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Section 1 : Le cadre épistémologique

1.1. Le positionnement de la recherche

Les recherches en gestion participent à deux courants principaux, comme l’affirment Thiétart et al. (1999). Ces auteurs décrivent deux grandes orientations : une approche par construction progressive de l’objet ou une validation de théories déjà modélisées. Le constructivisme est défini par Wacheux (1996) comme « un processus d’étude d’un processus, pour aboutir à la représentation d’une situation » (p. 28). Les chercheurs constructivistes supposent que la réalité sociale évolue avec l’histoire et qu’elle est produite et reproduite par les individus (à travers leurs représentations subjectives et leurs interactions sociales). Le positivisme, quant à lui, s’oriente vers la description d’un réel plutôt stable et la vérification des interprétations qu’en font les théories. Les positivistes supposent que la réalité est un donné objectif et qu’on peut la décrire par des propriétés mesurables, indépendantes de l’observateur et de ses instruments.

Girod-Séville et Perret (1999), quant à eux, distinguent plutôt trois paradigmes à l’intérieur des sciences de gestion : le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme. Mais ils considèrent aussi qu’il n’y a pas de séparation tranchée entre eux. On voit plutôt se dégager l’idée d’un continuum entre le constructivisme radical et modéré et entre le

constructivisme modéré et le positivisme aménagé. Dans ce cadre, le chercheur avance avec l’intention de comprendre la réalité de l’intérieur pour l’interprétativiste, de l’expliquer en s’en distanciant pour le positiviste et de participer à sa construction pour le constructiviste.

Si notre recherche devait se situer dans ce continuum, elle se rattacherait davantage au paradigme interprétativiste, qui est une position intermédiaire entre le positivisme et le constructivisme. De manière plus simple, « dans le cadre du positivisme, le chercheur va découvrir les lois qui s’imposent aux acteurs. Dans le cadre de l’interprétativisme, il va chercher à comprendre comment les acteurs construisent le sens qu’ils donnent à la réalité sociale. Et dans le cadre du constructivisme, il va contribuer à construire avec les acteurs, la réalité sociale » (Girod- Séville et Perret, 1999, p. 21). Une perspective interprétativiste implique donc une compréhension des significations que les gens attachent à la réalité sociale (Allard-Poesi et Maréchal, 1999).

Notre démarche n’a jamais consisté à prendre parti dans les controverses épistémologiques. Tout en cherchant à comprendre les points de vue des acteurs impliqués dans la gestion de leur carrière, nous avons aussi cherché à observer le réel en extériorité, ce qui nous rapproche des postures positivistes. Mais nous avons souligné l’évolution des modèles de gestion en matière de projets professionnels, et par là l’importance des décisions d’acteurs (salariés, employeurs, partenaires divers) dans ces changements de réalité. Les dispositifs et processus de carrières n’en finissent pas de se construire en fonction des contextes, certes, mais aussi des façons d’y réagir.

L’objet de notre recherche nécessite un investissement important par rapport aux interprétations, en croisant celles des différents acteurs concernés. Il n’est pas facile de disposer de théories stables (et satisfaisantes) pour expliquer les décalages entre les attentes individuelles et les attentes organisationnelles, entre les pratiques RH existantes et leurs applications concrètes, entre les liens organisationnels et les liens institutionnels, sauf à en rester à des hypothèses très générales (échange inégal, pression économique, théorie de la structuration36). A partir des interprétations, on comprend mieux les différentes interactions, très complexes au fond, entre individus, organisations et institutions au niveau du pilotage des parcours professionnels.

En étant plutôt interprétativistes (sans renoncer aux autres approches), nous avons cherché à comprendre les phénomènes à travers le sens que les individus leur donnent à partir d’une appréhension de leur contexte pratique. Selon Kaplan et Maxwell (1994), la recherche interprétative ne prédéfinit pas de variables dépendantes et indépendantes. Elle se concentre sur toute la complexité du sens donnés par les personnes aux situations. Elle en tire des propositions dont elle vérifie l’actualisation dans la réalité partagée par les acteurs étudiés.

Notre orientation est donc compréhensive. Elle s’est donné comme but d’expliquer les comportements et les actions dans le contexte des nouvelles carrières, ainsi que de leurs effets sur la gestion organisationnelle et individuelle des parcours professionnels. Il s’agit, entre autres, d’une démarche empirique contextualisée, comme l’appelle Wacheux (1996). Deux niveaux de compréhension interagissent. À un premier niveau, on trouve le processus par lequel les individus sont amenés, dans leur vie quotidienne, à interpréter et à comprendre leur propre monde. À un deuxième niveau, on a le processus par lequel le chercheur interprète les significations subjectives qui fondent le comportement des individus qu’il étudie. La recherche interprétative ne consiste donc pas à rapporter des faits (sauf à titre de contexte), mais de rapporter les interprétations des individus. En d'autres termes, elle rend compte de leurs perceptions ou de leurs attitudes (Klein et Myers, 1999).

Cependant, cette posture interprétativiste n’exclut pas la possibilité d’une certaine objectivité des résultats. Comme l’indique Miles et Huberman (2003), le chercheur accède à une représentation certes intersubjective de la réalité, mais partagée par des acteurs et donc constitutive d’objectivation37.

37 Pour l’épistémologue K. Popper, le « monde des interprétations humaines » fait partie du réel. Et il contribue à

Figure 14 : Logique de construction et architecture de la recherche Premier niveau de recherche Appréhension de la gestion de carrière par les DRH Analyse des pratiques et outils de gestion de carrière utilisés en entreprise Second niveau de recherche Appréhension de la gestion de carrière par les salariés Analyse des besoins

et attentes individuelles

Approche d’inspiration positiviste pour

établir que les organisations sont contraintes de suivre les parcours professionnels Approche interprétativiste pour faire émerger l’interprétation qu’ont

les acteurs de leurs expériences professionnelles Approche interprétativiste pour comprendre et expliquer la manière dont les

organisations continuent à gérer les parcours Approche interprétativiste pour comprendre et expliquer la manière dont les

acteurs mènent leurs parcours professionnels Première étape de la recherche : Questionnement des acteurs Deuxième étape de la recherche : Analyse des données

Mutualisation des deux niveaux de recherche Approche interprétativiste pour concilier besoins organisationnels et attentes individuelles