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Les fonctionnaires municipaux des communes sont eux aussi partagés sur l’attitude à observer, bien que la réserve l’emporte. Dans l'arrondissement de Saint-Malo, les maires opposants de Saint- Méloir des Ondes, Saint-Thual et Tinténiac sont remplacés avec l'accord du ministère de l'Intérieur car de bons et loyaux sujets sont disponibles dans ces communes24. À l'inverse, lorsque sept édiles

et quatre adjoints posent leur démission dans l'arrondissement de Fougères, le sous-préfet Baron les conjure de rester jusqu'aux assemblées locales car il craint de ne disposer de volontaires pour leur succéder. Le serment de fidélité à l'empereur imposé aux maires actuels25 refroidit ceux qui

craignent de trop se compromettre tout autant que les royalistes qui refusent net de se parjurer. Le commissaire extraordinaire Caffarelli craint qu'il n'en résulte un risque de refus généralisé nuisant

20 AMR 1/D/31 : séance extraordinaire du conseil municipal de Rennes, 24 avril 1815.

21 BODIN Hervé, « Les légitimistes à Rennes de 1814 à 1832 », mémoire de maîtrise (histoire), Rennes, Université de Rennes 2, p. 21.

22 AMR 1/D/31 : procès-verbal d’installation des maire, adjoints et conseillers municipaux de Rennes, 23 avril 1815. 23 Courrier reproduit dans son intégralité p. 268-269.

24 AN F/1BII/Ille-et-Vilaine/4 : actes de nomination des maires de Saint-Méloir des Ondes, Saint-Thual et Tinténiac, 22 avril 1815.

25 ADIEV 1/M/97 : arrêté relatif à la prestation de serments des fonctionnaires publics de l'ordre administratif, 13 avril 1815.

infailliblement au bien de l'administration26. S'il engage le préfet Méchin à ne pas accepter les

demandes de démission, que faire contre ceux qui quitteront leur poste, ou pire, iront exciter la population sous leur emprise ? Dans l'arrondissement de Vitré, Ravenel, maire d'Argentré, impute à sa seule santé son choix de quitter ses fonctions. L'adjoint imite l'édile, suivi par tous les membres du conseil municipal. Trop affairé avec ses huit enfants, déménageant dans une autre commune, habitant loin du bourg : aucuns des motifs livrés à l'autorité impériale n'a à voir avec la politique alors que tout converge vers elle. Le sous-préfet Goujeon doit déployer des trésors de persuasion pour que le vieux Ravenel reprenne sa casquette d'édile. L'homme accepte finalement cependant que le préfet s'apprêtait à envoyer un commissaire extraordinaire pour s'occuper de la commune, moyennant un paiement aux frais des habitants et une escorte « d'une brigade de gendarmerie ou d'un détachement de troupes de ligne »27. Le déficit d'autorité est parfois tel que ce sont les armes

qui prévalent en dernier recours contre l'esprit volcanique des plus obstinées communes rurales. L'entre-soi qui s'y pratique et les nouvelles alarmistes répandues à profusion n'aident en rien à maintenir le calme.

Lorsque les élections débutent à la mi-mai, le soulagement n'est pas pour autant de mise. Seuls sont appelés aux urnes les citoyens actifs de la commune, c'est-à-dire la minorité d’habitants que distingue la capacité financière. On saisit le danger que peut représenter un tel procédé : ne donne-t- on pas un moyen efficace aux ennemis du gouvernement de montrer leur opposition, soit qu'ils boycottent l'élection, soit qu'ils portent leurs voix sur un opposant déclaré ? À Fougères, Baron en est mécontent : « il est fâcheux qu'on ait mis dans ce moment [les nominations des maires et adjoints] au choix du peuple, elles ne peuvent être bonnes dans ce pays où l'esprit est si mauvais, il eut été plus avantageux pour l'État de laisser à l'administration supérieure à faire les changements que les circonstances eussent commandées »28. Quitte pour cela à employer des hommes étrangers

au pays qui auraient le mérite d'être fidèles. Dans son arrondissement, pour lequel nous sommes correctement documenté, les problèmes s'accumulent. Il n'y a pas un seul candidat à Monthaut29 et

le sous-préfet « prévoi[t] que pareil embarras se présentera dans plusieurs autres [communes], ou bien il n'y aura que quelques intriguans qui voudront avoir des maires dans leur sens »30. Peu ou pas

de candidats ; des électeurs qui ne se pressent pas aux urnes, voire pas du tout, comme à Romagné, 26 « … l'on peut craindre que la majeure partie [des maires] de ces pays cesseront spontanément leurs fonctions ; que jusqu'au remplacement il y a aura absence d'administration, et qu'il peut en résulter de graves inconvénients ». Lettre du commissaire extraordinaire Caffarelli au ministre de l'Intérieur, 26 avril 1815, AN F/1BII/Ille-et-Vilaine/1. 27 ADIEV 2/M/39 : lettre du préfet Méchin au sous-préfet de Vitré Goujeon, 3 mai 1815.

28 ADIEV 2/M/30: lettre du sous-préfet de Fougères Baron au préfet Méchin, 19 mai 1815. 29 Lire p. 269-270 les deux procès-verbaux nuls dressés par le maire de cette commune. 30 Ibid.

Chené, Landéan, La Selle-en-Luitré, La Mezière, Saint-Germain-en-Coglès, Saint-Marc-sur- Couesnon ou Monthault ; des maires nommés ou renommés qui peuvent encore refuser leur place, c'est le cas à Marcillé-Raoul, Montours, Saint-Brice-en-Cogles, Saint-Jean-sur-Couesnon ou au Tiercent ; qui ont été élus enfin pour leur esprit d'opposition marquée au gouvernement impérial, tel le nouveau maire de Saint-Ouen-de-la-Rouërie ou celui de Tremblay qui risque de soulever sa commune avec l'aide du curé : la place de sous-préfet dans un tel arrondissement tiendrait presque de la gageure31.

Baron voit se braquer des édiles dont l'ancienneté remonte à la sienne propre et avec lesquels il a connu la gloire et les déboires de l'époque impériale32. De nombreux édiles qui ont servi

indifféremment Napoléon puis Louis XVIII refusent d'être de nouveau les agents actifs de l'empereur : par lassitude devant le surcroît de travail, par écœurement de réclamer derechef les sacrifices humains et matériels que la guerre impose et par peur d'en payer ensuite le prix. Les communes qui donnent entièrement satisfaction, tant dans le déroulement des élections que dans le choix des nommés, se font rares. L'extrême lenteur des installations oblige à des envois différés qui continuent bien après Waterloo. Le 18 juin, Baron en est à proposer au préfet de rappeler les anciens maires dans les communes où les assemblées ne se sont pas tenues. Ce rappel n'aurait lieu qu'à titre provisoire compte tenu du caractère solennel et par conséquent effrayant d'une nomination officielle.

Dans l'arrondissement de Vitré, l'on rencontre exactement les mêmes problèmes. Lorsque le nouveau préfet Teulon parvient à la sous-préfecture le 1er juin, il constate que sur le 61 communes de moins de 5000 habitants que compte l'arrondissement, seize ont préparé des élections mais six d'entre-elles n'ont rien donné puisque les électeurs ont refusé de se présenter, le contexte militaire trouble et des débats à n'en plus finir ont conduit au même résultat à Chelun et Le Pertre. À une 31 « Vous pouvez voir, monsieur le préfet, par l'inspection des procès-verbaux qu'il y a eu très peu de votants dans presque toutes les communes, l'insouciance des citoyens tient aux circonstances. Il est des maires qui ont déjà abandonné leurs communes, d'autres qui ne veulent plus recevoir les paquets de l'administration, d'autres enfin qui ne veulent plus faire de fonctions [par crainte] d'être forcés par les rebelles de faire quelque chose contre leur opinion et contre les intérêts du gouvernement. ». Lettre du sous-préfet de Fougères Baron au préfet Méchin, 4 juin 1815, ADIEV 2/M/30.

32 « Il y a quinze ans que j'exerce la fonction de maire. J'y ai éprouvé des désagréments et des fatigues qui ont affaibli ma santé, mes yeux et diminuent insensiblement mon aisance par les dépenses auxquelles cette place a donné lieu. Ont y joint encore aujourd'hui un nouveau fardeau ; celui de constater les fraudes de vente des boissons et de faire en partie les fonctions des employés aux droits réunis. Je ne connais point cette partie et je suis trop vieux pour m'en occuper. Une troisième raison est que les différentes visites des deux partis opposés qui désolent notre malheureux pays pourraient compromettre ma responsabilité, peut-être mes jours et ma petite fortune. Je n'en suis pas moins dévoué à la chose publique et je me ferai toujours un devoir de faire exécuter les lois en remplissant mes fonctions jusqu'à mon remplacement que je vous prie de presser auprès de Monsieur le préfet. Je regrette, Monsieur, que les motifs que j'ai l'honneur de vous exposer et autres dont le détail vous ennuirait peut-être, ne me mettront plus a lieu de correspondre avec vous et de contribuer, par vos sages conseils, au maintien de l'ordre et des lois. Votre personne et les témoignages d'amitié et de franchise dont vous m'avez honoré dans tous les tems de mon administration s'en seront pas moins gravé dans mon cœur […] ». Lettre du maire de Montours au sous-préfet de Fougères Baron, 2 juin 1815, ADIEV 2/M/43.

exception près, tous les nouveaux maires et adjoints sont renouvelés, ce qui motive Teulon à écrire au préfet pour laisser dans l'instant tous les hommes en place33. Il essuie une fin de non-recevoir

mais sa proposition indique bien une certaine impuissance du côté des administrateurs face à l'indifférence assez générale, quand ce n'est la franche hostilité. Parmi les maires élus, ceux de Marcillé et de Retiers font d'ailleurs l'objet de plaintes sérieuses. Defermon lui-même est alerté par les membres de son tentaculaire réseau départemental, le premier de ces deux édiles « à défendu au capitaine de la garde nationale de tirer sur les chouans »34, le second a refusé de recevoir les fédérés

de sa commune.

La correspondance entre le sous-préfet de Séguinville et Méchin est plus optimiste. L'on avait pu écarter les édiles désignés comme adversaires dès avril et la révocation en mai des quelques-uns qui avaient refusé le serment, tel le maire de Lanhélin, n'a pas posé de problème de continuité administrative. Les hommes en place semblent largement accepter leur condition dans l'attente des élections. Les envois en notre possession font état de 37 élections dans autant de communes entre le 26 mai et le 14 juin et les résultats obtenus sont très largement satisfaisants. D'une part on ne note aucune démission formelle des nominés, d'autre part ceux-ci sont jugés dignes de servir, qu'ils soient réélus ou non. Le maire de Roz-sur-Couesnon ne convient pas mais c'est par « manque de civisme », de Séguinville ne connaît pas celui de Meillac mais les renseignements qu'il a reçus ne « sont pas très avantageux »35. Seule la situation à Saint-Coulomb apparaît plus périlleuse. Les

habitants ne se sont pas déplacés au jour convenu pour aller voter et le maire et son adjoint démissionnaires ne veulent plus attendre. Pressé par le temps, Séquinville propose les deux places à des hommes de confiance qui lui opposent un refus net. De nouvelles élections se tiennent mais les résultats ne sont pas bons : « le maire se refusera probablement de prêter le serment ; l'adjoint ne m'inspire pas beaucoup plus de confiance »36. Si l'arrondissement ne connaît pas les complications

fougeraises et vitréennes et l'opposition marquée qui s'y développe, les bons sujets peuvent donc là aussi manquer. Du côté des pays de Rennes et de Montfort, les démissions existent également37 mais

les élections sont également moins conflictuelles. Dans ce dernier arrondissement, un premier envoi 33 «... le peu d'individus qui [...] ont assisté [aux élections], le manque d'hommes capables, et l'urgence ou nous sommes d'avoir des maires pour faire connaître dans les campagnes les actes du Gouvernement m'engagent à vous proposer de laisser in statu quo l'organisation telle qu'elle est, du moins provisoirement. Par le zèle que je déployerai et les mesures que je prendrai, les magistrats qui ne rempliraient point le but que nous nous proposons me seront bientôt connus ; j'aurai l'honneur de vous en instruire aussitôt et de vous proposer leurs remplaçants ». Lettre du sous-préfet de Vitré Teulon au préfet Méchin, 5 juin 1815, ADIEV 2/M/38.

34 AN F/1BII/ Ille-et-Vilaine/4 : lettre de Defermon au ministre de l'Intérieur, 14 juin 1815.

35 ADIEV 2/M/38 : lettre du sous-préfet de Saint-Malo de Séguinville au préfet Méchin, 5 juin 1815. 36 ADIEV 2/M/38 : lettre du sous-préfet de Saint-Malo de Séguinville au préfet Méchin, 13 juin 1815.

37 Lire p. 271-272 la lettre du curé du Chevaigné (arrondissement de Rennes) qui loue la démission de son maire durant les Cent Jours

de procès-verbaux de sept communes le 25 mai ne pose de problème, pas plus qu'un second en provenance de huit communes dans lesquelles les votes ont été portés « sur des honnêtes gens, amis du gouvernement impérial et dévoués à la patrie »38. Les élections s'effectuent dans un calme relatif,

sans que beaucoup d'enthousiasme ne soit témoigné pour la personne de l'empereur. Rares sont les comptes-rendus qui font état d'acclamations et de cris en sa faveur (ceux de Maxent, arrondissement de Montfort, ou de Miniac-Morvan, arrondissement de Saint-Malo).

Il est certain que tous les maires en place ne sont pas politiquement sûrs. Pour se prémunir contre les plus dangereux, préfets et commissaire extraordinaires ont la possibilité d'annuler le vote populaire et de désigner eux-mêmes des hommes plus corrects. Ce vote n'est donc qu'un leurre, qui plus est pratiqué hors de tout protocole. De nombreuses irrégularités entachent effectivement les élections39 et l'immense majorité d'entre-elles eussent dû être annulées si l'ordonnance impériale du

26 mai n'avait permis de confirmer les seuls candidats convenables malgré les anomalies flagrantes que constate le préfet. Cette même ordonnance devient une arme lorsqu'il s'agit d'écarter un maire indésirable élu irrégulièrement, ce qui est la norme départementale. Trop jeune (22 ans quand il en faut minimum 25), le dangereux maire de Tremblay est ainsi écarté. Dans l'arrondissement de Rennes, à Dourdain, le neveu de Chateaubriand et maire de Châteaubourg est réélu dans des circonstances que le sous-préfet de Rennes et le préfet jugent douteuses. L'élection est annulée et la place échoit au plus convenable Ruel. À Livré, on redonne pour la même raison aux loyaux Baton et Rezeau leur place de maire et d'adjoint perdue lors du vote communal. Faute d'hommes à la fois capables, considérés et consentants, l'on s'accommode de bien d'autres pour peu qu'ils n'enveniment pas les esprits. Quant à assurer le travail administratif, c'est une exigence qui périclite à mesure que les troupes royalistes venant de Mayenne et du Morbihan pénètrent dans le département et occupent l'espace. Les autorités civiles et militaires sont occupées à se prémunir contre les menées chouannes et les communications rompues entre centre et périphérie plongent les édiles dans un embarras profond. Pris en étau entre les royalistes et les impériaux, sans cesse sollicités, quand ce n'est menacés, pour pourvoir aux besoins des soldats, les maires et adjoints des espaces sensibles connaissent des jours de juin et juillet particulièrement pénibles. À Pipriac, commune de l'arrondissement de Redon déjà marquée par la fuite de son premier maire, le successeur et très royaliste Tanouarn se suicide à cause « des anxiétés cruelles ou l'avaient jeté les partis contraires. On le poussait à […] faire insurger [sa commune]»40.

38 ADIEV 2/M/37 : lettre du sous-préfet de Montfort Maudet au préfet Méchin, 16 juin 1815.

39 Le déroulement de l’élection doit suivre un protocole précis, avec l’élection d’un président, d’un secrétaire et de trois scrutateurs, de même le procès-verbal doit comporter certaines mentions précises. Autant d’impératifs légaux qui sont rarement respectés dans les communes rurales.

Le mode opératoire choisi et les complications extrêmes qui surgissent avec plus ou moins de force dans tout le département rendent extrêmement délicat tout bilan municipal définitif lors des Cent Jours. Les problèmes communaux ne sont pas le propre d' Ille-et-Vilaine, les départements de l'Ouest français connaissent tous de semblables cahots41. Il n'est fait mention d'aucun résultat global

à notre échelle et les archives disponibles pour chaque commune prise individuellement sont avares en pièces datées de 1815. 56 communes sont renseignées, et encore, il n'est pas forcément question de la période, ni même du procès-verbal des élections populaires quand elles ont eu lieu. Dans l'arrondissement de Rennes, 14 maires ont été changés au 30 juin dans les communes de moins de 5000 habitants. Le total est donc approximativement le même que celui enregistré à l'échelle nationale, soit 20 %42, mais ce résultat est très inférieur dans l'arrondissement de Fougères ou de Vitré, compte-tenu des difficultés à tenir des élections. Pour compliquer encore la tâche, celles-ci ne traduisent pas plus un résultat définitif puisque les votants, en nombre réduit43, peuvent encore se

disputer longuement sur le produit du dépouillement44 et les autorités ont la faculté de les invalider.

C. Le renouvellement municipal de la seconde Restauration.

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