus vieux ni les plus souffrants dès lors qu'ils avaient voté la mort du roi et refusé le sursis.

75 DELHORBE Cécile-René, « Trente-quatre régicides chez les Vaudois », Revue historique vaudoise, 1972, vol. 80, p. 110

mais le gouvernement vaudois, bien qu'il en fit au préalable la promesse77, ne parvint jamais à

éloigner durablement les exilés de ses terres. De sensibilité libérale, le voulut-il vraiment ? Dispersant au compte-goutte quelques individus ciblés, il en accueillait du reste tout autant, si ce n'est plus. De sorte que nombre d'ex-conventionnels demeurèrent en Suisse, à Vaud mais aussi dans d'autres cantons moins contrôlés, Genève, Valais, Thurgovie et Argovie78.

Au Pays-Bas, les demandes n'aboutissent pas davantage, bien au contraire. Fort d'une importance que n'a pas la Confédération helvétique, Guillaume Ier annonce d'emblée qu'il offrira l'hospitalité aux régicides en exil. Il reste globalement inflexible aux demandes des Alliés mais cède par trois fois : il chasse de son royaume Bernard de Saintes, André-Antoine Bernard (dit Garnier de Saintes) et Philippe-Antoine Merlin de Douai79. Les trois partent pour l'Amérique : le premier arrive à bon

port mais se noie dans l'Ohio en 1818 ; le second fait naufrage et meurt sur l'archipel de Madère80 ;

le dernier regagne les côtes hollandaises par la force des choses, en l'occurrence une tempête qui fait chavirer le navire. Malgré la réclamation réitérée de Louis XVIII, Merlin de Douai peut rester aux Pays-Bas. Les régicides vécurent pour beaucoup misérablement mais, hormis pour les exceptions précitées, furent assurés de leur tranquillité81. À notre échelle d'étude, on constate que nos neuf

députés bannis choisissent tous le petit royaume, en première option pour Beaugeard, Duval, Sevestre (députation d'Ille-et-Vilaine) et Méaulle (député de Loire-Inférieure), en solution alternative pour les jersiais le Malliaud, Corbel (députés du Morbihan), Clément-Champigny (député d'Indre-et-Loire) et Guezno (député du Finistère). À l'exception de Clément-Champigny qui demeure à Amsterdam, tous se fixent du côté belge, Beaugeard et Méaulle à Gand, Duval à Huy, près de Liège, Le Malliaud à Alost, Guezno et Sevestre à Bruxelles, ville qui accueille la majorité des exilés des Pays-Bas82.

77 « Le gouvernement du pays de Vaud a résolu de ne laisser séjourner dans ce canton aucun des français qui, d'après l'article 7 de la loi du 12 janvier, sont dans le cas de sortir du royaume ». AN F6707 (n° 7). Lettre du ministre de l'Intérieur au ministre de la Police, 2 mars 1816.

78 Les autorités des autres cantons furent beaucoup moins conciliantes. DELHORBE Cécile-René, « Notes sur les " régicides " français au canton de Vaud sous la Restauration », Revue historique vaudoise, 1947, vol. 55, p. 209. 79 Merlin de Douai et Garnier de Saintes étaient deux des quatre régicides sur les trente-huit personnes comprises dans

l'ordonnance du 24 juillet 1815. En fuyant aux Pays-Bas, ils anticipèrent la peine d'exil à laquelle ils étaient voués. HOUSSAYE Henri, 1815 : la seconde abdication - La Terreur blanche, Paris, Perrin et Cie, 1905, op. cit., p. 594. Tout comme en Suisse, on s'acharnait davantage sur les grands coupables. Douai de Merlin, rapporteur de la loi des suspects en 1792, et le sanguin Granier de Saintes, fort virulent à l'égard des émigrés, étaient de ceux là. Quant à Bernard de Saintes, son journal démocratique fondé à Bruxelles, Le Surveillant, irrita fort les ultras.

80 VALLÉE Micheline, Les Conventionnels régicides.., op. cit.

81 Les plus riches créèrent une caisse de secours dans le dessein d'aider leurs camarades moins fortunés. LUZZATO

Sergio, « Un futur au passé. La Révolution dans les Mémoires des Conventionnels », Annales historiques de la Révolution française, 1989, n° 278, p. 456.

82 Amédée Saint Ferréol en compte très exactement vingt dans son ouvrage Les proscrits français en Belgique, ou la

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